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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
90e ri
25 janvier 2022

Jacques JUSSERAND, un orphelin castelroussin "adopté" par les Etats-Unis.

Au-delà d’une simple étude liée aux soldats du département, d’un simple copier/coller de données déjà existantes et juste remises en forme, je souhaite ici m’intéresser aux enfants des soldats défunts et au détail de la démarche entreprise pour reconstituer le puzzle à partir d'un cliché.

Plus ou moins directement, j’ai ainsi déjà abordé le cas de Suzanne DOIT , fille de l’adjudant DOIT du 68e RI, celui de Jeanne, fille du sergent Teinturier du 290e RI  . Aujourd’hui, intéressons-nous au cas de Jacques JUSSERAND de Châteauroux et qui correspond à une découverte sur le net effectuée il y a quelques temps déjà, que je n’avais jamais pris le temps de mettre en forme et que l'actualité me décide à aborder.

Le point de départ est un cliché daté de novembre 1918 et représentant un enfant castelroussin. Le cliché provenant du fonds de l’American National Red Cross via le site de la bibliothèque du Congrès américain (Library of Congress). Sur ce site, nombreux sont les clichés présents ayant un lien avec le département de l’Indre. L’armée américaine fut une grande pourvoyeuse de photographies de l’époque 1917-1921. Pour cela, il suffit d’ailleurs d’utiliser le moteur de recherche avec les mots clés « Châteauroux » ou « Issoudun » pour obtenir une liste conséquente de clichés tant pour le « Base Hospital » de Bitray, la vie castelroussine des soldats américains que concernant le « Américan Aviation Camp » de Volvault.

Parmi les clichés, un de ceux qui m’intéresse est celui d’un enfant posant fièrement, chez un photographe avec une Croix de Guerre ornant sa poitrine.

https://www.loc.gov/item/2017683094/

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La légende nous indique divers éléments quant à ce cliché :

« Jacques Jusserand, adopte. Address: 6 Rue des Fontaines St. Christophe Chateauroux (Indre) protege of: Fourth Platoon, Co. K, 102nd Infantry, American Expeditionary Forces digital file from original »

Le cliché retenu nous présente donc Jacques JUSSERAND demeurant au 6 rue des Fontaines à Saint-Christophe Châteauroux, Saint Christophe étant un quartier de Châteauroux, le 6 de la rue des Fontaines existe encore de nos jours. Il n’a pas été cependant entrepris de recherche dans les recensements de 1911 ou de 1921, tous les deux sont disponibles tant sur le site des Archives Départementales que sur celui des Archives Municipales de Châteauroux Métropole.

Le texte nous indique aussi qu'il est le protégé (« adopte » au sens parrainé) de la 4e section du 102e régiment d’infanterie (US) des Forces Expéditionnaires Américaines (AEF) et précise que le fichier présenté est la version numérique d’un cliché original. Le détail nous permet d’apprendre qu’il s’agit d’une plaque de verre négative de 5 par 7 in. (12,7 par 17.8 cm) et que ce cliché provient de la collection de la Croix Rouge américaine (American National Red Cross)

Dans cet article, nous nous intéresserons tout d’abord à Jacques JUSSERAND et à sa famille, puis de manière plus anecdotique à l’unité citée, le 102e Infantry.

- Qui est Jacques JUSSERAND ?

Le cliché et sa légende nous apprennent que la date de la prise de vue est le 29 novembre 1918. Symbolique récurente, le port d’une croix de guerre laisse présager qu’il s’agit d’un orphelin, comme dans le cas de Suzanne DOIT. L’enfant porte la médaille posthume du père qui n’est pas revenu.
Dans les listes des soldats défunts du département http://indre1418soldats.canalblog.com/ , le patronyme JUSSERAND apparait 6 fois et un cas seul correspond à Châteauroux, les autres concernant Les Bordes, Issoudun, Neuvy-Pailloux, Vatan et Saint Florentin.

La fiche de Georges Auguste JUSSERAND sur Indre1418Soldats

- Comment donc retrouver le lien entre JUSSERAND Georges Auguste de Châteauroux, soldat du 90e RI et Jacques JUSSERAND, enfant pris en photo en 1918 par la Croix Rouge Américaine ?

Un petit tour parmi les fiches matricules issues des Archives Départementales s’impose. Nous regardons donc la fiche 520, classe 1903 du recrutement de Châteauroux.
Georges Auguste est un soldat, ébéniste de profession, qui a été mobilisé au 13e RI, mais est passé au 90e RI le 14 mars 1915. Il participe à l’hécatombe du 9 mai 1915 à Loos. Il est finalement blessé aux Ouvrages Blancs de Loos-Liévin (62) et transporté à l’hôpital de Noeux les Mines où il décède le 28 octobre 1915. En date du 30 octobre, il est cité à l’ordre du Régiment pour ses faits d’armes lors de la journée du 9 mai et reçoit la Croix de Guerre.

La fiche matricule nous indique aussi que la veuve née Berthe LUBIN a reçu un secours immédiat (de la part de l’unité) en date du 17/12/1915 et qu’elle demeure alors à Châteauroux.
A propos des Ouvrages blancs et de Noeux les Mines, il est possible de se reporter à l’article publié en 2015 

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- Petit à petit, nous nous rapprochons de Jacques, mais comment faire le lien ?

Un petit tour sur l'essentiel mémorial virtuel de Châteauroux Métropole  s’impose maintenant pour visualiser la fiche de Georges Auguste JUSSERAND. Etabli à partir des données issues du collectage et des nombreuses et laborieuses recherches des membres de la Société de Généalogie du Bas-Berry, le site nous donne de nombreux renseignements concernant Georges Auguste. Nous trouvons ainsi la confirmation du mariage de Georges Auguste avec Berthe LUBIN, mais détail déterminant, les données de la SGBB indiquent les prénoms des enfants du défunt. Nous trouvons donc « Madeleine, Berthe » née en 1909 et « Georges, Charles, Jacques » né en 1911.

La boucle se boucle et passe donc par les registres d’Etat-civil de la commune de Châteauroux.

Un regard sur l’acte de naissance permet de confirmer les prénoms et la présence de Jacques comme 3ème prénom. L’acte nous apprend aussi que Georges Charles Jacques a été "adopté par la Nation suivant jugement du Tribunal de Châteauroux en date du 23 juillet 1918" signé le greffier en date du 14/04/1919. Ces éléments furent aussi reportés sur l’acte de naissance de sa sœur Madeleine Augustine Berthe.

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AD36 – Chateauroux 1911 – 3E044/174 page 109/496

L’acte de naissance nous donne aussi, en mentions marginales, les dates de mariage des 2 enfants et surtout la confirmation que les 2 enfants orphelins furent reconnus et adoptés par la Nation.

Via les données INSEE disponibles sur le net, il est possible de retrouver référence au décès de Georges Charles Jacques le 05/09/1996 à Saint-Maur (36) https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/fichier-des-personnes-decedees/

 

- Comment expliquer maintenant la présence de Jacques parmi les photos de la Croix Rouge Américaine ?

Dans le cadre de ses œuvres de charité, certainement aussi en vue de lever des fonds, la Croix Rouge Américaine avec l’aide des militaires de l’AEF mis en place une campagne d’adoption d’enfants français par des unités US. Le site Library of Congress comporte plusieurs centaines de portraits d’enfants adoptés.

Il est ainsi possible de retrouver 737 photos d’enfants « adopte » par des unités ou des soldats de l’AEF, voir des civils https://www.loc.gov/search/?c=150&q=adopte&sp=5&st=list


Parmi tous ceux-ci, voici les enfants indriens et leur parrain ou marraine (Attention les orthographes sont incertaines) :

Andrée Vaugis https://www.loc.gov/item/2017683541/ (Veterinary Hospital 9)
Née à Palluau en 1905 et gantière sur les recensements de Loches 37 en 1921 via Geneanet
Présente sur l'arbre Généanet de Jean-Louis Strauss

Gaston Paulumier https://www.loc.gov/item/2017683542/ (115th Field Signal Battalion)
Paulmier Gaston originaire de Villegouin et présent sur l'arbre Généanet de Jean-Louis Strauss

Jacques Jusserand https://www.loc.gov/item/2017683094/ (4th Platoon 102e Infantry)
Non trouvé Généanet en données gratuites (obligation premium)

Simone Duris https://www.loc.gov/item/2017683220/ (54e Field Artillery Brigade)
Non trouvé Généanet en données gratuites (obligation premium)

 Juliette Petouin https://www.loc.gov/item/2017666546/ (Miss Winifred Holhan – Hollywood CA)
Originaire de Arthon et retrouvée sur l'arbre Généanet de Laurence Giraud Allanic 

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A propos des « Adopted Orphans » un site qui proposent 1000 portraits d’enfants orphelins, adoptés ou protégés par les troupes américaines et ayant aussi comme source les photos de la American Red Cross (LOC) : https://milanpatrick8.wixsite.com/ww1-us-photos/children-in-the-war


 

Rajout des 26 et 27/01/2022: Jean-Pierre Surrault, président de l'Académie du Centre, me signale dans les commentaires :

"Dans le même esprit d'adoption d'enfants français voir l'article d'Annette Surrault dans la Revue de l'Académie du Centre 2021: Marie de Prissac, orpheline de la grande guerre, pupille de la nation et filleule de "La fraternité franco-américaine, 1918-1952, p.92-109. Il s'agit dans ce cas de l'action de l'association Fatgerless children of France" 

https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/la-revue-2021-de-l-academie-du-centre-est-parue

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Sources Cliché NR36

 

Cartes souvenirs du 4 juillet 1921 à Châteauroux sous l'égide du "Fatgerless children of France":

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Pourquoi s’intéresser au 102th Infantry Regiment ?
Non pour recopier l’historique de ce régiment de la 26e Division US, il se trouve assez facilement sur le net. Il n’apporterait d’ailleurs pas grand-chose à cet article et de plus, je ne suis pas assez pointu concernant les actions des unités US.
Mon intérêt s’est porté sur ce régiment, non seulment parce qu'il adopta Jacques Jusserand mais aussi à cause de sa mascotte. En effet, le 102e RIUS avait une mascotte particulière qui a connu une renommée mondiale, qui possède son nom gravé au Liberty Mémorial de Kansas City.

