Lettre A
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Inaugurons une nouvelle rubrique, celles des monuments de mémoire du département. Commençons par ma ville natale, Argenton sur Creuse.
Argenton comporte différents lieux de mémoires liés à 14-18.
Le monument aux morts:
Place de la République, il est situé au coeur de la ville.
Le carré militaire et son monument:
Au sein du cimetière communal Saint Paul, se trouve un carré militaire et un monument aux morts.
Le carré militaire contient notamment les corps de soldats décédés, lors du conflit, à l'hôpital temporaire d'Argenton.
Les plaques de l'église Saint Sauveur:
Dans une des chapelles de la nef, deux plaques sont présentes
Les relevés complets sont disponibles sur le site Mémorial Gen Web
Si vous connaissez d'autres monuments, n'hésitez pas à me les signaler.
Concernant Argenton, seuls les monuments ayant un lien direct avec 14-18 sont répertoriés ici
Il y a parfois des originalités qui se cachent dans des endroits à priori incongrus.
A Châteauroux, l'actuelle école de musique se trouve dans les locaux de l'ancien Hôtel de Ville.
Ce bâtiment fut longtemps un des endroits de vie de la ville de garnison qu'était Châteauroux. La musique y était déjà à l'honneur, mais plutôt sur le parvis et souvent au pas cadencé.
Travaillant sur les monuments aux morts de la cité, un ami m'avait déclaré y avoir découvert une originalité que seuls les mélomanes ou les curieux peuvent apercevoir:
Les fameuses plaques nominatives des Morts pour la France de la capitale du Bas-Berry.
Celles-ci depuis 80 ans garnissent les murs de l'escalier principal.
Ceci m'a été confirmé récemment par le Cercle d'Histoire d'Argenton
A chaque fois que je mis rend, je trouve portes closes. Je l'aurai un jour, je l'aurai
Dommage quelles ne soient pas plus mises en valeur. Il serait intéressant de montrer l'ampleur du sacrifice de toute une génération.
Merci à Louis Cazaubon pour sa découverte en 2007 et à Daniel Chauvat (Cercle Histoire Argenton) pour ses documents.
Parfois les communes organisent des souscriptions locales pour fournir du vin aux soldats du front. Les maires essayent alors de récolter les fonds pour faire parvenir le breuvage au front.
Certaines communes essayent de se regrouper dans leur action.
Tant pis, pour les gars de Poulaines, ceux de Saint Christophe en Bazelle s'y sont pris plus tôt.
A noter que Saint Christophe en Bazelle et Poulaines sont situé non loin de Valençay et de son vignoble.
Pour situer, voir ICI
Voici un article trouvé dans l'Echo de l'Indre en 1907:
Concours de vélocipédiste militaire
Un concours pour l'emploi se déroulera prochainement dans les différentes places de la région. Les réervistes et les territoriaux de toutes les classes de toutes les armes pourront y prendre part qu'ils non-gradés ou qu'ils aient un grade inférieur à celui d'adjudant. Les candidats doiventsavoir lire une carte routière et être reconnus aptes par le médecin. Ils devront accomplir en 6 heures un parcours de 60km sur ue bicyclette qu'ils apporteront. Les candidats doivent aussi savoir démonter et remonter les principales pièces de leur engin.
Quelle était le rôle du cycliste au sein de l'armée française?
Service vélocipédique dans l’armée:
Art 1 : Les vélocipédistes militaires aux armées peuvent, soit remplir le rôle d’estafettes chargées d’assurer entre les états-majors, corps de troupe et service, la transmission des ordres, comptes rendus et communications de toute nature, soit être constitués en unités cyclistes combattantes, ou groupés en détachements en vue de leur rattachement à la mobilisation à certaines formations spéciales.
……………………………………………..
Art. 5 : Pendant les marches, la principale mission des vélocipédistes et de relier à la colonne les différents échelons du service de sûreté de la 1èer ligne et l’avant-garde, les flancs gardes et les colonnes parallèles. Leur emploi dans l’intérieur de la colonne est subordonné à la largeur de la route et aux formations de marche ; il ne constitue en tout cas qu’un service accessoire.
Art. 6 : Pendant le stationnement, les vélocipédistes sont chargés de la correspondance entre les divers cantonnements . Il y aura souvent intérêt à organiser le service par gîte de cantonnement.
Aux avant-postes, ils assurent la liaison des différents échelons entre-eux et le corps principal.
Art. 7 : Pendant le combat, les vélocipédistes servent principalement à relier les états-majors entre eux et organiser les communications avec l’arrière.
