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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
3 mai 2023

Philippe Septier, classe 1917, il en reviendra, mais ...

Bien souvent, lors de la trouvaille d’une photographie, on est obligé de se contenter d’admirer le sujet représenté. On est bien rapidement limité dans l’interprétation que l’on peut porter. Rien ne ressemble plus à un cliché de militaires du début du XXème siècle qu’un autre cliché de militaires de cette même période. Les poses, les attitudes divergeront, mais sans analyse du contexte et des détails représentés, cela restera simplement un cliché.
Afin d’aller un peu loin, il est nécessaire d’analyser et d’interpréter les détails représentés, le contexte du cliché, … L’idéal est quand le cliché est nommé. Non, que l’on puisse systématiquement identifier clairement l’individu sur le cliché, mais il se peut que ce soit alors un indice, utile pour entreprendre une recherche plus poussée.

Le cliché présenté ici est assez classique et représente un groupe de soldats du 90e RI. Le cliché a l’avantage, au verso, d’être nominatif, daté et adressé.
Commençons l’analyse du recto, le côté « photographie ».

RI090_19160805_SeptierPhilippe_EscouadeChateauroux_recto1

17 soldats prennent la pose pour le photographe. Le cliché est très codifié et correspond à une séance photo organisée, il n’y a pas d’improvisation dans ce cliché comme nous le verrons plus tard.

Nous sommes dans une cour extérieure, le long d’un mur agrémenté de 2 fenêtres à au moins 8 carreaux par vantaux. La zone, le long du mur, est pavée sur une distance d’environ 2m et ensuite le terrain est de terre battue. Cela permet d’avoir une surface « propre » et sans boue l’hiver et sans poussière l’été. Ce type de configuration doit se retrouver régulièrement dans les différentes casernes de France, tant celles-ci ont été bâties sur le même modèle au lendemain de la guerre de 1870. En tout cas, cela correspond pleinement à la configuration de la caserne Bertrand de Châteauroux comme on peut le voir sur ce cliché pris en 1904 et concernant le 2e peloton de la 6e Compagnie du 90e RI.

RI090_1904_17_1

Ce cliché permet de mieux visualiser les fenêtres des casernes qui étaient, en réalité ornées de 2 fois 10 carreaux sans compter ceux des impostes, dont un était ouvrable pour permettre l’aération des locaux. Les pierres d’ornement de l’entourage des fenêtres correspondent.
Difficile de cibler tel ou tel bâtiment précis au sein de la caserne Bertrand. Vraisemblablement, il s’agit d’un des 3 bâtiments cernant la cour d’honneur, bâtiments hébergeant les bataillons ou l’Etat-Major. Le lieu est en tout cas un lieu récurent pour les photos de groupe.

Intéressons-nous maintenant aux personnes présentes sur le cliché. 17 personnes sont là, mais tout de suite une se détache du lot.
Comme je l’indiquais un peu plus haut, le cliché suit un certain protocole lié à la hiérarchie. Au centre, au premier rang, assis, se trouve un gradé qui semble plus âgé. Tout autour de lui, sont présents de jeunes soldats ils portent tous la même tenue et les mêmes équipements. A la caserne …, de jeunes soldats, un gradé un peu plus vieux … on peut en déduire que nous sommes en présence de soldats à l’instruction posant avec leur instructeur.

RI090_19160805_SeptierPhilippe_Caporal1 Grades2

Il est à noter tout d’abord que notre gradé a repassé avec une craie, ses insignes tant de col que de manche. Fier de son grade et de ses chevrons, ainsi que de son numéro d’unité, il les a crayonnés de blanc pour les faire ressortir sur le cliché. En bas de manche, on peut voir les 2 galons obliques du grade de caporal (ordinairement rouges) et sur les haut de manches, on voit les chevrons de présence et de blessures.

Circulaire du 21 avril 1916 :
« Il est, en outre, créer pour les officiers et hommes de troupe de toutes armes et services ayant un temps déterminé de présence aux armées, ou ayant reçu des blessures de guerre, des insignes constitués par des chevrons en forme de V renversé de la couleur du galon à raison de :
1° - Un chevron pour une année effective de présence dans la zone des armées et un chevron supplémentaire pour chaque nouvelle période de six mois. Cet insigne porté au bras gauche.
2° - Un chevron par blessure de guerre, un chevron représentant les blessures multiples. Cet insigne sera porté au bras droit. »

Notre caporal a donc effectué une période de 18 mois en Zone des Armées et y a reçu une blessure. Cette blessure est très certainement la cause de son renvoi à l’arrière et son maintien au dépôt comme instructeur. La présence des chevrons nous indique aussi que nous sommes dans une période antérieure au mois d’avril 1916.
Un autre point qui marque son statut de « vieux briscard » et marque ainsi son autorité, il a gardé son képi modèle 1884, celui de la mobilisation de 1914.