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https://en.wikipedia.org/wiki/Sergeant_Stubby#/media/File:Sgt_Stubby's_brick_at_Liberty_Memorial.jpg

Tout ceci en fait une mascotte unique et canine, car effectivement, il s’agit du Sergent Stubby qui se trouve être le chien de guerre le plus décoré de la première guerre mondiale.
A propos de son parcours et de ses exploits : https://fr.wikipedia.org/wiki/Stubby

Sergeant_Stubby

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29 décembre 2021

"L’heureuse fin de se tant désiré trois cent que nous atendions" - Châteauroux 1913

La tradition du Père 100 est connue de ceux qui ont effectué leur service militaire ou effectuer une formation sur une longue période. «100 jours avant la quille», «100 jours avant le bac».
En 1914, le service militaire a une durée de 3 ans, les lois de 1913 ont changées la durée su service passant celle-ci de 2 à 3ans.
Cependant, la Classe 1911, ceux nés en 1891, ne fut pas concernée par ce passage de 2 à 3 ans de service militaire. Incorporée en fin 1912, cette classe d’age ne devrait donc être libérée que vers octobre 1914.
L’Histoire devait, au final, précipiter les choses vers les mois d’aout 1914. Ils prendront donc presque 7 ans de service armé. Ils ne furent libéré que vers aout 1919.

Sur le cliché ci-dessus, les soldats de la classe 1911 de la 5e Compagnie du 90e RI de Châteauroux.

« Cher oncle et tante Je vous écrie ses quelque mots pour vous faire part de l’heureuse fin de se tant désiré trois cent que nous atendions depuis sy longtemps mais enfin s’est arrivé »

Il est à noter comme me le signale Arnaud Carrobi que l'auteur se rappelle bien que le texte de loi ayant trait à la loi des 3 ans n'applique le passage d'une année supplémentaire qu'à partir de le classe 1913 (voir gallica BNF)

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La mobilisation, la guerre n’attendront pas 300 jours et la tourmente se déclenchera dans 240 jours seulement.

Quelques photos de ce rite de passage à la vie d'adulte que constituait le service militaire, parfois à défaut de tomber sur un compte rond, on compte simplement les jours restants d'ici la fuite.

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27 août 2021

Montécouvé - Juvigny (Aisne): une renaissance indrienne programmée le 29 aout 2021

Depuis 2008 et ma découverte de ce monument disparu, je vois se réaliser un voeu longtemps resté sans suite, il ne faut jamais désespérer, 13 ans plus tard.


Ce week-end, la renaissance du monument de l'Orme de Montécouvé.
La présence actée du 90ème Régiment d'Infanterie et de l'association Magenta pour le souvenir de nos anciens
merci à eux, Merci à l'association de l'Orme de montécouvé, Merci aux municipalités concernées

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Fabrice Visbecq et son association m'ont fait une superbe surprise. Il y a deux jours, Fabrice m'a annoncé l'inauguration et la renaissance du Monument de Montécouvé programmée pour le 29 août 2021.

"90e RI - 17eDI a enlevé l'Orme de Montécouvé et l'a conservé le 23-24-25 Aout 1918"
Voilà ce que l'on pouvait lire sur le monument qui se trouvait au lieu appelé l'Orme de Montécouvé, sur le territoire de la commune de Juvigny dans l'Aisne. C'est aussi à cet endroit que le 68ème RI fut aussi engagé et y perdit son chef de corps, le lieutenant-colonel Rosset.

Ces monuments sont les témoins de l'engagement des régiments du département de l'Indre. C'est effectivement à cet endroit que le régiment de Châteauroux et le régiment du Blanc et Issoudun fournirent leur dernière grande bataille au sein de la 17ème Division d'Infanterie. Pendant plusieurs jours, ils progressèrent et tinrent position avent d'être relévés. Ce sont pas moins de 162 soldats du 90e RI et 103 soldats du 68e RI qui décédèrent pendant ces journées fatidiques qui se poursuivirent jusqu'à la fin du mois au travers d'une avancée continuelle et d'un engagement sans répit. Ce furent aussi plusieurs centaines de blessés qui décimèrent les unités.
Pour comprendre l'importance de cet engagement, il est possible de se reporter à une note du Général Mangin, commandant l'Armée

« Il s’agit de gagner la bataille.
La bataille sera gagnée si nous atteignons les hauteurs qui dominent la plaine de Laon, nous assurant ainsi le débouché en plaine et l’exploitation.
Pour y arriver, il convient de donner à la progression la forme la plus rapide possible de façon à empêcher l’ennemi de se reprendre sous les coups répétés qui lui sont portés.
La bataille devra être gagnée en un jour.
Les moyens mis en œuvre, la situation tactique, la situation morale de l’ennemi permettent d’obtenir ce résultat. »
N°1086S de la Xe Armée du 26/08/1918

Voici un extrait d'un rapport afin de résumer l'engagement des 2 régiments de la 17e Division et qui servit pour l'obtention d'une citation à l'ordre de l'Armée:

ID 17 Etat-Major n°109
PC le 25 août 1918
Rapport à l’appui d’une proposition de citation à l’Ordre de l’Armée en faveur des 68e et 90e RI

Dans la nuit du 21/22 août, l’ennemi qui, la veille, avait offert une forte résistance, quitte ses positions pour continuer son mouvement de repli.
Les 68e et 90e Régiment d’Infanterie, entrant en ligne rapidement au début du jour, entament la poursuite, refoulant les derniers éléments de l’ennemi, tournant et enlevant les nids de mitrailleuses chargées de couvrir sa retraite.
Soumis pendant toute la progression à un violent tir de harcèlement, les 2 régiments, qui depuis 15 jours, sont au bivouac et ont du faire de nombreuses marches de nuit, exécutent, suivant l’ordre reçu, un difficile mouvement de conversion à droite, en liaison avec les régiments des divisions voisines.
Ils arrivent ainsi devant la position de résistance que l’ennemi a reçu l’ordre de défendre à tout prix. Ils attaquent aussitôt, presque sans préparation d’artillerie, et progressent encore en dépit du feu extrêmement violent de nombreuses mitrailleuses.
Le 23 août, les 68e et 90e RI se portent de nouveau à l’attaque d’un seul élan, refoulant l’ennemi qui, appuyé par une nombreuse artillerie, résista avec acharnement. Sans réussir cependant à enlever d’un seul coup la totalité de la formidable position de l’ORME DE MONTECOUVE, la brusquerie de l’attaque, les heureuses initiatives individuelles du 68e et l’habile mouvement tournant du 90e parviennent à l’encercler à un point tel que l’ennemi juge sa situation compromise.
Par une contre-attaque d’une extrême violence, exécutée à la tombée de la nuit par le 7e Bataillon de Chasseurs à Pied, l’une des meilleures troupes allemandes, l’ennemi cherche à rompre la ligne qui commence à l’encercler étroitement, mais le courage, le sang-froid et la ténacité dont font preuve les 68e et 90e RI rendent inutile l’effort des Chasseurs qui refluent vers leurs lignes après avoir subi des pertes énormes.
Devant l’échec de sa tentative, l’ennemi se décide de nouveau à la retraite, rendue impérieusement nécessaire, non sans essayer de la couvrir par une attaque qui est repoussée. La vigilance des 68e et 90e ne permet pas que ce décrochage passe inaperçu et, déjà, tous espèrent que la poursuite va reprendre.
Mais tel est le prix attaché par l’ennemi à cette position qu’il ne peut se résigner à l’abandonner sans tenter encore une fois la chance. Il s’est retiré dans la nuit parce qu’il se voyait cerné, mais en même temps il faisait appel à de nouvelles troupes et, à 6 heures, se lançait à l’assaut après une violente préparation. Pliant un instant sous l’effort, les éléments avancés des 68e et 90e cèdent quelque terrain, perdant ainsi la crète.

(Nota Indre1418: Malheureusement, nous n'avons pas trouvé le verso)

Au delà du combat, pour revenir au monument de Montécouvé, le journal de Marche du 90e nous apprend ceci en date du 2 septembre 1918:

"Pendant la période du 29 août au 2 septembre, les pionniers du 90e, avec un outillage de fortune, sous les ordres de l’Adjudant-chef BAUCHE élèvent sur le sommet de la colline de Montécouvé, un monument sommaire à la mémoire des camarades tombés dans la bataille. Ce monument en forme de pyramide, dont les pierres ont été apportées de la ferme de Mareuil, mesure 3m de hauteur. La base carrée à 1m50 de côté. Il est entouré par une chaine en fer de 16m de longueur soutenue par 4 torpilles allemandes de 240mm. La face Nord porte l’inscription suivante : « Hommage à nos morts glorieux » La face Sud porte une autre inscription «17e Division – 90e RI. Le 90e a enlevé l’Orme de Montécouvé les 23-24 et 25 août 1918 et l’a conservé ».
Une bouteille déposée à l’intérieur de la maçonnerie contient les noms des pionniers qui ont élevé le monument."

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A la suite de ces faits, le 90e Régiment d'infanterie reçut une nouvelle citation:

"Superbe régiment dont la valeur s'est maintes fois affirmée sur les champs de bataille de l'Yser, de Verdun, de la Somme et du Chemin des Dames. Vient de prendre, pendant cinquante jours consécutifs, sous le commandement du lieutenant-colonel Detanger, une part sérieuse à la poursuite sur la Vesle d'abord, puis sur l'Ailette. Arrivé à l'extrème limite de la fatigue, réduit à 600 combattants, privé de presque tous ses cadres, n'en a pas moins tenu à l'honneur de prolonger son effort dans l'espoir de précipiter la retraite de l'ennemi et à attaquer violemment une forte position ennemie, progressant malgré les feux, venant sur le droite d'une hauteur dont une Division voisine ne réussissait pas à s'emparer; a atteint tous ses objectifs, faisant des prisonniers, capturant des mitrailleuses qu'il a conservées en dépit de deux contre-attaques à l'exécution desquelles l'ennemi mit un tel acharnement qu'il y eut une furieuse lutte corps à corps."