Dans la zone des actions proprement dite leur emploi est forcément très restreint : cette zone n’est pas leur domaine, puisque les troupes ont quitté les routes et cherchent tous les accidents du terrain .
Chaque unité se devait d'avoir un nombre réglementaire de cyclistes au sein de son effectif.
Comme l'indique l'article 7, le soldat avait alors une place enviée. Il posait alors fièrement avec sa monture.
1904 - Le cycliste de la 3e Compagnie du 90ème RI
Sources:
Echo de l'Indre - juillet 1907 (Echo du Berry juillet 2007)
Bulletin officiel du ministère de la guerre , « Vélocipédie et automobilisme» édition méthodique du 10 juin 1905
Merci à Joel Huret pour les extraits du BO
Histoire de troubler la quiétude estivale, voici un petit message pour nous rappeller le 93e anniversaire du début du conflit.
En ce 1er août 1914, lorsque le colonel SIMON reçoit l'ordre de mobilisation, il est 16h15. La tension va monter crescendo pendant les six jours à venir, au moment du départ en train.
Ce 1er août, il a fait 31°. Heureusement, dès le lendemain la température baisse et dès le 3 août, la pluie vient apaiser le climat ambiant.
Toutes ces données sont consultables sur le site de la Station Météorologique de Déols:
http://www.agrometeo36.com/bebe.php
Lors du conflit, 283 instituteurs du département furent mobilisés. Parmi eux, 60 ont fait le "sacrifice suprême".
Voici le mémorial des instituteurs de l'Indre:
ALLONCLE Camille, Instituteur adjoint à Le Blanc
AUSSURE Charles, Instituteur adjoint à La Châtre
BARRAT Emile, Instituteur intérimaire à Aigurande
BASTIAN Jean, Instituteur adjoint à La Châtre l’Anglin
BAUDET Emile, Instituteur adjoint à Prissac
BLANCHARD André, Instituteur adjoint à Mouhet
BLANCHET Lucien, Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
BOUCHAUD Arthur, Ex Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
BREMONT Maurice, Instituteur à Hallé (Commune d’Orsennes)
BUJON Marcel, Instituteur adjoint à Crozon
CAILLAUD Raymond, Instituteur adjoint à Lye
CAGNAC Léon, Instituteur à Mennetou sur Nahon
CHARMONT Gabriel, Instituteur adjoint à Châteauroux
CICET Georges, Ex Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
COUCHE Fernand, Instituteur adjoint à Buzançais
DAGOT Armand, Instituteur adjoint à St Aout
DEFAULT Clément, Instituteur adjoint à Issoudun Nord
DELAUME Jean, Instituteur à Jeu-Maloches
DUNIL-BOURLAUD Alex, Instituteur Adjoint à Chabris
DUPLAIX Joseph, Instituteur Adjoint à Aigurande
DUPLAN Félix, Instituteur Adjoint à Le Blanc
FAGEUT Georges – Albert, Instituteur Adjoint à Villedieu
FERTEY Paul, Ex Instituteur Adjoint à Tournon Saint Martin (Passé en octobre 1913 à Boismandé H.-V.)
GABILLAT Joseph, Instituteur Adjoint à Pruniers
HENAULT Louis – Albert, Instituteur à Villegouin
HENAULT Paul – Emile, Instituteur à Heugnes
JAMET René, Instituteur Adjoint à Buzançais
JOLY Georges, Instituteur Adjoint à Valençay
LEMAîTRE Henri –Lucien, Délégué à l’E.P.S. de Saint Benoît du Sault
LEMORT Olivier, Ex Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
LOGET Albans, Instituteur à Montierchaume
LUMET Xavier Eugène, Instituteur à Coings
MANEUVRIER Fernand, Elève Maître de 3e année de l’E.N. de Châteauroux, (En congé pour service militaire)
MARIE Alexandre, Instituteur Adjoint à Saint Août, (En congé pour service militaire)
MARTIN Jean Baptiste, Instituteur Adjoint à Argenton
MORAND Emile, Instituteur à Lacs
MOREAU Julien Instituteur à Lys Saint Georges
MOULIN Marcel, Instituteur Adjoint à Neuvy Saint Sépulchre
NICAUD Alfred – Léon, Délégué à l’E.P.S. de Saint Benoît du Sault
NICOLAS Paul, Instituteur Adjoint à Eguzon
PARPAIS Marcellin, Instituteur détaché au Collège d’Issoudun
PECHERAT Olivier, Instituteur Adjoint au Blanc
PELLERIN Robert, Ex Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
PICARD Marcel, Instituteur à Clion
PONROY René, Instituteur à Pont-Chrétien