Concernant les soldats, ceux-ci sont au nombre de 16, ce qui correspond à la structure d’une chambrée (Je prends un peu d’avance sur le verso de la carte-photo). Cela correspond à une escouade. Cette structure permet la vie courante du groupe tant dans le couchage, le ravitaillement que concernant la répartition des tâches et des équipements.
Théoriquement ils sont au nombre de 13 plus 1 caporal au sein d’une escouade de compagnie, ici, à l’instruction (peut-être uniquement pour ce cas précis), le nombre est porté à 16 soldats et un caporal. On retrouve ce même nombre de 16 sur d’autres clichés d’instruction. Il faut 16 escouades pour former une compagnie.

On notera que les soldats assis au premier rang, ont, pour certains, eux aussi crayonner leur numéro d’unité.

RI090_19160805_SeptierPhilippe_Soldats1 
Extrait du cliché qui montre bien le crayonnage. A droite, le 90 en blanc, au centre il est présent
mais la différence de couleur entre le bleu et le rouge n'est pas visible.
A gauche, l'angle et l'éclairage permettent de discerner le 90.


RI090_19160805_SeptierPhilippe_Soldats2

RI090_19160805_SeptierPhilippe_Soldats3

Concernant les tenues, on retrouve des tenues de dépôt constituées de tuniques troupe bleu foncé de modèle 1897, on reconnait les 7 boutons bombés et les parements de manche de couleur garance (rouge). Les pantalons semblent aussi ceux de la mobilisation et les molletières sont plus ou moins bien enroulées. Concernant, les molletières, pour l’anecdote, il est à noter le soldat qui se trouve à droite de notre caporal, a ses molletières enroulées de manière idéale. Elles sont d’ailleurs mieux enroulées que celles de notre caporal. Les brodequins sont les brodequins réglementaires et sont très bien entretenus.

RI090_19160805_SeptierPhilippe_EscouadeChateauroux_recto2
A gauche, un pro de la molletière. Félicitations.

Autre point important de la tenue, le képi. Depuis la mi-1915, la tenue Bleu Horizon est de mise dans les unités au front. Au vu des manques de disponibilités en équipement, il est courant de réserver les anciennes tenues pour les dépôts et ainsi de privilégier les troupes en ligne, en nouveaux équipements.
Cependant, il est à noter que les képis de nos jeunes recrues sont tous des modèles Bleu Horizon. Les variantes étant très nombreuses, je n’indiquerai pas de modèle spécifique. S’il y a un volontaire, un pro du képi parmi les lecteurs de cet article, n’hésitez à nous informer du modèle précis

Afin de voir l’évolution des escouades d’instruction au long du conflit, tous ces éléments sont à rapprocher avec les études qui avait été réalisées en 2015 sur la Classe 1918 du Capitaine Bouverat et celle concernant la Classe 1916 à Châteauroux diffusée en 2014

Difficile d’aller plus loin concernant cette face de notre cliché. Passons maintenant au verso et intéressons-nous au contexte de ce cliché.

RI090_19160805_SeptierPhilippe_EscouadeChateauroux_verso1

Châteauroux le 5-8bre-1916
Chère Madeleine
Je t’envoie ma binette, toute la chambrée y est, tu vois nous sommes 16 par chambrée
A bientôt
Philippe

Mademoiselle Madeleine Septier, couturière
chez sa mère
La Haye-Descartes
Indre et Loire

Le texte n’est, certes, pas très prolixe, mais c’est suffisant pour avancer un peu plus dans l’identification. Un regret cependant, si Philippe indique à Madeleine Septier que l’on peut « voir sa binette » sur le cliché, 100 ans plus tard, nous, nous ne pouvons le faire. Il n’a rajouté aucune marque particulière qui nous permettrait de mettre un visage sur ce prénom de Philippe. Le cliché a certainement été pris pour le compte de l’escouade et distribué à plusieurs membres de cette escouade.

Essayons d’identifier Philippe.

Deux possibilités, Madeleine est soit une petite amie, soit un membre de sa famille. Il est donc plus facile de chercher via l’écheveau que constitue Madeleine Septier et qui demeure à La Haye Descartes.