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 Non loin, à quelques dizaines de mètres, un deuxième monument, une stèle rend hommage au Lieutenant-colonel Rosset et aux soldats du 68e Régiment d'Infanterie:

Citation du 68e Régiment à l'ordre de l'Armée:
Décision du Général Commandant en Chef comprise sous le n°41415 du 28 septembre 1918.
Le 68ème Régiment d'Infanterie est cité à l'ordre de la Xe Armée pour les combats d'Aout 1918 avec les motifs suivants:
Brillant régiment qui a donné depuis le début de la campagne quantité de preuves de discipline et de sacrifice le plus élevé, et qui, partout où il a été engagé a su se faire redouter de l'ennemi. Au cours des comabts des 22, 23 et 24 aout 1918, sous l'énergique impulsion de son chef, le lieutenant-colonel Rosset, a poursuivi vigoureusement l'ennemi, refoulant les éléments avancés, malgré une résistance acharnée, s'est emparé d'une position importante que l'adversiare avait ordre de défendre à tout prix, l'a conservée en dépit des contre-attaques les plus violentes, faisant de nombreux prisonniers de 3 régiments d'Infanterie, 4 bataillons de Chasseurs et un régiment de la Garde"
Au Q.G. le 12 octobre 1918 Signé Gassouin (Note de la 17ème DI, Etat-major n°2289)

 

  Voici donc l'actuel champ de bataille.

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Or, il s'avère que, si de nos jours, la stèle dite du "Colonel Rosset" est toujours présente, le monument du 90e RI a disparu depuis l'époque de son érection. Installé en pein champ, l'agriculture a repris ses droits et maintenant ne demeurent que quelques rares clichés.
Dans notre enquète, seulement 3 clichés ont été trouvés concernant ce monument. Une carte postale fut éditée après le conflit par la société Dilecta. Un ami correspondant de longue date Laurent Mirouze me fit parvenir un cliché avec deux soldats posant à côté du monument (Qu'il en soit encore remercié). Ces 2 clichés sont visibles ci-dessus. Un troisième et dernier cliché est visible dans le journal de marche du 90e RI, à la date du 13 novembre 1918.

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Sources SHD GR26N668

Pourquoi revenir sur ce sujet qui avait déjà été abordé notamment à partir d'un message édité en 2008 sur ce blog et ayant trait au Le 3e bataillon du 90e RI à l'Orme de Montécouvé ?

Après une première tentative en 2008 afin de sensibiliser les acteurs indriens de la disparition de ce monument (mail envoyé en juin 2008 à un représentant de l'association du Magenta qui se révéla sans suite pour un rapprochement avec l'association locale Soissonnais 1418), depuis de nombreux mois, je suis en contact avec une association locale de Juvigny qui fut créée il y a quelques années autour du projet de reconstruction du monument. Cette association est présidée par Fabrice Visbecq.
A plusieurs reprises, nous avons eu l'occasion d'échanger divers documentsafin de permettre à l'association "L'Orme de montécouvé de 1914 à nos jours" de monter son dossier.
Fabrice Visbecq, au mois de janvier dernier, m'a fait parvenir un compte-rendu dans lesquels on retrouve les représentants politiques locaux comme Mme DEVILLE-CRISTANTE, Adjointe au Maire de Soissons, Conseillère Régionale des Hauts de France, Vice-présidente du GrandSoissons Agglomération, M. TORDEUX, Conseiller Départemental de l’Aisne, M GADRET : Directeur du PLIE – du GrandSoissons Agglomération et M. MORLET, Maire de la commune de Crécy-au -Mont.
Un accord a été trouvé la mairie du juvigny afin d'implanter le monument à côté du monument aux morts et ainsi en assurer la pérénité. Je remercie particulièrement monsieur DEMAIRE le maire de Juvigny pour son action qui permet de faire revivre la mémoire de nos aieux.

Le GRETA de Soissons sera en charge de la taille des pierres pour le monument, aux dernières nouvelles, les devis incluaient l'utilisation de pierre de Chauvigny (Vienne), ce qui nécessairement, même si c'est sans doute involontaire, est un symbôle important et en lien avec les soldats de la 17e Division et notamment ceux du 68e RI, bien souvent poitevins.

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Merci à l'association de l'Orme de Montécouvé, ainsi qu'à tous ses membres

De mon côté, j'ai, de suite, prévenu l'association Magenta de Châteauroux qui regroupe les anciens du 90e Régiment d'Infanterie. Monsieur le colonel LAMOUREUX a transmis ce jour l'information aux adhérents de l'association. 

Gageons aussi que des descendants de combattants qui tombèrent à Montécouvé seront intéressés de savoir que les anciens ne sont pas complétement oubliés, même si le Centenaire est terminé. Peut-être que d'autres associations de l'Indre ou même des institutions du département seront peut-être aussi intéressés.

Si ce n'est en août 2021 pour cause de calendrier professionnel déjà chargé, ce sera peut-être plus tard. En tout cas, le sac à dos, les godillots, l'appareil photo de Indre1418 sont et seront toujours prêts.

 

Une pensée particulière pour Alexandre Lamoureux d'Orsennes qui n'avait même pas 20 ans lorsqu'il tomba dans le secteur de l'Orme

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28 août 2020

Un cas peu banal, le parcours chaotique d’Arthur RETY de Veuil

Depuis quelques temps déjà, sur le mémorial virtuel des soldats du département de l'Indre, je complète les fiches déjà existantes en m’appuyant sur les fiches matricules. Je rajoute alors les données concernant les parents ainsi que le lien avec la fiche matricule. Cela prend beaucoup de temps car je relis entièrement à chaque fois la fiche complète pour m’imprégner du parcours des soldats. Rien ne presse, mais je n’en suis cependant qu’aux patronymes en Big…

De temps en temps, de fidèles correspondants du blog Indre1418soldats m’envoient des informations complémentaires. Laurent Roy est de ceux-là. Il me transmet des renseignements très complets et le texte ci-dessous est quasiment le fruit de ses recherches. Je reprends donc les données transmises et vous livre le triste sort de Arthur Réty de Veuil et natif de Luçay-le-Mâle.

Retrouver une fiche issue du site « Mémoires des Hommes », un nom gravé sur un monument ou inscrit sur un livre d’or ne suffisent pas pour donner consistance aux combattants d’alors. Il y a peu, concernant Arthur Réty, je ne possédais que ces 3 éléments et il n’était qu’un nom dans une base de données et une page sur le blog départemental des Morts Indriens sur Indre1418soldats.

http://indre1418soldats.canalblog.com/archives/2016/11/27/34512053.html

Avant d’entrer dans le détail du parcours, présentons tout d’abord Arthur Réty. Ce dernier est né le 2 avril 1882 à Luçay-le-Mâle et est fils de Jean-Baptiste et de Eulalie Berton. Au moment de sa conscription il est dispensé (2e liste) comme ayant un frère au service. Il est incorporé au 90e RI en 1903 et est libéré en 1904. En 1908 et 1911, il effectue 2 périodes d’instruction au 90e RI.

Rappelé dans le cadre de la mobilisation générale, il est attendu le 11 aout 1914 et part aux armées le 25 septembre 1914. Entretemps, il est resté au dépôt de Châteauroux. De là, il suit le parcours du régiment de Châteauroux jusqu’à la date du 5 juin 1915 que la fiche matricule indique comme étant le jour de la blessure de Arthur Réty (éclat d’obus cuisse gauche) et son évacuation.

Un point est à signaler. La date du 5 juin ne correspond pas au journal de marche de l’unité. Le 90e RI ne monte en ligne au carrefour des Cinq Chemins que quelques jours plus tard, dans la nuit du 7 au 8 juin 1915

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Journal de marche du 90eRI -SHD

Réty semble plutôt faire parti des 3 blessés signalés en bilan des journées des 7 et 8 juin.

Le secteur du carrefour des Cinq Chemins est un secteur très dangereux pour les troupes. Au-devant du Bois de la Folie, au Nord de Neuville Saint Vaast, en juin 1915, il verra se succéder les régiments et les tentatives de percement des lignes ennemies et ce de manière infructueuse et mortifère pour les unités dont le 90e RI. Là, le 13 juin le régiment fit une attaque principale qui tourna très rapidement au désastre ainsi que pour son voisin le 68e RI. On y vit d’ailleurs la blessure du futur Général d’Armée Marcel Carpentier.

http://indre1418.canalblog.com/archives/2005/06/02/543220.html

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SHD 26N1288 - JMO 6eRG

Revenons maintenant à Arthur Réty, en suivant les indications de la fiche matricule. Ce dernier est donc évacué et est déclaré « aux hôpitaux du 18 juin au 3 octobre 1915. Il a donc transité de poste de secours en ambulances, d’ambulance en hôpital pendant environ une dizaine de jours. Rien n’indique son parcours hospitalier. Une demande le concernant au Service des archives médicales et hospitalières de l'armée (SAMHA) basé à Limoges permettrait éventuellement de suivre son dossier médical s’il a été conservé.

Un premier vide dans le parcours nous interpelle. La trace suivante est datée du 14 janvier 1916 où il est signalé à l’hôpital de Tours pour « Psychose hallucinatoire ».
A partir de là, le parcours chaotique s’enchaine. Il est déclaré comme « déserteur à l’intérieur » le 16 janvier et signalé « sorti par évasion » le 17 janvier 1916. Nous perdons ensuite sa trace jusqu’en novembre 1916 où la fiche matricule indique qu’il est décédé le 27 novembre 1916 à La Possonnière (49) et que le cadavre a été trouvé en Loire.
Là, il faut s’intéresser à la transcription du décès que l’on trouve à Veuil dans les registres d’état-civil :

Le vingt-sept novembre 1916, deux heures du soir, nous avons constaté le décès d'un individu de sexe masculin, dont la mort paraît remonter à 3 mois environ. D'après les renseignements fournis par l'autorité militaire, le corps est celui de Arthur Réty, classe 1902, matricule 1761, affecté au 90 RI à Châteauroux, né le 02/04/1882 à Luçay-le-Mâle, fils de Jean-Baptiste Réty et de Eulalie Berton, époux de Mélanie Rabier, domicilié à Veuil. Dressé sur la déclaration de Henri Pouzin, gendarme, 56 ans, et de Julien Lebrun, gendarme auxiliaire, 43 ans, en résidence à la Possonière.