RENAUD René, Ex Elève-Maître à l’Ecole Normale de Châteauroux
RODAIS René, Elève-Maître de 3e année à l’E.N. de Châteauroux
SALLERON Charles, Instituteur Adjoint à Déols
SALVINIEN Gaston, Instituteur à Bommiers
SOULAT Daniel, Instituteur Adjoint à Buzançais (en congé)
THEUROT Marcel, Instituteur Adjoint à Neuvy Saint Sépulchre, (En congé pour service militaire)
TOURAINE Edmond – Louis, Instituteur Adjoint à Arthon
VIAUX Jean Instituteur Adjoint à Saint Hilaire
Les Disparus
BIENVENU Camille, Instituteur adjoint à Saint Hilaire
BOURY Alphonse, Instituteur adjoint à Saint Denis de Jouhet
CHARPENTIER Octave, Instituteur adjoint à Cluis
CHEVAL Louis, Instituteur à Mouhers
LACHAUX Alphonse, Instituteur adjoint à Saint Août
LIMONDIN Robert, Instituteur stagiaire
TOUZELET Maurice, Instituteur Adjoint à Reuilly
Sources: Livre d'or des instituteurs de l'Indre: Guerre de 1914-1918 par l'Amicale des instituteurs publics de l'Indre, Issoudun, Imprimerie typographique et lithographique L. Sery, 1920
Une numérisation de l'ouvrage a été réalisée, elle est à votre disposition, contactez moi
Grand merci à Dominique Renault pour sa copie de l'ouvrage
Toujours extrait de la revue "Je sais tout", voici l'article concernant l'hôpital belge de Fontgombault qe nous avions déjà abordé dans ce message en juin 2005
Les Convalescents Belges à Fontgombault
C'est à Fontgombault, dans une vieille abbaye qui est un monument historique des plus curieux et des mieux restaures — elle appartient a M. Bonjean, le magistrat et le philantrope parisien bien connu — que le gouvernement belge a installé une de ses plus importantes stations de convalescents. Au bord de la Creuse et dans un étranglement de la vallée, entre le Blanc et Tournon-Saint-Martin, à côté d'une boutonnerie coopérative où l'on retrouvait une partie des grévistes de Méru, s'élève l'ancienne abbaye dont le Kirsch fut célèbre longtemps. Des premiers ermites du XIe siècle jusqu'aux convalescents belges d'aujourd'hui, le monastère a subi bien des vicissitudes.
Les restaurations et réparations faites par M. Bonjean ont admirablement prédisposé le monastère à sa nouvelle destination. En effet, de vastes lavabos, des salles d'infirmerie, des dortoirs aérés et vastes, l'eau, l'électricité, la cité-jardin, les salles de fêtes, les cours, les cuisines, tout s'y trouve. Une installation de bains-douches a complété l'aménagement.
Au début de la guerre, on avait logé à l'abbaye tout un bataillon de prisonniers boches. Le local était vraiment trop beau pour de pareils oiseaux et, d'ailleurs, il ne se prêtait peut-être pas à une surveillance de tous les instants.
On les avait placés dans l'admirable chapelle aux stalles sculpées et aux hauts vitraux; on avait protégé par des planches les sculptures. Aujourd'hui les chasseurs poméraniens et les fantassins hanovriens ont laissé la place à des blessés belges des batailles de l'Yser et à ces malades atteints de bronchites graves, contractées dans les boues des tranchées, devant Ypres.
Cinq cents soldats sont là, soignés par cinq médecins-majors sous la direction du médecin principal Glaudot, de la 1re division de l'armée royale.
— Ici, nous avons surtout pour but de rétablir des anémiés, de faire de la suralimentation pour des hommes très affaiblis.
Un des majors me montre le régime des convalescents.
Par jour: 2 ou 3 œufs ou 2 œufs et une demi boîte de sardines; 2 ou 3 bols de riz au lait; 700 grammes de viande; 800 grammes à 1 kilo de pain; 1 bouillon; 1 kilogramme de légumes; 1 à 3 litres de lait; 1/2 litre de bordeaux vieux.
— Vous le voyez, lorsque l'estomac est bon, l'homme est vite restauré et va rapidement reprendre sa place au front.
Dans le vaste réfectoire où jadis les moines silencieusement mangeaient, ceux que le grand Verhaeren appelle:
Ceux dont l'esprit, sur les textes préceptoraux, S'épand comme un reflet de lumière inclinée.
