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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
19 janvier 2023

Le 90ème RI, "1906, va-t-on faire donner la troupe contre les grévistes?"

Partir d’un texte trouvé, rechercher d’autres sources et de fil en aiguille construire un article afin de comprendre un moment de la vie d’alors, telle est l’aventure que je vous propose. Je vous laisserai cependant en tirer les enseignements, vous laissant analyser les faits. Voilà ce que j’aime dans ce type de recherche, tirant l’écheveau des faits historiques bien souvent anodins mais ayant une résonnance parfois plus nationale, voire contemporaine. Toujours à l’affut de nouveaux faits, j’ausculte des documents qui pourraient nous apporter un angle nouveau, un regard oublié sur les faits liés aux régiments de l’Indre.
Recherchant des documents sur l’impact du passage de 2 à 3 ans de service militaire et ses conséquences dans le département de l’Indre, via le net, je partis sur une autre piste et l’actualité faisant loi, je produis cet article.

Ainsi donc, dans le cadre de mes recherches, je trouvais le bulletin de « L’actualité de l’Histoire » de 1957. Cet opus est le bulletin de l’Institut français d’histoire sociale et dont le directeur était alors Jean Maitron.

ActualiteHistoire

 

Aimant les chemins de traverse, je découvre le bulletin double de Décembre 1957. Un article intéresse particulièrement le département de l’Indre, puisqu’il s’intitule :

Le socialisme et le syndicalisme dans l’Indre des origines à 1920-1922 par G. Thomas.
Cet article est d’ailleurs accompagné par un autre au titre suivant : Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à 1939 par P. Cousteix.

Intéressons-nous tout d’abord à M. Georges Thomas. L’article nous présente l’auteur et indique : « Monsieur Georges Thomas, instituteur retraité, est l’auteur des études suivantes consacrées à l’histoire du socialisme et du syndicalisme dans l’Indre. Né le 8 décembre 1883 à Luant (Indre), il fonda, en mars 1911, le premier syndicat d’instituteurs du département et, à plusieurs reprises, en fut élu secrétaire… »
Sa fiche sur le Maitron (encyclopédie en ligne sur le mouvement ouvrier) nous détaille son parcours plus précisément.

Sa fiche matricule permet de rectifier certaines incertitudes et de compléter les informations présentes sur la fiche Maitron. On apprend qu’il fit son service au 90eRI de Châteauroux. En 1907, il fut nommé sergent et il fit ses périodes d’instruction en 1909 et 1911 à ce même régiment. De la mobilisation au 2 septembre 1914, il fut affecté au casernement étant gratifié de « campagne simple » (A l'armée, mais au sein du dépot). Le 3 septembre, il fut inclus au sein d’un des nombreux renforts nécessaires au vu des pertes. Il rejoignit alors la l'unité combattante du 90e RI et ce jusqu’au 9 mai 1915 à Loos en Gohelle. En tant que sous-officier, il reçut à ce titre une citation à l’ordre du régiment et la Médaille militaire. Il fut blessé (fracture plaie séton biceps balle) et soigné à l’hôpital de Nœux les Mines. Il parti alors en convalescence jusqu’en juin 1916 (hôpitaux puis dépôt des éclopés Caserne Bertrand de Châteauroux). Suite à une fracture du radius droit, il fut de nouveau hospitalisé de septembre 1916 à juin 1917. A ce moment, il fut alors réformé n°1 (cause de service). Entre temps, il avait été rattaché au 10ème d’infanterie le 22 octobre 1916.
On apprend aussi qu’il fut amnistié en 1921 suite à une condamnation (amende de 150 francs) pour une infraction aux lois sur les syndicats.