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Cliché Laurent Roy - Etat-civil Mairie Veuil

Cela est à mettre en parallèle avec la fiche Mémoires des Hommes, il en ressort que la transcription (officielle) n’a pas pu servir pour la rédaction de la fiche MDH, le genre de mort reporté sur la fiche Mémoires des Hommes (blessures de guerre) et le classement de la fiche dans la catégorie « Mort pour la France » n’ont pas de cohérence avec la transcription de décès à la mairie de Veuil. La mention Mort pour la France ne figure nulle part sur l’acte de décès. On notera aussi que Arthur Réty figure sur le Livre d’Or de Luçay le Mâle, mais on se souviendra que la source originelle est la même pour établir le livre d’or et les fiches Mémoires des Hommes. Il figure donc sur le LO de Luçay, sa commune de naissance, car le scripteur de la fiche MDH ne connaissait pas le lieu de domiciliation du défunt (Veuil), il prit alors le lieu de naissance (Veuil est clairement indiqué sur l’acte de décès comme domicile)

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SHD - mémoires des Hommes

Un fait m’a interpellé concernant la rédaction de la fiche Mémoires des Hommes, mais je n’ai pu trouver confirmation. En bas de chaque fiche, une série de chiffre est reportée, le dernier chiffre ne serait-il pas la date du modèle de la fiche utilisée. Cela induirait que le modèle de la fiche serait de 1927 et que la rédaction en serait donc à minima de cette année 1927, ceq qui semble très tardif, pour un décès transcris dès 1916. En fouinant sur Mémoires des Hommes, on s’aperçoit que les fiches sont globalement de 1921-1922, cela qui normal et correspond à la mise en place du fichier. (Cette hypothèse reste cependant à vérifier).

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SHD - mémoires des Hommes

Quant à la réelle cause du décès, on ne saura s'il est tombé dans la Loire volontairement ou non sous le coup d’un délire psychotique par exemple.

Sur la fiche matricule, un secours immédiat de 150 francs est reporté et attribué à son épouse Mélanie Rabier. Cela confirme la mention marginale de la transcription d’état-civil ci-dessus, indiquant qu’il est époux de Mélanie Rabier. Une rapide recherche permet d’apprendre qu’ils se sont mariés le 22 septembre 1906 à Veuil (36).

Une autre source à exploiter concernant une telle recherche est celle de la presse locale. Il y a effectivement de fortes chances que la presse angevine reporte un tel fait, peu ordinaire. Après un appel à l’aide, une amie, Sylvie Bossy-Guérin, spécialiste du secteur de Cholet et des archives angevines, me fit le plaisir de me retrouver 2 articles du journal local « Le Petit Courrier », journal local du secteur d’Angers.

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Le Petit Courier, 29 et 30 novembre 1916

Découvert le 27 novembre, le corps est rapidement identifié grâce à son bracelet matricule. L’info fut transmise à l’autorité militaire qui à partir de ce matricule put à coup-sur identifier le corps repêché, il n'y a quà contacter la 9ème Section d'Etat-Major qui gère les matricules de la 9ème Région Militaire. Le journaliste, le 29 novembre était alors en mesure de signaler le fait et d’indiquer l’unité à partir des informations que l’autorité militaire voulut bien lui transmettre.

Je retiendrai deux informations issues des 2 articles que je vous laisse juge d’analyser :

 « Ce noyé a certainement par suite de la crue, été trainé sur une assez longue distance. » Le journaliste reportant ce que l’autorité a accepté de lui transmettre comme informations, ne se doute certainement pas que Arthur s’était évadé de l’hôpital de Tours à quelques 140 km de là. Rien ne dit évidemment que Arthur Réty s’est noyé dans la Loire à Tours, il s’agit là d’une distance pour donner un ordre d’idée. De plus, alors que la transcription d’état-civil indique que « la mort paraît remonter à 3 mois environ », le journaliste reporte un séjour dans l’eau de six mois. Ceci n’est pas sans poser question sachant que l’évasion date de janvier, soit 11 mois plus tôt. On notera que dans le doute, la date de décè retenue est celle de la découverte.

Nul ne saura quel chemin de misère aura suivi ce soldat du département bien loin de l’image donnée par les premiers documents d’archives consultés. Cela conforte notre démarche de recherche du maximum de sources et de la démarche qui consiste à ne pas se contenter de la première donnée trouvée. Bien qu’officielle, elle peut se montrer globalement fausse.

Un très grand merci à Laurent Roy qui au travers de ces trouvailles m’a permis de fouiller dans les archives disponibles et de débusquer les amorces d’une nouvelle vision du parcours de Arthur Réty.
Un très grand merci pour Sylvie Bossy-Guérin pour son aide concernant les archives angevines.

Que Arthur Réty repose en paix. A Veuil, on se souvient de lui sur le Monument

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cliché Alain Bréjaud

 

2 mai 2020

Un capitaine castelroussin tombé à Montécouvé, Jules Barrault du 90e RI.

Il y a peu, je faisais part du projet de reconstruction du monument de l’Orme de Montécouvé, dans l’Aisne. Au moment où j'écris, je ne sais quand le projet aboutira, mais il aboutira (voir le lien) et il est important de souligner l’importance de ce monument et surtout les faits qui y sont liés. Je vous invite donc à découvrir au travers du message précédent ce que fut la dernière bataille des régiments de l’Indre.

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Général Dubail, Maréchal Fayolle, "La guerre racontée par nos généraux" (1920).

 En parallèle à ces événements et à cette publication, cette année, par l’entremise d’un message de Didier Bléron sur les réseaux sociaux, Jean-Marc Acolas de Châteauroux s’est présenté comme descendant du capitaine Barrault du 90e RI, ce qui tout de suite nous intéressa. Le capitaine Barrault, natif de Châteauroux, fit tout sa carrière au 90e et tomba lors de la bataille de Montécouvé. Son parcours mérite d’être repris ici.

 

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 Né en 1896 à  Châteauroux, le 26 avril, il est fils de Georges et de Madelaine Fragnet. Son père est vigneron et sa mère cigarière. Elle travaille donc à la Manufactures de Tabacs de Châteauroux. La famille habite alors rue du Four à Chaux à Châteauroux.

A partir de sa fiche matricule présente aux archives départementales de l’Indre, il est possible de retracer son parcours individuel

Alors déclaré comme cordonnier, au moment de son conseil de révision de mars 1907, il est classé dans la 3e partie, celle des engagés volontaires. Effectivement, depuis le 1er octobre 1906, il s’est engagé pour 3 ans auprès du 90e régiment d’Infanterie de Châteauroux. Le mois suivant, il intègre le régiment comme soldat de 2e classe. Il passe caporal en avril 1907 et sergent en 1908.

Le 8 décembre 1908, il contracte mariage à Châteauroux avec Augustine Bourgeois (24 ans)

En 1909, il se rengage pour 2 ans et il prolonge à nouveau de 3 ans en 1911. Lors de la mobilisation d’aout 1914, il est alors nommé sergent-major.

Du fait de ces capacités, de son expérience acquise, mais aussi afin de combler les trous dans les effectifs d’encadrement, il est choisi pour intégrer le corps des officiers. Au lendemain des lourdes pertes liées à l’engagement du 9 mai 1915, il passe donc au sein du 125e Régiment d’Infanterie (Poitiers) comme sous-lieutenant à titre temporaire (Décision ministérielle du 11 mai 1915). Le 125e RI est un régiment d’Infanterie du même Corps d’Armée que le 90e. Il rejoint d’ailleurs ce dernier en janvier 1916 et est nommé lieutenant à titre temporaire à compter de novembre 1916.

  Cité à l’ordre 46 du 01/12/1916 « Jeune officier courageux et dévoué qui s’était déjà distingué à Verdun. Commande très bien sa Cie de mitrailleuses. A fait preuve des plus belles qualités militaires pendant la période du 26/10/1916 au 01/11/1916 et celle du 4 au 7 novembre et a été un collaborateur précieux pour le Cdt de Bataillon. A fait spontanément la reconnaissance de la ligne nouvellement acquise pour placer ses pièces » Bataille de la Somme

Cité à l’ordre 26 du 26/08/1917. « Officier modeste mais de réelle valeur a contribué à la défense du secteur du Bataillon en recherchant des emplacements de pièces de mitrailleuses malgré la violence du bombardement » Bataille de l’Aisne Juillet 1917

Après des nominations à titre définitif courant 1917 et 1918, il passe capitaine en mai 1918. Il commande alors la 1ère Cie de Mitrailleuses.

A propos de la disparition du capitaine Barrault, reportons-nous sur le Journal de Marche et Opérations du 90ème Régiment d’Infanterie. On y lit:

24 août 1918 :
Ordre du jour du Colonel DETANGER : « La position de Montécouvé est une position de toute 1ère importance. Le régiment a le devoir et l’honneur de le conserver. »
L’ordre est donné de consolider la position, de talonner l’ennemi à la grenade et d’atteindre les objectifs : Crécy-au-Mont – Juvigny.
L’ennemi veut tenter encore une fois la chance. A 6h du matin, après une forte préparation, il se lance à l’assaut. Un instant, les éléments avancés du régiment cèdent du terrain, mais avant que l’ennemi ait pu s’installer sur la position le III/90 (Bataillon de soutien) réagit avec une belle promptitude que la position est reprise et dépassé. 4 prisonniers sont capturés dont 2 sergents et 1 unterofficer. De nombreux cadavres allemands sont restés sur le terrain. L’Orme de Montécouvé est en notre possession complète.
Le Capitaine LEBLANC (10e Cie) a été blessé. Le Chef de Bataillon GODARD (III/90) est proposé pour officier de la Légion d’Honneur.

25 août 1918 :
Ordre d’attaque pour la journée
Objectif : 0369 – tête du ravin des Ribaudes – plateau situé à 400m Est de la Cote 159.
Forte préparation d’artillerie, barrage roulant : 100m en 3 minutes. Heure H 10h 5
En ligne : II/90 à gauche, I/90 à droite. La progression se trouve arrêtée à la tranchée de Cardiff. 45 prisonniers restent entre nos mains dont 1 lieutenant et 1 stellevertreler. L’Aspirant PHILIPPE de la 2e Cie se distingue particulièrement. Il bouscule l’ennemi à la grenade dans la tranchée de la Ferme de Montécouvé, fait de sa main 3 prisonniers dont 1 officier et, aidé du Sergent GOURON de la 3e Cie tue 4 Allemands.
Pertes : Le Sous-lieutenant MOTTEL de la 11e Cie et le SLtn MOUDDEY de la 9e ont été tués. Le Lieutenant ROUSSEAU (10e) est blessé ainsi que les Sous-lieutenants MASSIES (10e), BELLET (11e) LECAIN (11e) JEAGER (7e) SABLEAUX (1ère Cie). L’Adjudant-chef téléphoniste BAUBY tué à la ferme de Mareuil. Disparu : Le Capitaine BARRAULT (CM1) dont la tombe a été retrouvée après le recul ennemi.

