En souvenir de mon père tué le 5 mai 1916 à la bataille de Verdun

Dans les tranchées glacées, ils ont dormi debout,
Debout, toujours debout, jusqu'au ventre la boue.
Dormi si peu de temps que se tait la mitraille,
Fourbus, vidés, meurtris jusqu'au fond des entrailles.

Quand au fil des saisons la boue s'est asséchée,
La sueur et la crasse et les plaies et les poux
Et les balles et les bombes et les gaz
Et les morts, tant de morts ...
Disaient que ce calvaire était toujours debout!
... Viendra-t-il un jour où le canon s'est tu
Quatre années de tranchées ...
Sont ce là des années ... ?

Bien des ans ont passé ...
Et quand fuit le sommeil,
le livre de ma vie
S'ouvre au hasard des pages ...
Ainsi je pense à eux,
A tous ces innocents
Plongés dans la tourmente
Eux écrivaient ... l'enfer ... !
L'enfer de feu de fer
De froid et de souffrance
De souffrances et de larmes

Je pense à ces croix blanches
Qui se dressent là-bas
Dans ces champs reverdis
De leur chair enrichis

La terre a mis longtemps
A panser ses blessures
A reprendre ses droits
Elle aussi a souffert,
Elle aussi fut ouverte
Percée, brûlée, minée,
Bouleversée, calcinée,
De toute parts broyée ...
... avec eux
Se recueillit ... longtemps
Figée dans sa douleur
Elle et eux emmêlés ...
Dans la même tuerie ...
Il a fallu des mois
Pour les séparer d'elle,
Leur donner un linceul,
Leur donner une tombe,
Parfois peut-être un nom?
Et ... peut-être le leur ... ?
Terre transformée, saccagée,
Douloureuse elle demeura ...
Tant de restes encore
Se consumaient en elle ...
... Des années recueillie ...
Avant de s'émouvoir
Et sortir de son deuil
Du deuil de ses enfants
Du deuil de la nature ...
... L'herbe réapperue ...
Et l'oiseau dans la nue,

Je pense à ces hommes, jeunes,
Que nul n'a revu
... Et "portés disparus" ...
A tant d'os inconnus
Enchassés dans l'ossuaire ...

Lorsque la nuit tombée,
Son phare s'allume et tourne
Sur ces champs de bataille
Rappelant leur mémoire
Aux "passants" que nous sommes
Douaumont toujours pleure
Quand la cloche du soir
Tinte en leur souvenir ...

Je pense à Un surtout
Qui n'est pas revenu
Je pense à ce "poilu"
Que je n'ai pas connu

Et ... qui était ... mon père ...

Berthe Gendre-Soret (1992)


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clichés de l'auteur



Gendre Abel Jean Joseph
Soldat au 90e RI
né le 22 juillet 1881 à Murs (Indre)
Mort le 5 mai 1916 à Esnes-Cote 304 (Meuse)
Inhumé à la NN d'Esnes en Argonne

Merci à Claude pour sa confiance


Les 3 principales villes du Berry participèrent à la construction de l'ossuaire de Douaumont sur le champ de bataille de Verdun.
Bourges, Chateauroux et Vierzon marquèrent de leur blason la douloureuse participation à la gigantesque bataille.

363017937_6380783535370702_3392274596619543895_nclichés de l'auteur et Vinci-Autoroutes