En utilisant les données « ouvertes » (sans abonnement) du site Généanet, on trouve très rapidement notre demoiselle. 2 arbres généalogiques (jbarre2 et chuet) nous permettent de faire connaissance avec Septier Madeleine Mélanie. Celle-ci est née à La Haye Descartes en 1894 et est décédée à Tours en 1975. Elle se maria par 2 fois en 1920 et 1933. Cependant point de Philippe dans tout cela. Aurions-nous affaire à une amourette sans lendemain ?
En regardant la généalogie plus précisément, une suprise nous attend et il est alors impossible de trancher, deux scénarios s’offrent à nous avec une seule certitude, celle que Philippe Septier est le frère de Madeleine.

Mais quelle Madeleine ? Philippe a effectivement 2 sœurs qui toutes les deux se prénomment Madeleine.

Philippe Septier peut ainsi être le frère jumeau de Marguerite Madeleine. Tous deux enfants de Philippe Septier et Mélanie Marie Démée, nés le 17 juillet 1897 à La Haye Descartes.

AD37_ActNais_SeptierPhilippe1

Autre possibilité, il s’agirait alors de son autre sœur Madeleine Mélanie, née le 4 aout 1894, aussi à La Haye-Descartes.

AD37_ActNais_SeptierMadeleine1

A défaut donc de pouvoir trancher concernant la sœur concernée par le courrier, voici donc maintenant la présentation Philippe Septier.
Sa fiche matricule est présente aux AD37 en Classe 1897 du recrutement Le Blanc avec le numéro de matricule 121.

Sa fiche matricule aux AD37: https://archives.touraine.fr/ark:/37621/74sbk3rdczxn/ae33a5fc-f3e3-46c6-91bf-86b71264ce7c

Au moment de sa conscription, il est tout d’abord ajourné d’un an pour faiblesse et classé dans la liste 5 de 1915. En 1916, il est classé dans la 1ère partie.

CaptureClassementRevision

Philippe est donc incorporé à compter du 9 aout 1916. Il est affecté au 90eRI de Châteauroux pour y faire son instruction. La colonne « corps d’affectation » nous indique 2 unités le 90e et le 72e. D’après le cliché en octobre 1916, il est encore à Châteauroux au 90e. La situation n’est pas très claire mais la fiche indique un « départ aux armées le 8 mars 1917. La partie « Campagne » indique qu’il est considéré « à l’intérieur » du 9 aout 1916 au 7 mars 1917. Il est donc au dépôt. L’administration le considère « aux armées » du 8 mars 1917 au 28 octobre 1918. A cette date, il est évacué car gazé au front pour la 2e fois. Une première fois le 04 aout 1918, sans évacuation puis à nouveau le 29 octobre 1918. Cette deuxième blessure engendre son évacuation jusqu’au 01/10/1919 où il est mis en congé par le dépôt des 66e et 68e RI. Il est alors démobilisé.

Concernant les affectations, je suis parti dans l’hypothèse qu’après son instruction à Châteauroux, il fut affecté au 72e comme renfort. Aucune trace de lui tant dans le Journal de Marche et Opérations du 90e RI que dans celui du 72e, ceux-ci n’étant pas nominatifs. Cependant, à la date du 4 aout 1918, dans le JMO du 72eRI (26N659/17), il est reporté que « l’artillerie ennemie se montre assez active surtout de 1h30 à 4h30 où elle exécute des tirs violents de et gros calibres mêlés d’obus à gaz. Pertes du 3 au 4 : 1tué – 4 blessés »
Phillipe Septier serait parmi ceux-ci. Rien concernant le 29 octobre.

Au final, la fiche matricule nous apprend que Philippe décède à Azay-le-Rideau le 1er aout 1920, quasiment 4 ans après son incorporation. Or, sur son acte de décès, il est déclaré comme décédé dans la rivière l’Indre. Accident ? suicide ?

AD37_ActDC_19200802_AzayRideau_SeptierPhilippe1

Les archives départementales d’Indre et Loire ont eu la bonne idée de numériser et mettre en ligne la presse locale. Le détail de cette triste fin nous apparait dans un petit report au sein du « journal d’Indre et Loire » en date des 2 et 3 août 1920.

AD37_Presse1920_SeptierPhilippe1

Philippe Septier n’avait alors que 23 ans et aujourd’hui revit un peu grâce à une simple carte-photo retrouvée dans une brocante.

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Commentaires
L
super article, c'est vraiment génial de pouvoir faire parler une photo comme cela
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