à présent, les gas flamands et wallons d'Ypres et d'Anvers et de Charleroi jouent des mâchoires avec beaucoup d'entrain. D'autres sont installés dans la chapelle même. Des lits sont alignés dans le chœur, au long de l'autel.
Après le déjeuner, ils vont faire un somme de quelques heures, puis se promener à travers champs, péchant, rêvant, musant. Dans les jardins et les cours, des jeux de croquet, de teams et de tonneau sont installés.
Un prêtre, décoré de la croix de guerre, la soutane relevée, joue avec les soldats comme un enfant.
Ce que j'ai admiré le plus, c'est la sérénité, le calme et la force d'âmes de ces hommes qui, presque tous, ont leurs maisons occupées ou détruites par les Allemands, qui, la plupart, sont sans nouvelles de leurs familles, et qui, presque tous, ont vu de près les terribles atrocités de Louvain et Termonde.
La phrase qui revient le plus souvent dans leur conversation est celle-ci:
— Quand les Boches auront fui de chez nous.
Ah! ils ne sont pas pessimistes, ceux-là qui ont tout perdu et qui ont tout à reconquérir.
Abbaye de Fontgombault - Le déambulatoire
Pour lire l'original:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1029643/f620.table
Le reporter de "Je sais tout" après avoir traité le sujet des hôpitaux du Blanc, parcoure la campagne à la "poursuite" des prisonniers allemands
Les articles sont entièrement disponibles sur Gallica
Les Prisonniers Travaillent à la Ferme
II arrive que la vie d'un petit village ou même d'une métairie résume en elle toute celle de la France d'aujourd'hui. C'est le cas d'une ferme berrichonne, visitée à la fin de cet été. A côté de la grande maison des métayers où j'entrai et où l'aïeul me reçut, habitaient dans une maisonnette des réfugiés belges dont les enfants jouaient avec ceux de la ferme, en gardant les chèvres.
A mon arrivée, je vis un caporal de R. A. T. à table avec un jeune permissionnaire retour du front, très gai, dans une capote bleu horizon. Autour d'eux, des hommes qui travaillaient à la batteuse, deux Belges de 70, des vieux, des jeunes de la classe 17 et l'engraîneur. Les femmes actives, bras et cou nus, servaient le repas de midi.
— Nous avons à faire les repas chaque jour pour quarante-cinq personnes, me dit la femme du permissionnaire. Je la regardai et je retrouvai ces yeux mélancoliques et beaux que j'ai souvent admirés chez ces filles de la Brenne, ce pays de plaines ondulées et grises, où le soleil, comme en Bretagne semble toujours voilé, à part quand il sombre parmi d'étranges flamboiements, dans l'eau morte des étangs immobiles. C'est le pays de Rollinat, celui qu'a célébré souvent George Sand. En été, les blés donnent plus de gaieté à ce paysage — et ce jour-là, à table, les conversations s'émaillaient de sourires.
Les hommes se versaient le petit vin blanc des vignobles locaux. On écoutait le récit de quelques épisodes héroïques des trois journées de Carency d'où arrivait le permissionnaire. Il parlait à voix très haute, plus haut qu'il n'est coutume de le faire pour des interlocuteurs attentifs et muets. J'en compris la raison en sortant.
Dans la cour, deux tables attirèrent mon attention. A l'une, deux territoriaux déjeunaient, tandis qu'un troisième surveillait l'autre table appuyé sur son fusil, la baïonnette au canon.
A celle-là, dix prisonniers allemands, — la moitié d'une équipe, —s'alignaient. Car une équipe de prisonniers compte vingt hommes, mais l'employeur a le droit de la diviser pour les besoins du travail à condition de les réunir, le soir, dans un même cantonnement.
A mon approche, les prisonniers se levèrent et, comme j'examinais leur repas, j'en fus surpris.
Certes, ils pouvaient le trouver « sehr gut » et « sehr schon »! Il comprenait, en septembre 1915, chez un simple paysan: du poisson frit, de l'oie aux navets, des pommes de terre au lard et une bouteille de vin pour quatre.
Je manifestai mon étonnement à la fermière:
— J'admets qu'on soit humain, lui dis-je, mais il me semble que ce repas est bien copieux et bien soigné pour des prisonniers. Croyez-vous que les nôtres jouissent de si bons repas?
— C'est par économie, me répondit-elle simplement, et elle se retira. Elle revint un instant après, apportant le règlement militaire qui fixe la nourriture des prisonniers employés aux travaux agricoles comme suit:
PAR JOUR
200 grammes de viande, les jours de travail.
125 grammes, les jours de repos.
