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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
2 juin 2005

16 juin 1915, l'attaque du 90e RI sur le carrefour des 5 chemins, à Neuville Saint Vaast

Depuis le début mai, le 90e RI est en secteur aux alentours de Loos, fosse Calonne, ouvrages des Cornuailles.
Après les attaques des 9 et 25 mai 1915, le colonel Alquier réunit tous ses officiers, vingt six manquent à l’appel !

Combien de soldats sont disparus eux aussi ?

Le capitaine Carpentier raconte ainsi :
"1er juin. Le bruit d’une attaque générale pour le 10 juin court encore.
Le régiment est réformé. On nomme de nouveaux cadres.
Nous cantonnons quelques jours à Savy-Berlette, puis revenons à Capelle-Fermont.
Cette fois-ci nous changeons de secteur et allons attaquer à gauche de Neuville Saint Vaast".

La marche vers le nouveau secteur pouvait commencer, mais la montée en ligne n'aura lieu que le 13 juin.

loos_brasserienorel1

 

 

Le 13 juin 1915, le capitaine Carpentier et sa compagnie se dirigent vers leur secteur.
Nous traversons Frévin, Capelle, Acq, Ecoivres ; passons au pied du Mont-Sain-Eloi, dont l’église élève ses deux tours démantelées, qui découpent sur le ciel leur silhouette de squelette. En bordure de la route des mortiers de 270 cachés dans un petit bois, dirigent vers le ciel leurs gueules menaçantes. Nous nous engageons dans le boyau d’Ecoivres. Ce secteur, celui de l’attaque du 9 mai, est particulièrement bouleversé. Le sol est retourné, coupé de boyaux, d’anciennes tranchées, de parallèles de départ. A chaque carrefour, un écriteau avec un nom. Voilà le boyau de la ferme, qui conduit à la ferme de Berthonval, qui sert maintenant de dépôt de matériel. Puis d’anciens emplacements de batterie. Nous traversons l’ancienne première ligne française, les parallèles du Maroc, d’Alger, de la Légion, d’où nos légionnaires s’élancèrent le 9 mai, à l’assaut des « ouvrages blancs ». Nous descendons dans le chemin creux entre deux talus de plusieurs mètres et où les Allemands s’étaient fordimablement retranchés.

 berthonval_ferme_resize

 Nous passons la journée en réserve, aux ouvrages blancs. J’occupe un ancien gourbi allemand.


A proximité des tranchées, cachés dans des hautes herbes, de nombreux allemands dessèchent au soleil.
A notre droite la Targette.
Devant nous, le village de Neuville Saint Vaast, n’est plus qu’un monceau de ruines sur lesquelles les artilleurs allemands s’acharnent sans cesse.

 targette_hameau_routearrasbethune1

 

 16 juin 1915 - secteur du carrefour des cinq chemins - Neuville Saint Vaast

  « Le premier bataillon vient de charger, me dit le colonel, et je ne sais au juste ce qui se passe. Quelques blessés ont reflué vers nos lignes et prétendent que notre première vague n’a pas pu atteindre la tranchée allemande. Je vais téléphoner à la brigade ; prenez ma place et observez ».

Je monte sur la banquette, regarde et ne vois rien. Devant moi, à 50 m, une levée de terre me bouche la vue. J’enjambe le parapet et en rampant je cherche à m’en approcher. Soudain un souffle formidable, un éclatement, un nuage de poussière et de poudre. Je suis cloué au sol. Je cherche à me déplacer, impossible, ma jambe droite est cassée, ma main droite pend lamentablement, ma main gauche est pleine de sang. Je respire difficilement (éclats d’obus dans le poumon). Le moindre mouvement m’arrache un cri. Attendre ! Quoi ? L’attaque a échoué. Alors ! Rien à espérer avant la nuit, si je suis encore ne vie, car balles et obus continuent à tomber autour de moi et il n’est que 11h30. Mon sang s’est coagulé, mais le chaud soleil de cette magnifique journée de juin me brûle et me met au supplice. J’ai pu me mettre sur le dos et de ma main gauche, au prix de quels efforts et de quelles souffrances, me débarrasser de mes courroies qui enserrent ma poitrine et dégrafer ma capote. Je sens la fièvre qui vient. J’ai soif, ma respiration est de plus en plus difficile. Le temps me semble long, et puis je pense aux malheureux blessés que j’ai entendus pendant cinq longues nuits appeler au secours entre les lignes après l’attaque du 9 mai et qui y sont morts. Pourra-t-on venir me chercher ? Je dois être à 40m à peu près de la tranchée française, à 100m de la tranchée allemande.
Le soleil baisse, la nuit commence à tomber et avec elle l’ardeur des combattants. Les deux artilleries ont diminué leur cadence.

Tout à coup, il me semble entendre un bruit. Je tends l’oreille. Pas de doute, quelqu’un s’approche en rampant. Il est près de moi. Je tourne la tête et je reconnais Nicaud, mon brave Nicaud, un ancien soldat de ma compagnie qui lorsque je l’avais fait désigner comme brancardier quelques mois auparavant, m’avais dit : « Mon lieutenant, où que vous soyez, même sur le parapet de la tranchée allemande, j’irai vous chercher ».

-          Vous êtes blessé, mon capitaine ?
-          Oui mon vieux et grièvement !
-          Vous ne pouvez pas vous appuyer sur moi ?
-          Non, rien à faire !
-          Je ne peux pas vous transporter, vous êtes trop lourd ! Attendez, soyez patient, je vais revenir avec un copain »
Et il repart.
Vingt minutes après, il était de retour avec un camarade. Mais impossible de me transporter. Les Allemands sont nerveux et les balles sifflent sans arrêt. Mes deux hommes firent glisser alors une toile de tente sous moi, m’attachèrent dedans et tirant et poussant me remorquèrent ainsi jusqu’à la tranchée. Au prix de quelles souffrances ! « Surtout ne criez pas, mon capitaine », m’avait recommandé Nicaud ! Là, je suis pansé par le docteur Chambon et mon calvaire recommence. Il fallait en effet m’emmener à l’arrière ! Impossible de passer avec un brancard dans les boyaux nivelés. On me transporta donc sur une chaise. Six kilomètres de boyau sur une chaise, au milieu des rafales d’obus. A chaque carrefour, ma jambe blessée s’accrochait au contrefort de la tranchée. J’étais très déprimé et les brancardiers n’en pouvaient plus quand nous arrivâmes à Mont Saint Eloi ! Là, une voiture à un cheval, aux ressorts rien moins qu’élastiques, me transporta par une route défoncée jusqu’à Acq. Puis à Aubigny. Et le le 21 juin, je débarquais à la gare de la Chapelle à Paris.

  Sources: Général Marcel carpentier "Un Cyrard au Feu" Berger Levrault 1964

 

 

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