Le régiment, très éprouvé, est relevé dans la nuit du 25 au 16 août par extension du 339e RI (64e DI) Il est rassemblé aux environs de la Ferme Saint-Léger (Ravin de Vézaponin, champs des Lattes). Stationnement en bivouac, formation largement échelonnée.

Le JMO a été écrit après coup par le rédacteur, pas au plus fort de la bataille. La sépulture avait été retrouvée, dès le retrait des troupes allemandes. Le corps fut inhumé par les soldats allemands ou du moins, les prisonniers français aux mains des Allemands.

Ceci nous l’apprenons par le biais d’un courrier que la famille possède encore actuellement. Voici l’extrait dune copie d'un courrier expédié du Dorat (Haute-Vienne) le 26 novembre 1918 par un nommé A. ou G. IMBERT pour la veuve de Jules BARRAULT et qui écrit : " ... Je dus, sous la menace des boches creuser la fosse et enterrer celui qui avait été plutôt un ami qu'un chef. Je l'ai enterré dans un bois dont j'ignore le nom en face du poste de secours. Une croix a été posée sur sa tombe avec l'inscription : capitaine Jules Barrault, 90ème régiment d'infanterie. Il me serait très facile de montrer l'endroit exact de la tombe, quant à indiquer le nom, je ne le puis. Fait prisonnier et emmené en captivité, je n'ai pu vous avertir. Il m'était impossible d'écrire à ma famille et je ne pouvais donc pas vous annoncer combien il m'avait été pénible de voir mourir mon chef. Malgré la peine, j'ai dû sous peine de coups, jeter la terre sur le corps de mon pauvre capitaine ... ".

Imbert ne sut pas de suite que la sépulture fut retrouvée, étant captif. Une fois libéré, il informa la famille de « son » capitaine. 

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Photo cimetière provisoire de Montécouvé

Retrouvée, la dépouille fut-elle laissée sur place ? Fut-elle transférée au sein du cimetière provisoire de Montécouvé ? Toujours est-il que le corps fut rapatrié à Châteauroux le 21/06/1922 à la demande de madame Barrault Veuve, demeurant 32, rue de la Brauderie à Châteauroux.

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Sources AD36 – 791W120 37e Convoi

Autre élément disponible, 

La fiche « Mémoires des Hommes » du « Ministère des Pensions, des Primes et des Allocations de guerre » d’alors :
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m00523a049850303/5242c0eebe1ca

Jean Marc Acolas m’a confirmé que la sépulture est toujours présente au cimetière Saint-Denis. De plus, il m’a transmis l’information suivante. La famille possède toujours le sabre et le képi de grande tenue du capitaine Barrault, ainsi que diverses affaires du capitaine Barrault. Fait remarquable, la doublure du képi contient encore de nos jours des feuilles qui furent trouvées sur la sépulture originelle.

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Cliché Jean Marc Acolas

A titre posthume, le capitaine Barrault fut décoré de la Légion d’Honneur au grade de Chevalier et se vit décerné la Croix de Guerre avec Palme
Son nom figure sur le monument aux morts de la ville de Châteauroux, ainsi que sur le livre d’Or communal.

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Monument aux morts Ville de Châteauroux
Cliché Huguette Mauduit

 

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Livre d’Or de la ville de Châteauroux
Archives Nationales - FRDAFAN85_OF9v078666


 

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24 décembre 2019

Fraternisations au 90e, début décembre 1914

Régulièrement, on aborde à chaque Noel, le cas maintenant incontournable des fraternisations qui eurent lieu lors du Noel 1914. Cependant, ce phénomème ne fut pas propre à cette date précise et est plutôt  à considérer dans un ensemble plus vaste au niveau temporel. Il est aussi à considérer certainement comme conséquent de la lassitude d'une vie dans la boue, le froid et les premières tranchées hivernales.

Au sein du 90e régiment d'infanterie, alors en Belgique dans le secteur d'Ypres, les journaux de marche, les documents officiels sont silencieux concernant cette thématique.
Il existe des traces qui permettent de constater les faits au travers de témoignages. Ainsi dans l'ouvrage "Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918", (Paris, Librio, 2001, p. 78-79), Jean-Pierre GUÉNO nous livre une lettre originale:

"Tranchées-Palace, le 14 décembre 1914,
Chers parents,

Il se passe des faits à la guerre que vous ne croiriez pas ; moi-même, je ne l'aurais pas cru si je ne l'avais pas vu ; la guerre semble autre chose, eh bien, elle est sabotée. Avant-hier - et cela a duré deux jours dans les tranchées que le 90e occupe en ce moment - Français et Allemands se sont serré la main ; incroyable, je vous dis ! Pas moi, j'en aurais eu regret.Voilà comment cela est arrivé : le 12 au matin, les Boches arborent un drapeau blanc et gueulent : « Kamarades, Kamarades, rendez-vous. » Ils nous demandent de nous rendre « pour la frime ». Nous, de notre côté, on leur en dit autant ; personne n'accepte. Ils sortent alors de leurs tranchées, sans armes, rien du tout, officier en tête ; nous en faisons autant et cela a été une visite d'une tranchée à l'autre, échange de cigares, cigarettes, et à cent mètres d'autres se tiraient dessus ; je vous assure, si nous ne sommes pas propres, eux sont rudement sales, dégoûtants ils sont, et je crois qu'ils en ont marre eux aussi.
Mais depuis, cela a changé ; on ne communique plus ; je vous relate ce petit fait, mais n'en dites rien à personne, nous ne devons même pas en parler à d'autres soldats.
Je vous embrasse bien fort tous les trois."

Gervais Morillon, né à Poitiers, devait finalement tombé à Loos, le 9 mai 1915. Il avait alors 21 ans.

Sa fiche sur le blog "Mémoires despoilus de la Vienne"

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Pensées pour FRED

4 mai 2019

Du 4 au 6 mai 1916 . Tentatives de contre-attaque de la 17e DI, puis montée de la 152e DI.

La préparation par l’artillerie allemande commence le 3 mai vers midi. Un bombardement très violent est dirigé sur la partie du front comprise entre le ravin de la Hayette et la route d’Esnes à Haucourt. Il dure toute la nuit et la matinée du lendemain. Les tranchées sont nivelées, les pertes très lourdes. La compagnie qui occupe le bois Eponge, ne comptant plus à 21 heures qu’une vingtaine de combattants, est renforcée par un peloton de la compagnie de soutien de son bataillon. Au Crochet, les deux compagnies de 1ère ligne du bataillon Gobert (du 90e), réduites à 75 hommes, sont renvoyées dans la nuit à Esnes et remplacées par les deux compagnies de soutien.
Le bataillon Petit du 68e régiment, en réserve de brigade à Esnes, est porté en conséquence moitié, le 3 au soir, en soutien du bataillon Gobert, moitié, le 4 au matin, au réduit D.
Il est remplacé par le bataillon du 290e de Vigneville, qui atteint Esnes le 4 vers 10 heures.

 

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Sous la menace de l’attaque, une force a été poussée ainsi sur la contrepente de 304.
La réserve de division ne comprend donc plus par suite que 4 bataillons : le dernier bataillon du 290e qui est à Béthelainville, les 2 bataillons du 268e et le dernier bataillon du 90e qui sont en marche sur le bois de Béthelainville, ayant l’ordre de relever la nuit suivante le 68e régiment à la cote 304.
Alertée dans la matinée, l’artillerie du 9e CA, pour laquelle a été organisé un service de surveillance aérienne permanent (par avions et ballons) entame ses tirs de contrebatterie avec l’aide des groupements voisins
Elle prend à partie vers 15h30 une colonne ennemie entrant dans Cuisy. Elle effectue des concentrations de feux à 16h35 sur les ouvrages d’Alsace et de Lorraine. Elle enfile un peu plus tard les boyaux (de la Joliette et des Serbes) perpendiculaires au front d’attaque.
Les barrages de l’artillerie de campagne sont prolongés en profondeur par les batteries de l’AD18.
Vers 17 heures, l’aviation signale que les tirs français sont très bons.
Sans se laisser arrêter cependant par l’artillerie française, l’infanterie allemande s’avance dans un repli de terrain échappant aux vues latérales du bois Eponge et du Crochet.
Ses vagues d’assaut gravissent les pentes nord de la croupe 304, submergent la défense et ne sont retardées que par les bataillons postés sur les flancs du plateau, ou leurs débris. Plus à l’est, le bataillon Gobert conserve ses positions, Plus à l’ouest, la 18e DI (66e régiment) n’est pas attaquée.
Cette situation est mal connue du commandement. Les observatoires ont pu signaler il est vrai vers 16 heures des fusées rouges lancées à 304, ce qui a provoqué le déclanchement des barrages. On a perçu ensuite de la cote 310 (PC de la 33e brigade) le crépitement de mitrailleuses en action dans la direction du bois Eponge. Les observateurs ont pu rendre compte un peu plus tard de l’allongement du tir de l’artillerie allemande, qui se raccourcit bientôt d’ailleurs pendant environ une demi-heure pour s’allonger à nouveau
Rien n’arrive cependant du régiment intéressé. Isolé par le canon sur les pentes sud du plateau, le lieutenant-colonel Odent, commandant le 68e RI, semble en effet tout ignorer de l’attaque. Il donne à la nuit tombante ses ordres de relève et renvoie vers l’arrière les 2 compagnies du bataillon Petit, poussées le matin auprès de lui.
A 18h30, le colonel Lasson, commandant la 33e brigade, lui adresse par coureur une note.
« Je pense, lui dit-il, qu’un centre de résistance sérieux est organisé par vos soins sur la cote 304 avec les 2 compagnies Petit comme noyau principal contre les forces allemandes qui me sont signalées gravissant les pentes nord-est de la croupe.
3 compagnies de la 18e DI se portent de Pommerieux vers votre PC pour coopérer à votre action. Elles se mettront à votre disposition. Sur la demande de la 17e DI, la 18e DI a donné en effet à 17h35 l’ordre au bataillon Morand du 77e RI de se porter sur le réduit D.
Enfin, le 6e bataillon du 290e (bataillon Dupic) a reçu l’ordre d’appuyer ce mouvement des 3 compagnies précitées en se maintenant à leur droite afin d’exécuter le plus tôt possible une contre-attaque sur les forces signalées ci-dessus. Ce bataillon a comme axe de marche : cote 241 (nord d’Esnes), cote 234 (est de Souvin)
La compagnie du génie 2/7 avec un effectif de 200 hommes environ est mise également à votre disposition. Elle reçoit l’ordre de se rendre au sud et près de votre PC. Le lieutenant qui la commande va prendre vos ordres.
Je compte être très prochainement renforcé par le 5e bataillon du 290e (bataillon Beyler). Le général commandant la 17e DI pousse en avant les autres éléments de la 304e brigade ».

