Aux soldats de Sougé tombés au Champ d’Honneur 1914-1918: "Tempête au vieux moulin"
Quanq’ et l’vent s’éleuve en tempête,
On dirait la voex d’un j’teu d’sort
A chant’ pour moé des chous’s secrètes
L’ieau qui coul’ sous l’vieux moulin mort.
Am’ dit : « rappell’ toé d’un’ journée,
Qu’t’endais des pâs dans l’chémin,
C’atait l’soer à la nui tombée ;
Des gâs qu’allint vers leu destin ».
Des enfants dé nout’ bounn’ vieille terre,
Attachés à yeu vieux Berry,
Et qui partint pour fair’ la guerre,
Mais qui d’vint pus jamais r’veni.
C’était à l’époqu’ des tranchées,
Dans l’ieau, la bornill’ jusqu’aux g’noux.
Les polus, pendant des années,
Ont défendu l’sol dé cheux nous.
Des foés, quaq’ c’est qué j’voés des nuages,
Rog’s sang à l’horizon bleuté,
J’cré aparcevoir les visages,
D’ceux de Sougé qui s’sont en allés.
Il ‘ tint heureux dans nout’ village,
J’les voés encor rir’ et chanter,
Y travaillint anq’ tant d’courage,
La terre à l’omb’ dé ieu clocher.
Y en a t’y encor qui y r’pense ?
J’avons vu tant d’affer’s depuis,
Qué j’ons pu’l’culte dé la souv’nance,
Pourtant des jours coumme aujord’hui.
Quanq’ et l’vent baliy’ les feuill’s mortes,
Et qu’l’avers’ tombe au vieux moulin,
Tout douc’ment j’entrouvert’ ma porte,
J’écoute en r’gardant dans l’chémin.
J’cré entendr’ dans l’bruit d’la rafale,
Des pâs dans l’mystèr’ dé la nuit,
J’les r’connais les ombr’s qui dévalent,
C’est ceux pour gâs qui d’vont r’veni !
Sous l’poummier près d’la grand’ bouchur’,
Un oésieau d’nuit hulul’ si fort,
Qué son cri s’entend’ j’en suis sûre,
Jusque là-bas, au boés d’Vilord !
Les âb’es dans la foret vosine,
En s’penchant y causons tout bas,
Tremblants jusqu » dans leux racines,
Ieux branch’s craqu’nt, résoun’nt coumm’ des glas.
On dirait des esprits en peine,
dans les éléments déchainés,
Pour moé, j’cré qu’la tempête rameine,
L’âm’ de ceux qui s’sont sacridiés.
Quanq’ et l’vent s’éleuve en tempête,
Qué parsounn’ veur s’risquer déhors,
A m’en racont’ des chous’s secrètes,
L’ieau qui cou’ sous l’vieux moulin mort.
Poème aux soldats - Betty Jacquey (J'ai glané pour vous) - 1963 - imprimerie Mollé Frères (Angers)
A propos de Betty JACQUEY, je conseille la lecture de la notice qui a été rédigée par la compagnie des Sans-lacets en 2015, nous presentant entre autres le parcours et un portait de Betty Jacquey:
http://les-paniers-paysans-du-giennois.fr/wp-content/uploads/2015/02/dossier-de-presse-les-confidences_du_berry.pdf
En 2017, le spectacle a été joué à Déols
Derrière cette poésie patoisante, se trouve donc Betty JACQUEY, poétesse peu connue et de son nom de jeune fille Berthe CHASTRE.
Celle-ci naquit à Sougé en 1898, fille de Arthur et de Angèle CHARON et décéda à Angers en 1980. Le 14 novembre 1922, elle épousa à Sougé (36) Paul JACQUEY, qui fut engagé volontaire en 1918, qui combattit et fut fait prisonnier en 39/45.
Elle était donc du même âge que les soldats qui furent appelés lors du conflit. Sans nul doute, elle cotoya à Sougé les jeunes soldats des classes 1914 à 1918, qui furent ses camarades d'école et qui partirent au front lors du conflit alors qu'ils étaient à peine agés de 20 ans (A partir de la classe 1916, ils furent appelés avant leurs 20 ans).
Grand merci à Claude Nivet pour toutes les informations apportées