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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
11 mai 2008

Optimisme avant le grand saut

7 mai. [1915] - Voici le grand moment tant attendu. La ...armée doit attaquer sur le front Lille-Arras demain. Mon bataillon marchera droit devant lui avec la cote 70 comme objectif en deçà de Loos. Je fais une reconnaissance du secteur. Ce soir j'irai moi-même inspecter les fils de fer allemands avec S... Je suis très calme et très bien préparé; je n'ai qu'une crainte, c'est de mal faire, de commettre une bévue. Les hommes marcheront, j'en suis sûr. C'est mon bataillon qui forme la première vague, le 2e et le 3e viennent derrière, puis le ... et le ... de ligne, enfin le ... et le ... sont à droite et à gauche pour marcher en pointe.

2 heures. - Les Français commencent à bombarder. Les batteries tirent juste en avant de la tranchée, et si près que je me demande s'il n'y a pas une erreur de pointage. L'attente seule est un supplice. Ne rien savoir, se dire : « Est-ce dans cinq minutes, est-ce ce soir ? Est-ce demain? » Le cœur bat fort et la gorge est sèche. Je donnerais tout pour que l'ordre d'attaquer soit donné. Je sais que je retrouverai tout mon calme instantanément.
Les quatre sections doivent s'avancer de front vers la route de Lens, prendre les tranchées allemandes, et puis filer sur la cote 70 en prenant par Loos. Je distribue à ma section des ampoules asphyxiantes, des grenades à main et des petits sachets contenant du coton trempé préalablement dans un bisulfite, et qui devra être retrempé dans de l'eau de chaux au dernier moment et introduit dans la bouche et dans les narines, pour anéantir l'effet des gaz asphyxiants.

4 heures. - Le bombardement dure toujours, mais sans le caractère de violence inouïe qu'il avait au début; le restant des pièces ne doit arriver que cette nuit, par conséquent l'attaque peut bien n'avoir pas lieu demain.
Tout le monde travaille : le génie fait des gradins, achève des sapes, les artilleurs se promènent dans les boyaux avec des goniomètres et accomplissent des rites mystérieux en me demandant poliment de changer de place parce que je les gène; les officiers de tous les bataillons reconnaissent le secteur, les hommes cousent des morceaux de toile blanche sur leurs sacs pour être reconnus de loin par nos artilleurs. On dirait qu'on monte une pièce à grand spectacle et qu'on fait les derniers préparatifs avant la « générale ».

A 9 heures moins 10, je suis rentré à mon poste de commandement. J'ai contrôlé mon revolver soigneusement, j'ai enlevé ma tunique et j'ai mis mon argent et mes papiers dans la poche de mon pantalon. Je mets la capote par-dessus ma chemise, le revolver dans la poche intérieure et je sors du boyau. Une dernière recommandation aux hommes : ne pas tirer, même s'ils entendent une fusillade; S... est là; nous enjambons le parapet à 9 heures juste et nous tombons sur l'espace connu, entre deux chevaux de frise.
Il fait noir comme dans un four; à peine sortis, une fusée déchire le ciel. Nous nous couchons à plat ventre, figure contre terre. Je sens l'herbe mouillée et le sol mou sur mes joues et sous la paume de mes mains. Je m'écoute respirer et je ne sens pas les battements de mon coeur; je suis d'un calme de glace.
Pendant deux ou trois minutes, nous tâtonnons à travers les fils de fer. Les chevaux de frise sont passés, mais voici d'anciens réseaux Brun et des fils barbelés, tous brisés par les obus; nos pieds et nos capotes s'y accrochent. Nous rampons à quatre pattes; chaque fois qu'une fusée nous éclaire, nous nous jetons à plat ventre connue tout à l'heure.
Nous voici arrivés au moment critique. S... me hèle à voix basse : « Mon lieutenant, je crois que nous faisons un sale boulot ». Il me parle la bouche sur l'oreille. « Il fait trop noir, nous ne verrons rien ». Je lui dis : « Bien, restez là, je vais aller plus loin ».
Je continue à ramper. Maintenant c'est émotionnant d'être tout seul dans cette nuit noire, avec toutes ces gueules de fusils braquées sur moi ; je suis à la merci d'une fusée. Je continue tant que je peux : pas un bruit. Je tâche de me confondre absolument avec le sol. Je vais ainsi pendant je ne sais ni combien de temps, ni combien de mètres, puis je lève la tête, et je vois les chevaux de frise allemands qui se profilent à côté de moi. J'entends parler distinctement; malheureusement, je ne comprends pas un mot. Inutile de m'attarder, ma mission est finie. J'ai vu les défenses, il n'y a que des chevaux de frise reliés avec du barbelé. Au moment où je fais demi-tour, deux fusées partent et se croisent. Je me crois perdu et reste immobile, la tête dans les bras, figure contre terre, mordant l'herbe; mais rien, pas un coup de fusil.
Je me mets alors à ramper avec une vitesse qui m'étonne; je m'aide avec les pieds, les épaules, les coudes. J'arrive à l'endroit où j'avais laissé S..., et en un rien de temps nous sautons dans la tranchée. J'ai un vêtement de boue qui colle comme un maillot. Je vais rendre compte à M..., que je trouve endormi. Sur la table du poste, une note du commandant : « L'attaque n'aura pas lieu demain; la journée sera consacrée à une reconnaissance minutieuse du secteur, et tout sera prêt pour l'attaque probable dans la nuit du 8 au 9 ».

Sources: Etapes et combats, [Christian Mallet] – Plon - 1916

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5 mai 2008

La montée en ligne

6 mai [1915]. - En première ligne. - Nous relevons le ... dans les tranchées de première ligne près de Mazingarbe, sur la route de Lens. Cette relève d'un régiment de réserve confirme le bruit d'une offensive. Les civils eux-mêmes nous disent en passant à Nœux-les-Mines et à Mazingarbe : « Ah! Enfin, c'est vous qui venez attaquer? Tachez de les repousser une bonne fois, et pour toujours, hein? »

Sources: Etapes et combats, [Christian Mallet] – Plon - 1916

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