La sentinelle
LA SENTINELLE
Mouillé s'il pleut, transi s'il gèle,
Las d'entendre choir comme grêle
Balles, pétards, bombes, obus
Les pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles
Et grelottant sous mes guenilles,
Je sens mes pauvres os fourbues.
Aux cours des longues nuits de garde,
Dans les ténèbres je regarde
Si la pointe d'un casque luit,
Aux heures calmes, qu'on redoute,
Scrutant le silence, j'écoute,
Pour percevoir le moindre bruit.
... Un coup de pioche - Est ce une mine?
J'ai peur! Pourtant je me domine
Et j'accepte - s'il faut mourir -
De ne jamais revoir la blonde
Qui fut pour mon coeur en ce monde
Le seul rêve et le seul désir.
J'accepte de mourir sans gloire.
(On ne lira pas dans l'histoire
Ce qu'un soldat est devenu.)
Que mon trépas reste anonyme
Le courage est plus magnanime
Quand le héros tombe inconnu.
Me suffit la pensée altière
D'être cette nuit la frontière
Droite et vivante du Pays.
En mon corps s'incarne mon âme,
Si je recule, je l'entame;
Si j'avance, je l'agrandis.
Ce poème est issu de l'ouvrage de Maurice Laurentin "Carnets d'un fantassin de 1914".
Lieutenant au sein du 77e Ri du 9e CA, Maurice Laurentin n'allait pas tarder à quitter ce régiment pour venir au sein du 268e RI.