Revenons au texte qui nous intéresse. Après un chapitre sur le socialisme et son histoire indrienne, il en écrit un deuxième sur la naissance du syndicalisme indrien. Là, à la page 17, nous apprenons la participation du 90ème RI comme troupe de maintien de l’ordre.
L’armée et ses unités furent souvent utilisés comme troupes de maintien de l’ordre, l’affaire la plus connue étant celle du 17ème RI qui, à Béziers en 1907, leva crosses en l’air refusant de s’en prendre à la population locale.
Georges THOMAS écrit donc :

« A Châteauroux et à Issoudun, l’agitation fut assez intense pour la préparation du 1er mai 1906, date qui avait été fixée par le congrès confédéral de Bourges pour que la journée de huit heures fut exigée par tous les travailleurs.
Le 1er mai, le drapeau rouge du syndicat du Bâtiment fut arboré sur l’immeuble de la Bourse du travail de Châteauroux. Il y eut chômage complet à la manufacture des Tabacs et chômage partiel dans d’autres usines de la ville. Les ouvriers et ouvrières, qui avaient quitté le travail, défilèrent pacifiquement dans les rues en chantant « l’Internationale » et autres chants révolutionnaires.
Le 2e bataillon du 90ème Régiment d’Infanterie (les deux autres bataillons avaient été appelés à Paris pour rassurer la bourgeoisie qui croyait venue l’heure du « Grand Soir ») avait été consigné derrière les murs de la caserne Bertrand. Chacun des soldats, dont j’étais, avait reçu un paquet de cartouches à balle. Mais, heureusement, les fantassins n’eurent pas à intervenir.
A Issoudun, un cortège parcourut aussi les rues principales de la ville, drapeau rouge en tête, en faisant entendre tantôt des refrains révolutionnaires et tantôt le mot d’ordre de la manifestation : les huit heures ! les huit heures ! »

Pour corroborer le témoignage de George Thomas, il est utile de rappeler que celui-ci était né en 1883 et donc classe 1903. Ajourné en 1904 pour faiblesse, il fut incorporé pour son service militaire le 8 octobre 1905 et libéré 1 an plus tard, bénéficiant de la dispense « article 23 » d’un an au titre de l’engagement décennal en tant qu’instituteur (loi de juillet 1889). L’engagement décennal permettait alors aux instituteurs de n’effectuer qu’une année de service au lieu de deux en échange d’un engagement de 10 ans au service de l’Etat. Cet engagement existe encore de nos jours sur certaines professions publiques (Normaliens ENS, instituteurs engagés avant 1991, …)
Georges Thomas fut libéré de service militaire le 18 septembre 1906, en même temps qu’il fut nommé Caporal. Il était donc bien présent au moment des évènements de ce 1er mai 1906.
Du fait de sa conscription en cours, les rédacteurs indiquèrent la mariage de Georges Thomas, le 29 février 1915 avec MEGRAY Marie Marguerite, domiciliée à Gargilesse (36).

CaptureFicMat

Georges Thomas figure dans le Livre d'Or des instituteurs de l'Indre, dans le chapitre "Les Blessés"

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THOMAS Georges
Instituteur à Baudres

Classe 1903,
Incorporé le 3 aout 1914
SERGENT au 90e Régiment d’Infanterie
Blessé le 9 mai 1915 à Loos (Pas de Calais) – Blessure grave : bras droit atrophié

Croix de guerre Citation – 30 mai 1915
« Très bon sous-officier ; s’est toujours montré courageux dans les circonstances critiques. Belle attitude au feu pendant l’attaque du 9 mai au cours de laquelle il fut grièvement blessé. »

Médaille militaire Citation – Ordre du G.Q.G. – 13 juillet 1916
« Gradé modèle ; s’est vaillamment conduit au cours de nombreux combats auxquels il a pris part. A été blessé grièvement, le 9 mai 1915, en entraînant ses hommes à l’assaut de tranchées ennemies. La présente nomination comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec palme. »

 

Fichtre, une participation du 90ème RI aux troupes de maintien de l’ordre, voilà une option que je n’avais pas envisagée. Je m’éloignais de la « loi des trois ans » de 1913, mais j’aurai bien l’occasion d’y revenir.