Cet ordre ne parvient qu’à 21h15 au lieutenant-colonel Odent, qui arrête aussitôt le mouvement des 2 compagnies du bataillon Petit et les reporte sur la cote 304. Le mouvement du 6e bataillon du 290e (bataillon Dupic), entamé à 17h&(, s’exécute en même temps : les 2 compagnies de tête (Poirier et Clech) atteignent le bois ne Peigne, d’où elles se portent à la droite du bataillon Petit ; les deux dernières compagnies prennent position sur le versant sud du plateau, à 50 mètres de la crête. Le réduit D est organisé par la compagnie du génie tandis que le boyau 304 est occupé par le bataillon de la 18e DI.
Une ligne de défense s’organise ainsi dans la nuit au contact de l’ennemi.
L’artillerie s’efforce en même temps d’empêcher l’adversaire de se renforcer. Elle bat les boyaux. Elle exécute, en dehors des barrages à la demande, des concentrations sur Malancourt, Haucourt et Béthincourt. Une section de campagne est portée au sud de Montzéville pour enfiler la vallée de la Hayette. Le colonel Gascouin prévoit une consommation pour la nuit, en dehors des barrages, de 3000 obus longs, 550 coups courts, 2500 obus de 75 destinés à l’exécution des tirs envisagés.
Alertées par le général Lancrenon, les réserves de division ont été portées en avant pour renforcer la défense, à partir de 17h30.
A 22h15, le commandant de la 17e DI, venu pour y établir son PC, à la cote 310, donne ses instructions en vue d’une contre-attaque générale, qui, si elle ne peut avoir lieu dans la nuit, sera reprise de toutes façons aux premières lueurs du jour. Elle sera exécutée simultanément par les lieutenants-colonels Carlier (commandant le 90e RI), Eggenspieler (commandant le 290e RI), Odent (commandant le 68e RI)
A l’est, le bataillon d’Orgeval (du 90e), partant du bois de Béthelainville renforcera la défense au Crochet et contre-attaquera l’ennemi dans son flanc gauche avec 2 compagnies.
Au centre, le bataillon Beyler (du 290e) se portera de Vignville, par l’est de Montzéville, droit au nord ; il agira directement sur le front en partant du boyau du Prado.
A l’ouest, les éléments déjà rassemblés à 304 attaqueront face au nord-est, dans le flanc droit de l’ennemi.
Les mouvements préparatoires s’exécutent sous le bombardement et de nuit.
Le bataillon d’Orgeval réussit à relever au Crochet les restes du bataillon Gobert épuisé.

A l’exception d’une compagnie, le bataillon Beyler ne peut pas franchir le barrage que l’ennemi maintient sur le ravin de la Passerelle. Il s’établit dans les tranchées en arrière du moulin d’Esnes (boyau de Miramas).
Seule la contre-attaque du lieutenant-colonel Odent est exécutée.
Après avoir rassemblé non sans peine 250 hommes environ (les 5e et 6e compagnies du 68e, la 10e compagnie du 77e, la 21e compagnie du 290e RI) et fait reconnaître par les capitaines Hème et Terrier la ligne allemande, le lieutenant-colonel Odent entraîne à 3 heures cette troupe disparate, en criant : « Allons, c’est le moment d’avoir du courage »
Accueillie par des tirs de mitrailleuses sur sa droite, la vague de tirailleurs se couche ; un deuxième bond lui permet d’atteindre le bord du plateau face au nord-est ; un troisième bond la porte sur la pente descendante. Là, elle est en butte aux barrages de l’artillerie et aux feux de mousqueterie allemands. Le lieutenant-colonel Odent, resté debout, est frappé d’une balle au front au moment où il entraîne ses hommes. Sur l’ordre de son capitaine adjoint, ces derniers regagnent alors leurs tranchées de départ, où les recueillent les éléments qui n’ont pas participé à l’attaque.

 

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Chef de corps du 68e RI qui tomba le 5 mai à la Cote 304

 

Ignorant encore l’insuccès de la contre-attaque prescrite, le général Lancrenon pousse à 4 heures sur la cote 304 le bataillon de tête du 268e régiment et fait occuper Esnes par le bataillon de queue. En marche la veille sur l’itinéraire route de Dombasle à Esnes par Montzéville pour effectuer la relève prescrite du 68e RI, le 268e RI a été averti à 22h15 que cette relève était différée. Un de ses bataillons a été porté à Esnes, l’autre maintenu à Montzéville.
Ce sont là les dernières réserves de la 17e division. Comme, dès 5 heures, le régiment disponible du 9e CA (135e RI de la 18e DI) a été dirigé sur le bois de Béthelainville en vue de son emploi éventuel dans le secteur attaqué, le commandant du groupement demande à l’armée, à 8 heures, la mise à disposition de deux régiments d’infanterie et de l’artillerie de campagne de la 152e division. Les 114e et 125e régiments enlevés en automobiles vers midi débarquent à partir de 15 heures au bois Saint Pierre (région de Blercourt) ; ils atteignent vers 19 heures le bois de Béthelainville, où ils reçoivent l’ordre d’entrer si possible en ligne dans la nuit même. Les 2 groupes de l’AD152, poussés également en avant, renforceront les barrages dans la partie est du front de la 17e division, en prenant position au bois de Lambechamp (1 groupe), au sud de Montzéville (2 batteries), vers la corne nord-ouest des bois Bourrus (1 batterie).
L’ennemi cependant, en dehors de son artillerie, montre peu d’activité sur le plateau où la défense s’organise en arrière de la crête.
Dès le jour, les lieutenants-colonels Mariani (commandant le 268e RI et Eggenspieler se sont portés en effet de leur personne sur la ligne de combat, suivis, l’un de son bataillon de tête, qui vient renforcer la ligne à 304, l’autre de son dernier bataillon (arrêté de nuit, on le sait, au moulin d’Esnes) qui parvient à franchir le ravin de la Passerelle et à s’établir à cheval sur le boyau du Prado. Ils remettent dans l’ordre, organisent la position, assurent la liaison.
Tous deux rendent compte vers 13 heures de la situation trop aventurée de leur PC qui est au réduit Odent (ancien réduit D) et de leur intention de le transporter sur la crête au nord d’Esnes. Une transmission très incomplète de ce rapport donne lieu à une interprétation fâcheuse de la situation. Le dernier bataillon de la 17e (le 6e bataillon du 268e RI) est porté sur la crête au nord d’Esnes (2 compagnies à 14 heures, les 2 autres à 19h30). 2 bataillons de la 18e division sont établis dans le boyau 3 en crochet défensif, face à l’est. La 152e division est mise enfin à la disposition du groupement Curé que la IIe armée renforce en outre d’un groupe de 155C (groupe Taton prélevé sur le 7e CA)
En réalité, gràce aux barrages de l’artillerie française et l’atttude des compagnies Poirier et Clech, les tentatives de l’ennemi sur la contrepente de 304 ont avorté. A la nuit, « la ligne française est toujours établie sur les mêmes positions que ce matin, écrit le lieutenant-colonel Mariani. La 1ère ligne est presque entièrement nivelée ; malgré les pertes subies, nous la tenons toujours. Le moral de la troupe est très bon, elle continue à tenir, matériellement elle est fatiguée par suite de l’impossibilité qu’il y a à la ravitailler en boisson.
D’après les dernières notes reçues, le 6e bataillon du 268e est monté sur la position. Si on devait encore envoyer d’autres troupes, l’accumulation serait trop grande, il n’y aurait pas de tranchées et boyaux pour abriter tout le monde … »

 

Une photo prise à la Cote 304 en ce mois de mai 1916 par le lieutenant Jabien du 268e RI, dans les détails du cliché les soldats, à peine visibles, apparaissent quasiment intégrés au sol bombardé, dans leur semblant de boyau supposé leur servir d'abri:

 

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cliché Jabien (AD36 - fonds CHARRAUD 53Fi)

Les soldats tassés dans le fond de leur tranchée
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 La 17e division est donc complètement engagée au contact de l’ennemi, sans unités en soutien, incapable par conséquent d’un effort soutenu en profondeur : il importe de la remplacer.
Mais l’heure tardive à laquelle est donné l’ordre à la 152e division de la relever ne permet pas d’exécuter les mouvements prescrits. Le 114e régiment s’échelonne dans la nuit entre le réduit Odent (1 bataillon), Esnes 1 bataillon, Montzéville (1 bataillon). Le 125e régiment s’établit entre la tranchée d’Aix et le boyau de Miramas. Les 2 groupes de l’AD152 atteignent Ville-sur-Cousances.
La relève est exécutée la nuit suivante (du 6-7) ; seuls des éléments du 290e régiment restent mélangés aux unités de la 152e division au bois le Peigne d’une part (1 compagnie du 6e bataillon), aux abords du boyau du Prado d’autre part (fractions de 2 compagnies du 5e bataillon)
Le 7 au matin, la tenue du secteur est assurée de la façon suivante par l’ID152 :

 

  • 3 bataillons en 1ère ligne : Le bataillon Durand du 114e RI sur la contrepente de 304 ; les bataillons Quillet et Baffet du 125e RI plus à l’est et au crochet

  • 1 bataillon sur la cropue au nord d’Esnes (le bataillon Conscience du 114e RI) et 1 bataillon au boyau Miramas (le bataillon Berthoin du 125e RI)

  • 1 bataillon en réserve de division : le bataillon Gigot du 114e RI à Vigneville

 

Le dernier régiment de la 152e division reste en réserve de CA au bois de Béthelainville.
Le colonel Paquette, commandant l’ID 152, a pour mission de se créer une base de départ en vue de la reprise du terrain perdu. Il n’y a pas une minute à perdre si on veut empêcher l’ennemi de se consolider. Les opérations doivent être menées soit par surprise, soit avec l’aide de l’artillerie. Il ne faut engager que des effectifs peu nombreux, très mordants.

