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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
2 avril 2019

Janvier 15, au 290e, "Voilà un chef"

Janvier 1915, le lieutenant Sohier en a après les gradés de tous poils, les officiers de la mobilisation sont de moins en moins nombreux au 290ème RI. Depuis le départ du colonel Hirtzmann, il n'y a eu que des chefs de corps provisoires à l'unité.
Le colonel Eggenspieler arrive.

Le général d'Urbal, commandant l'armée, a fait une belle circulaire pour que le troupier français reprenne de l'allure, bannisse les tenues fantaisistes, prenne des douches. Ces douches pour nous qui passons presque tout notre temps aux tranchées provoquent l'hilarité. On rit moins quand on voit les arrêts tomber parce qu'un homme a paru dans Vlamertinghe avec une capote anglaise (sic) ou une casquette civile (resic). Le pauvre de Lavarène écope des arrêts parce qu'un de ses hommes est allé aux douches avec un cache-nez. Je vais le consoler dans un asile de vieillards où je reste en contemplation devant les bons gâteux qui agitent éperdument les fuseaux à dentelles et allongent des mètres et des mètres de festons.
Un autre jour, séance sensationnelle dans une salle d'école où le général Dubois a réuni les officiers des régiments au repos. Conseils de tenue, conseils d'hygiène (manger beaucoup de l'excellente confiture qu'envoie un de ses parents approvisionneur de l'armée) viennent d'abord. On somnole. Mais voilà les conseils de prudence.
Un de ses officiers d'ordonnance lui a raconté que devant un des secteurs il y a une maison où Allemands et Français cherchent à se devancer chaque soir, d'où bagarres inutiles, puisque la maison ne peut servir à rien. Lors d'une relève, cet officier a pu se rendre compte de la chose.
Mais un type du 125, je crois, demande la parole. C'est lui qui commandait dans ce coin lorsque l'officier de l'état-major est venu. La maison est contre la ligne hoche. Jamais on n'a cherché à l'occuper. Du reste il faudrait une vingtaine de minutes en rampant pour l'atteindre. L'officier d'état-major est resté deux minutes. Qu'a-t-il pu voir ?
Le laïus du général prend vite une autre direction.
Voilà les distractions qui, de temps à autre, ramènent le sourire. C'est peu. Il y a aussi l'apparition d'un protège-crâne assez curieux. C'est une calotte métallique que l'on droit insérer à l'intérieur du képi pour éviter les blessures par shrapnells. Elle sert vite à toutes sortes d'usages, sauf celui auquel elle était destinée.
Soudain, grande nouvelle : nous allons toucher un nouveau colonel. Il vient de Cherbourg où il est resté depuis le début de la guerre. Oh! là, là ! Qu'est-ce que cela va être ?
Je me prends à regretter la situation actuelle. Et j'attends sans impatience l'arrivée de cet officier d'état-major de l'arrière.
Le 14 janvier il nous rejoint à Vlamertinghe où nous venons d'arriver après une relève mouvementée, et deux journées particulièrement abominables, à la suite d'un bombardement plus intensif que de coutume.
Pas de repos. Il va falloir dresser le bleu. Le bleu est grand, mince, grisonnant, simple, net et... silencieux.
Sans mots superflus, sans jamais déranger inutilement un officier ou un homme, il se met au courant de tout. Pas le laïus, pas de théories de soi-disant connaisseur. Il veut voir en se plaçant à la portée de tous ces gars surmenés. Non, mais ça c'est épatant. C'est un as.
Un mot de lui, peu de temps après son arrivée (il n'a pu encore aller que jusqu'au poste de commandement de la division).
- « Oui, j'ai eu quelque désillusion, comme tous ceux qui viennent de l'arrière. On avance partout et... ». Je lui rappelle l'histoire du type qui criait « J'ai pris Abdel-Kader. » ---- « Eh! bien, amène-le. » .- « Eh oui, je veux bien, mais c'est lui qui me tient. » Flegmatique, le colonel : « Oui, c'est ça. » Malgré sa froideur, il est bienveillant et affectueux.
On va le voir au feu. Tout ce calme va-t-il s'évaporer, et allons-nous voir un affolé à la place de ce sympathique glaçon ?
Nous arrivons dans notre bicoque de la Chapelle de Westouck. Pas une réflexion. On travaille tout simplement, et le moindre détail de la relève est suivi de près. Plus rien, tout est en ordre. Bonsoir au colonel Michel du 268 relevé. Il s'en va après une bonne causerie, où se sont mêlés les souvenirs et les questions de métier, juste celles que le cas présent rendaient importantes à connaître. Un dernier coup de téléphone aux différents postes de la ligne, puis bonsoir. Après un court repos, debout. C'est l'aube. Allons voir les lignes. Tiens, tiens. Nous partons ? Je veux suivre le chemin en tranchée. - « Non, non, tout droit. » - « Ah, bon! Mais les balles ne cessent de voler. » -
Nous verrons. S'il faut prendre un chemin plus abrité, nous le prendrons. Mais il faut d'abord essayer. Je veux me rendre compte. »
- « Tiens, qu'est-ce que cela? » C'est tout ce qui reste du hameau, quelques pierres à ras de terre.
- « Et cela ? » - « Un trou d'obus. » - « Quel calibre? » Nous restons un bon quart d'heure à comparer les trous de divers calibres. Les questions se suivent, précises, simples. Les balles sifflent. Pas un hochement de tête. Non, mais alors, c'est un bougre!
On inspecte toute la ligne, en détail.
Puis on va revenir au P. C.
-- « J'ai vu les détails, mais je ne me suis pas bien rendu compte de l'ensemble. D'ici on doit bien voir. » Et il saute hors du boyau d'accès, et croquis en mains confronte terrain et dessins. Ce n'est pas du goût des hoches qui déclenchent un tir infernal, de mousqueterie, heureusement. Hors de la tranchée, nous discutons lentement sous le feu intense. Puis « Je vois. Je reprendrai les croquis à tête reposée. »
Voilà un chef.

Eggenspieler_Colonel
Colonel Eggenspieler
Chef de corps 290e RI
14 janvier 1915 - 18 juin 1918

Sources: Lieutenant SOHIER - Carnets 1914-1915

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