En fouinant dans mes archives liées à des recherches antérieures, je retrouvais quelques informations dans le journal hebdomadaire « L’Echo de l’Indre » (journal de La Châtre, sous-préfecture de l’Indre). La situation est tendue au niveau social. Le journal, en date du 27 avril 1906, écrit « Les grèves. Dans le Nord, la grève peut être considérée comme terminée. Dans le Pas-de-Calais, on espère que la reprise du travail aura lieu prochainement. Le calme est revenu dans les esprits et les déplorables événements de la semaine dernière ne se sont pas renouvelés. Il est vrai que le déploiement de forces mis au service de l’ordre a donné à réfléchir aux ouvriers qui ne paraissent plus vouloir écouter les fauteurs de troubles. A Lorient, la grève générale continue. Chez nous, dans l’Indre, à Buzançais et à Châteauroux, une grève s’est produite cette semaine parmi les travailleurs du livre, typographes et imprimeurs. Une entente est intervenue et le travail a repris. Il parait que, comme toujours, cette grève avait été provoquée par des meneurs étrangers au pays. »  Dans son numéro suivant daté du 4 mai, je lis : « Le premier mai – La journée du premier mai qui, d’après certains journaux, devait nous amener les pires calamités, a été relativement calme, aussi bien à Paris qu’en Province et les Parisiens froussards qui avaient fui à Genève et à Bruxelles, en ont été quittes pour la peur et pour leurs frais.
le gouvernement, il est vrai, avait abandonné la politique du laisser-faire, qui avait si mal réussi dans le Nord, et il avait pris quelques précautions qui ont donné à réfléchir aux fauteurs de troubles.
Cinquante mille hommes de garnisons voisines avaient été appelés à Paris, en vue de prévenir toute tentative de désordre. Aussi, à part quelques échauffourées, inévitables quand plusieurs milliers de manifestants sont réunis, il n’y eut rien d’anormal à enregistrer, si ce n’est que Paris, d’ordinaire si remuant, avait plutôt en ce jour de premier mai l’aspect d’une ville morte. Pas un fiacre, de rares omnibus et a plupart des magasins fermés. Il ne faudrait pas beaucoup de semblables journées pour achever de ruiner le commerce et l’industrie déjà entamés par les grèves. Deux à trois cents arrestations, dont la plupart n’a pas été maintenues ; on déjà été opérées par la police, il est bon d’ajouter que, à Paris comme dans le Nord, la plupart des individus arrêtés ne sont pas de véritables ouvriers et appartiennent à la peu honorable corporation des gens sans aveu, ceux qu’on désigne sous le nom d’ « apaches ».
En province, on a chômé dans tous les centres ouvriers : quelques bagarres ont éclaté à l’occasion de ces manifestations, pacifiques au début, mais presque toujours dirigées dans un sens violent par des meneurs venus on ne sait d’où, de l’étranger peut-être, où l’on a tout intérêt à détruire notre industrie nationale. Les ouvriers français seront ma foi, bien avancés, d’avoir obtenu la journée de 8 ou 9 heures si les commandes vont ailleurs, comme cela s’est produit à Limoges et à Issoudun, par exemple, après les dernières grèves des porcelainiers et des mégissiers. »

Voilà une vision à l’opposé de celle de notre instituteur socialiste, mais reflet de la vision conservatiste de la presse de La Châtre de l’époque. Il était donc intéressant de comparer les 2 visions. Mais qu’en est-il du 90ème RI et de ce qui se passa à Paris ? Suivons donc le fil des sources accessibles. Rien n’est accessible du côté militaire, du côté de la caserne Bertrand. Je me suis donc reporté vers la presse ancienne en ligne, notamment via Gallica.
Et là, quelle ne fut pas ma surprise ! S'il n’y avait pas vraiment de traces du 90e au niveau départemental, il en était tout autrement concernant le niveau national.

Avant de continuer, il me semble intéressant de voir le contexte politique de notre affaire.
Nous sommes dans le cadre de la IIIème République qui fut instaurée au lendemain de la guerre 1870-1871 (et qui le sera jusqu’en juillet 1940). Il s’agit d’une République dite parlementaire est liée à un gouvernement exécutif, légitimé par le parlement. En 1906, le président est Armand Fallières et le président du Conseil des Ministres est Ferdinand Sarrien qui dirige ses ministres. Parmi eux, se trouve notamment Georges Clémenceau, ministre de l’Intérieur nommé en mars 1906 et qui d’ailleurs remplacera Sarrien en octobre 1906 tout en gardant son ministère.
Un autre personnage clé est le préfet de Police de Paris. Il s’agit de Louis Lépine, celui de la création des gardiens de la paix, des « hirondelles » à vélos, celui du concours d’invention, celui qui aussi fut préfet de l’Indre en 1885/1886.