 


SoldatTranchée

 

Clichés: Collection de l'auteur
Sources :
« Les combats de la cote 304 en mai 1916 » –Capitaine Laxagne – Revue Militaire Française
« L’attaque principale allemande contre la cote 304 » - Albert Lange –Editions Berger Levrault

 

 

19 avril 2019

Du 20 au 26 avril 1916, au 90e RI, en secteur à la Cote 304.

Le 20 avril, le 9e CA monte en ligne et vient apporter sa part de sang à l’enfer de Verdun. C'est finalement dans le secteur de la Cote 304 que le 9e CA va agir. Dès ce jour, la 17e Division monte pour la première fois en ligne et prend contact avec l'enfer de Verdun.

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carte_generale_Cote304Verdun

 Plutôt que de reporter ici une interprétation personnelle, je préfère vous laisser découvrir le témoignage du Commandant Bréant du 90e RI qui narre ces dures journées dans son ouvrage: "De l'Alsace à la Somme", publié en 1917 à la Librairie Hachette.

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Nota: Le livre fut publié pendant le conflit, aucun numéro d'unités et aucuns noms propres ne figurent dans l'ouvrage, ceux-ci sont remplacés par des  .... Afin de permettre une meilleure comprhension, j'ai dans la mesure du possible et surtout de la capacité à identifier ces manques, je les ai donc remplacés par leur vraie signification entre crochets. Je ne suis donc pas à l'abri d'une erreur.

 

20 avril. - Le premier bataillon part pour le secteur, à cinq heures du soir. Les autres bataillons, et, dans chacun d'eux, les compagnies, s'échelonnent. Quand je passe, vers six heures, avec le colonel, au-dessous de Béthelainville, une éclaircie se produit : le ciel et les bois sont superbes. Les lignes française et allemande, d'un bout à l'autre, sont en feu. On voit de toutes parts les éclairs des départs d'obus et la fumée des éclatements. Les deux lignes qui se côtoient à courte distance sur le Mort-Homme disparaissent dans un nuage épais. C'est un spectacle formidable, inoubliable. Notre route, qui descend sur Montzéville, est marmitée. Nous laissons nos chevaux et nous allons. Nous croisons des corvées de ravitaillement. A huit heures nous arrivons au poste de commandement, au milieu de quelques explosions. Ce sera ainsi tout le temps, et nous serons prisonniers là, combien de jours ! On ne peut se rendre ici que de nuit. Il n'y a pas de boyaux de communication. Tout est à faire. Je ne puis dormir que deux heures dans un fauteuil, le colonel B..., qui reste encore ce soir, occupant la couchette. Pendant cette relève, nous avons perdu vingt hommes dont six tués.
A quatre heures du matin je vais sur le pas de la porte. Des obus tombent assez près. J'aperçois deux beaux gars casqués ; ce sont les officiers des compagnies du ...e que nous venons de relever. D'autres surviennent, et nous causons jusqu'à six heures, heure où ils partent avec le colonel .B.... Un Allemand blessé a été, pris dans la nuit par les nôtres.

21 avril. - Ayant à peine dormi depuis deux nuits, je sommeille dans l'après-midi. J'ai la sensation d'être dans une cabine de paquebot et d'entendre les paquets de mer s'abattre sur la coque. C'est le bombardement qui recommence. A cinq heures et demie, les grosses marmites couvrent le Mort-Homme et l'odeur des gaz lacrymogènes nous parvient. Mes yeux picotent. Si le ...e ne pouvait se maintenir au Mort-Homme, nous serions sérieusement menacés sur notre flanc droit. Notre artillerie répond vigoureusement et abondamment. Mais l'artillerie lourde, nous manque. Il est certain qu'à la distance où elles sont, leurs batteries échappent aux nôtres. Tout le problème de la guerre est là. Quant à la raison pour laquelle, après vingt et un mois, les positions qui entourent Verdun n'étaient pas fortifiées, c'est là un mystère pour nous.
Le bombardement intense se prolonge toute la journée, puis dure par intermittence toute la nuit. Nous perdons encore vingt hommes, dont huit tués

« 22 avril : Le mauvais temps persiste. La nuit a été atroce. Les ravitaillements sont difficiles, les corvées pénibles dans cette obscurité. Ce matin, la pluie encore. La boue s’infiltre partout.
A une heure trois quarts de l’après-midi, le bombardement des grosses pièces allemandes reprend, mais plus au Sud sur le Mort-Homme et plus à l’Ouest sur nos lignes, principalement dans le ravin de la Hayette.
Les nuages de fumées noires et grises montent du sol, comme des panaches régulièrement espacés. Cela va durer sans doute jusqu’à la nuit close. Les journaux, les lettres qu’on reçoit continuent à émettre des pronostics. Ici, l’on ne voit pas si loin. Les choses sont simples. Des positions sont écrasées sous des projectiles énormes. Des troupes d’infanterie ont ordre de rester là. Elles y restent, et s’usent. Notre artillerie tire beaucoup, mais sa portée est insuffisante. Les données du problème sont élémentaires. Elles contiennent des réalités horribles pour certains. Personne ne peut s’en rendre compte sans l’avoir vu. Mais laissons cela. Les mots ne changent rien à rien.

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Tranchées Cote 304 - Ltn Jabien 268e RI

 Il est autrement intéressant de regarder nos hommes. En dehors des instants terribles, ils plaisantent. Un de nos coureurs nous arrive ce matin en signalant des conducteurs (des obus) et en parlant de Théodule (l’artilleur allemand). Notre cuisinier est un être extraordinaire. Il fabrique notre dîner à Béthelainville, l’apporte en voiture jusqu’à Esnes, et de là jusqu’ici, à pied. On fait réchauffer avec de l’alcool solidifié.
Le plus dur c’est de ne pouvoir sortir de ce trou. Nous sommes dans un abri qui a dû être construit avant l’évacuation des premières lignes, et qui servait sans doute à l’artillerie. Aussi est-il relativement solide. Il est bien entendu que si un 305 tombe dessus, rien n’en subsistera. Nous sommes quatre là-dedans, avec de la lumière nuit et jour. Dans d’autres abris, les coureurs de liaison, les pionniers, les téléphonistes, tous ces organes qui nous gardent en contact avec les divers éléments du régiment. Les fils sont coupés constamment.
A une heure du soir, un bombardement terrible se déchaîne sur nos lignes. Il ne cessera, et encore incomplètement, qu’à sept heures. Vers quatre heures, nous apprenons par coureur que l’attaque se déclenche. Nous mettons nos casques et prenons nos revolvers. Une corvée de pionniers part en ravitaillement de cartouches. Le jeune sous-lieutenant Sch[merber] les dirige avec sang-froid.
Les ordres se transmettent avec beaucoup de calme. Sur nos lignes, les obus continuent d’éclater. A sept heures, une accalmie se produit. On nous apporte la nouvelle de la mort de deux officiers, dont le prêtre capitaine M[illon]. Les Allemands ont attaqué par vagues et ont été arrêtés par notre fusillade et par un barrage bien réglé. Le colonel attend d’autres renseignements.
Ils nous parviennent. Le capitaine B[audiment] est tué, cinq lieutenants sont blessés. Dans la troupe, 150 blessés, 80 tués et des disparus. Rien qu’à une compagnie de mitrailleuses, il y a cinq pièces hors d’usage, 17 tués et 16 blessés. Nous sommes surpris qu’il y ait presque autant de tués que de blessés ; cela déroute les statistiques. Mais, étant donné le bombardement qui a eu lieu, il est bien plus étonnant qu’il y ait encore des vivants.

Les Allemands ont attaqué sur tout le front du [90]ème et de nos voisins de droite, 32ème compagnie* du [161]ème. Ils ont été contenus, mais il semble qu’ils soient restés accrochés sur deux points en face de notre gauche, dans un bois défendu par le bataillon R[oyné], et dans le ravin de la Hayette où se trouve la liaison entre le [90]ème et le [161]ème. Aussi ne sommes-nous pas étonnés de l'ordre que nous recevons à dix heures. Après un tir de notre artillerie sur ces points, envoyer, de minuit à deux heures, de fortes reconnaissances pour «chasser la vermine». Ainsi s'exprime le colonel, qui répond au téléphone : « Je suis certain que tout ira bien. »
A onze heures de nuit, on nous amène un prisonnier. Toute la nuit, c'est un va-et-vient continuel pour ravitailler la première ligne en cartouches et en fusils. Cela se passe sous un ciel pluvieux d'une obscurité d'encre, dans la boue. Les coureurs partent dans la rafale d'obus, pour suppléer aux fils téléphoniques coupés, que des équipes réparent entre-temps. A onze heures de nuit, on nous amène un prisonnier. Toute la nuit, c'est un va-et-vient continuel pour ravitailler la première ligne en cartouches et en fusils. Cela se passe sous un ciel pluvieux d'une obscurité d'encre, dans la boue. Les coureurs partent dans la rafale d'obus, pour suppléer aux fils téléphoniques coupés, que des équipes réparent entre-temps.
Vers onze heures, on remet au colonel … un perdreau, et une carte de visite ainsi libellée : «LIEUTENANT R… , chevalier de la Légion d’honneur, médaillé militaire, a l’honneur d’envoyer au colonel un perdreau tué par le porteur pendant l’action, lequel porteur est allé le ramasser en avant de la ligne sous les obus, donnât ainsi à ses camarades un bel exemple de crânerie »
Nous recevons les journaux de Paris d’aujourd’hui même, 22 avril. C’est une sensation curieuse que de lire au communiqué : « Grande activité d’artillerie dans le secteur de la cote 304.