850 grammes de pain.
1 kilo de légumes.
7 grammes de café.
8 grammes de sucre.
Graisse et beurre nécessaires.
Eau bouillie, si l’eau du pays n'est pas saine.
— Eh bien, m'écriai-je, en quoi vous oblige-t-on à donner du poisson et de l'oie?
— Je dois donner de la viande. Le boucher le plus proche est à sept kilomètres d'ici. Nous n'avons pas le temps d'aller à la ville en ce moment. Le poisson n'a rien coûté puisqu'il a été pêche dans l'étang, hier soir, après la journée finie. Quant à l'oie, il en court bien deux cents dans la ferme. Ça se nourrit tout seul. Le lard vient des cochons tués l'hiver dernier. Nous récoltons les pommes de terre. Le pain se fait ici. Nous n'avons rien acheté. Le dimanche seulement, nous mangeons de la viande de boucherie, car en semaine, on a trop souvent besoin du cheval et de la carriole. Si les prisonniers mangent de la dinde, de l'oie ou du canard, c'est qu'il m'est impossible d'acheter de la viande. D'ailleurs, puisqu'ils doivent travailler, il faut bien les nourrir!
Je regarde le feldwebel allemand. Il s'appelle W... Sch... Avant la guerre, il était contremaître dans un établissement d'automobiles à Paris. Il a rejoint son corps, fin juillet, et a été fait prisonnier en décembre 1914.
Il est grand, vigoureux, les traits réguliers et beaux, les yeux bleus et froids. Son costume de toile est d'une irréprochable propreté. On le sent volontaire et calme, et il répond à mes questions avec une grande politesse.
— Vous traite-t-on bien ici? êtes-vous content?
— Nous sommes bien; nous sommes contents.
— Je voudrais bien que nos prisonniers soient aussi bien traités chez vous que vous l'êtes chez nous!
— Ils le sont, monsieur, ils le sont. Une de mes parentes vient de m'écrire; elle a eu des prisonniers près de Dusseldorf: ils sont devenus gras.
— Croyez-vous toujours que l'Allemagne remportera la victoire?
— Pour l'instant, non. Mais nous ne savons rien ici.
— Alors, qu'est-ce qui vous fait perdre l'espoir?
— En Allemagne, aussi bien qu'en France, le peuple a marché parce qu'on lui en a donné l'ordre [sic). Nous ne voulions pas la guerre dans le peuple. On nous a attaqués (sic): il fallait bien se défendre [sic)!
A ce moment, les neuf autres Allemands se mettent à parler. Le feldwebel traduit:
— Ils disent que tout le monde enviait l'Allemagne. Il y a eu une conjuration contre l’Allemagne (sic). Mais nous travaillerons tellement que tous les pays qui ont combattu l'Allemagne seront à nous par notre seul travail {sic).
— En attendant, nous serons vainqueurs!
— C'est bien possible. Depuis que ce soldat en bleu est arrivé, j'en ai l'idée.
— Qu'est-ce qu'il a dit?
— Il n'a rien dit: il est gai. J'ai beaucoup travaillé dans des ateliers français. Je savais que ni les hommes, ni les femmes ne voulaient la guerre. Vous paraissiez en avoir peur. Ah! bien! oui! tous les soldats qui reviennent du front sont contents. Vous êtes un peuple bien original. En Allemagne, les soldats sont tristes. — Est-ce que vous préférez être ici ou dans les tranchées?
— Dans les tranchées!
— Pour tuer des Français?
— Pour être libres.
Un coup de sifflet strident nous interrompt. C'est l'heure du travail. Les prisonniers partent en tête, puis les deux réfugiés d'Ypres, puis les gens de la ferme et le permissionnaire. Je remarque que personne ne parle aux prisonniers. Une belle jeune fille qui servait à table détourne la tête à leur passage, en murmurant:
— Ils partiront sans avoir vu mes yeux.
Le bruit de la batteuse domine tout. Je regarde et me sens ému: ces prisonniers, ces réfugiés, ces vieux, cet adolescent, ce soldat, travaillent ensemble pour battre le beau blé de France...
— Il n'y a guère de blé, mais il y aura bien autant de paille que l'an dernier, remarque le permissionnaire.
Une femme allaite un enfant au pied de la meule. Il sourit et de ses petites mains potelées presse le sein.
— Il est né dans une cave à Ypres, me dit la femme. Il se porte bien tout de même.
Et j'admire le soleil qui luit sur tout cela.
"Les Boches dans les champs du Berry"
Pour lire l'original:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1029643/f598.table