Revenons à notre affaire. A force de fureter dans la presse, je sais certains titres de la presse nationale plus pourvoyeurs que d’autres, de petites informations souvent à la limite du fait divers. Pour cela je commençais donc par le Petit Parisien qui, dans son numéro du 2 mai, titrait en première page « Après le 1er Mai » en gros titre et là je trouvais une image et un compte-rendu très intéressant des évènements au lendemain de la manifestation.
« Paris avait repris, hier matin, sa physionomie habituelle. Dès la première heure, la rue, si morne la veille, s’éveilla dans le bruit et dans le mouvement des allées et venues des ouvriers qui se rendaient à leur travail … Des incidents tumultueux du 1er mai, il ne subsistait qu’un mauvais souvenir et aussi quelques dégâts… » S’en suivait la liste des dégâts, le signalement des rassemblements encore effectifs à la Bourse du Travail, le nombre de grévistes suivant les corporations et la liste de heurts, un report des manifestations nationales. Pour cela, la deuxième page était entièrement consacrée à la manifestation. En recherchant diverses informations sur cette période, on apprend que ce sont pas moins de 6000 cavaliers et 20.000 fantassins qui ont été appelés pour maintenir De nombreux lieux ont été investis par la troupe afin de museler les lieux de rassemblement habituels. On retrouve des Dragons, des cuirassiers, des hussards dont ceux de Niort (7e), parmi les régiments d’infanterie hormis le 90ème, j’ai aussi trouvé trace du 114e de Saint Maixent également du 9ème Corps d’Armée.

CapturePetitParisen_Kiosque

En milieu de lecture, à la 3ème colonne de la deuxième page, une indication réveilla mon intérêt. Un petit encadré signalait un accident survenu à un hussard qui patrouillait et chuta de cheval. Celui-ci était du 7e Hussards, un régiment de cavalerie du 9e Corps d’Armée, celui du 90ème Régiment d’Infanterie. Il y avait donc bien des troupes de la région militaire de Tours à Paris.
L’encadré suivant fit tilt. Dès la première ligne le 90ème RI était cité.

CapturePetitParisen_Loubel1

Loubel était un soldat du 90ème, le journaliste était bien informé car effectivement le colonel Appert était bien le chef de corps du 90ème de Châteauroux qu’il commanda d’ailleurs de 1902 à 1908. Voilà une affaire à laquelle je ne m’attendais pas.
Histoire de se rendre compte de ce cas précis, il est alors nécessaire de consulter d’autres journaux aussi en ligne.

Voici donc maintenant la version par le journal Le Gaulois. Si elle apporte de nouveaux éléments confirmant la présence du 1er bataillon du 90e par exemple, elle est intéressante justement parce que le scénario diverge quelques peu.

CaptureGAulois_Loubel

A ce stade, il devient intéressant de comparer maintenant avec la version du Figaro, puis celle de l’Humanité qui ne parlera de notre affaire que le 3 mai 1906, comme le journal Le Matin. 

Ensemble

N'ayant pas les réels aboutissements de cette affaire, je vous laisse vous faire une opinion concernant les différents scénarios proposés par la presse d’alors, même si je pense que les 3 dernières versions, les plus modérées au final, les moins sensationalistes me semblent les plus plausibles.
J’ai cherché à retrouver le soldat Loubelle (Loubel ?), mais j’ai fait chou blanc jusqu’à maintenant. Pour exemple, point de Loubel(le) au 90e RI sur le Grand Mémorial, mais les fiches matricules sont bien loin d'être toutes indexées.

Je termine cet article avec quelques images des troupes de maintien de l'ordre lors des manifestations. Si je n’ai trouvé aucun cliché castelroussin, en voici de la manifestation parisienne qui fut très bien couverte par les photographes et qui en tirèrent même profit au travers de cartes postales..

19060501_FantassinsRepos

19060501_FantassinsRepos1

19060501_Lepine

Sources utilisées BNF Gallica, AD36, Fonds documentaire de l'auteur.
Merci à Cécile Ageorges pour les informations concernant Georges Thomas

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H
vouahhh
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