23 avril. - Matinée encore pluvieuse. Cependant le soleil se montre un peu.
Les pertes du régiment sont bien fortes, et notre séjour ici ne fait que commencer. Les reconnaissances de la nuit n'ont plus trouvé les Boches, qui s'étaient retirés. Mais, devant le 3e bataillon, des trous de tirailleurs avaient été fraîchement creusés. Vers neuf heures, le ...e ramène une dizaine de prisonniers.
La matinée est assez calme ; il y a presque une heure d'accalmie. Après quoi, l'échange de projectiles ne cesse plus. Il est à craindre que le bombardement ne reprenne aujourd'hui. Les Allemands cherchent sûrement à s'infiltrer, par le ravin de la Hayette, entre nos lignes et le Mort-Homme. Si le Mort-Homme tombait, nous serions pris d'enfilade.
Nos pertes sont aujourd'hui de 7 tués et 22 blessés. Evidemment, en comparaison de celles d'hier, est peu. Cependant, quelle éloquence dans ces chiffres que j'enregistre pour le troisième jour. Que l'on établisse une moyenne, en calculant que mon relevé ne porte que sur 1 500 mètres de l'immense front; certes, ce point du front est l'un des trois ou quatre qui sont le plus difficiles à tenir en ce moment; c'est égal, quelles conditions de guerre !
Dans une des reconnaissances de la nuit, le sous-lieutenant de D... a découvert, au fond des trous de tirailleurs dont j'ai parlé, des dépôts de grenades, de couteaux, de fusils, d'appareils à gaz, mis là dans une intention, mais laquelle? Des guetteurs surveillent l'endroit. En somme, nous nous posons les questions suivantes : pourquoi, après deux jours d'un bombardement fantastique, les attaques n'ont-elles pas été plus poussées? Pourquoi ces préparatifs mystérieux? Il est visible que les. soldats boches n'ont pas grande envie de marcher ; mais on sait qu'on emploie chez eux certains moyens pour les y forcer. Sommes-nous sous le coup d’un assaut sérieux, ou ne devons-nous attendre qu'une nouvelle usure par l'artillerie?
Ce soir de Pâques, je suis sorti de la cagna vers onze heures. Le ciel, sans nuages, fourmille d'étoiles. Il fait bon, mais la nuit reste obscure. Le spectacle est féerique, diabolique aussi. Des fuséesmontent, des projecteurs balaient l'espace, un avion glisse, invisible, dénoncé par son moteur. Des éclairs illuminent les lignes fuyantes des côtes; l'on entend les sifflements, les miaulements desobus et de leurs éclats. Les hommes casqués, portant du matériel, s'interpellent, trébuchent. La menace de la mort plane partout sur cette nuit qui, pourtant, après les pluies, exhale tout le charme du printemps et de la vie.
Il ne reste plus grand monde de la musique, de l'autre régiment de la brigade, le …e. On sait que les musiciens sont brancardiers auxiliaires. Ils se tenaient donc à Esnes, dans une cave, près du poste de secours, pendant le bombardement d'hier. Un obus a tout défoncé, tuant douze musiciens, blessant tous les autres.
L’abbé M[illon],  capitaine, a été tué dans son poste téléphonique, en même temps que le téléphoniste. Le capitaine B[audiment] a eu la tête emportée par un obus, au moment de l’attaque, alors qu’il commandait « Feu à volonté ! » Le lieutenant L..., couvert de décorations, est resté enseveli pendant deux heures. Il n'en décolère pas. Il a un pied gelé et refuse de se faire soigner.
11 h. 25 de nuit. - Le 75 tonne. Le téléphone marche. On ne dormira pas cette nuit. Quelle vie étrange, et pourtant comme tout était terne avant cette guerre ! Comment ceux qui réchapperont prendront-ils après cela la vie de chaque jour, la vie tout court? Pourtant, pas un, naturellement, qui ne souhaite de durer jusque-là, pour voir.

24 avril.. - Un bombardement effroyable eu lieu sur nos lignes cette nuit. Nous n'en savons pas encore les résultats.
Ce matin, il fait un temps superbe. Les avions boches sont en l'air depuis l'aube, prenant tranquillement des points de repère. Le tir de l'ennemi, destiné, je pense, à nos batteries, tombe pour le moment dans les champs, pas bien loin de nous, mais inoffensif jusqu’à présent.
Vers six heures du soir, de gros obus atteignent le poste de commandement. Rien d'étonnant, puisque nous avons vu les avions allemands opérer impunément au-dessus de nous. Ce n'est d'ailleurs qu'un prélude, car à sept heures une attaque se déclenche. Deux heures durant, c'est le formidable concert d'artillerie, tous les coteaux éclairés par les jets de flamme des départs d'obus, et, sur le Mort-Homme, dans le ravin de la Hayette, le feu d'artifice des fusées qui demandent éperdument, sans cesse, sans trêve, que le tir sauveur de notre barrage ne s'interrompe pas. Au milieu de tout cela, nous dînons. Je ne pense pas qu'il soit possible de vivre une vie plus intense que la nôtre. Dans ces deux pièces communicantes, sous la terre, notre réunion de cinq officiers, avec les ordonnances, donne l'effet d'un équipage de sous-marin en pleine traversée. Au moment le plus critique, on s'inquiète à peine ; à d'autres, ce sont des gaietés folles. Le colonel s'est étendu pour dormir un peu: au bout d'un instant, je suis obligé de le réveiller, parce que la brigade le demande au téléphone. A peine le récepteur en main, je vois une malice dans ses yeux. On lui dit que l'on sait par l'artillerie lourde que les Allemands doivent attaquer sur tout notre front. Nous éclatons de rire : l’artillerie lourde, est l'objet constant de nos railleries. On ne la voit jamais, on ne l'entend pas assez. Le colonel téléphone. aux chefs de bataillon pour les prévenir: «Bonjour, mon vieux ; ça va bien? Ecoutez. Tuyau de l'artillerie lourde. Les Boches vont attaquer tout le front. On ne sait pas quand. Dans une heure, dans quinze jours, ou dans un an. Donc, dormez sur vos deux oreilles mais ouvrez l’œil. Compris? Bonsoir.» Il ajoute pour nous: « Il est évident que l'artillerie lourde, étant très loin en arrière, voit très bien tout ce qui se passe là-bas. Ce doit être un tuyau du cuisinier.» Il se tourne vers le cuistot : «C'est encore toi ! C'est ton copain de chez le kronprinz qui t'a renseigné?» Et ainsi de suite.
Au dehors, vers dix heures, la féerie diabolique. Un ciel d'étoiles. Des fusées sans nombre. Des éclairs d'artillerie, partout, tout près, très loin. Sans arrêt, un halètement puissant : les obus en plein vol. Le ronflement d'un moteur d'avion qu'on ne voit pas.
A l'intérieur le téléphone n'arrête pas. Il rend compte qu'une voiture de munitions, écrasée par un obus, à Esnes, barre la route aux ravitaillements. Il dit les pertes: à telle compagnie, 7 tués ; à telle autre, 8 blessés à une troisième, on ne sait, des morts et ,des blessés, ensevelis et qu'on n'a pu encore dégager. Et le canon gronde toujours. Après l'attaque, les Allemands seraient restés dans une petite tranchée, à 200 mètres en avant des lignes. Il se pourrait très bien qu'une nouvelle attaque, plus importante, ait lieu. On ne là redoute guère. Les revolvers, les masques, sont là, à portée. Ce serait un tel soulagement pour notre haine, de les voir enfin face à face !
Les journaux arrivent. Communiqué :«A l'ouest de la Meuse, après une violente préparation d'artillerie... les pentes du Mort-Homme.... » Il s'agit de nous.

25 avril. - Beau temps, très beau, même. La sérénité de la nature qui ramène son printemps s'oppose à la misère que l'humanité se crée à elle-même.
Grande lutte d'artillerie dans l’après-midi. Le tir de part et d'autre, est réglé surtout sur les batteries adverses; les hommes ont un peu plus de tranquillité. Pourtant il y a encore des pertes. Nous arrivons au chiffre de 400, dont 170 tués.
Ce soir, la réserve de matériel, avec toutes ses cartouches, brûle à Esnes.
A neuf heures, arrive le colonel du ...e, qui nous relèvera demain. Il fait la reconnaissance avec ses Officiers.

26 avril. - Très beau temps. Six avions allemands, pendant cinq heures environ, ont fait au-dessus de nous toutes les observations qu'ils ont voulu. Je ne veux pas critiquer. Je constate seulement que pas un de nos avions de chasse n'a paru, de toute notre semaine d'occupation des tranchées. Résultat: un tir des plus efficaces sur nos lignes, sur les batteries, sur les villages ; et de lourdes pertes.
Au soir, la relève. Cependant le 2e bataillon reste à Esnes, où le bombardement est effroyable. Je l'ai dit, il n'y a aucun boyau, et pour le moment on ne travaille pas à en creuser. Le ravitaillement, la relève, l'évacuation des blessés, tout se fait par l'unique route d'Enes à Montzéville ; elle est repérée. et criblée d'obus, nuit et jour.
Je quitte le poste de commandement vers minuit. On tire de tous côtés.

A quatre heures du matin, nous nous couchons, à Béthelainville, dans une cave.

* Nota: Une erreur s'est glissée dans le texte du Commandant Bréant, il s'agit vraisemblablement de la 12e Cie du 161e RI et non de la 32e Cie.
Le JMO du 161e RI semble le confirmer

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SHD Mémoires des Hommes 26 N 702/1, vue 30.

Merci à Arnaud Carrobi pour sa relecture attentive.

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Henri Baudiment commandait alors la 3ème compagnie du 90ème RI, depuis l’entrée en guerre du régiment. Adjudant à la déclaration de guerre, il venait d’être nommé capitaine à titre temporaire, en date du 30 mars 1916.
Il avait été décoré de la Croix de Guerre par les Français, et de la Military Cross par les Britanniques, à l’issue des combats autour d’Ypres, du 6 au 12 novembre 1914
Louis Cazaubon a consacré un blog au capitaine Baudiment et à sa famille.

 

Au archives départementales de la Meuse, on retrouve trace des inhumations provisoires des capitaines Millon  et Baudiment, sur le territoire de la commune de Jubécourt (55).

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Le Capitaine (abbé) Millon à gauche - Le Capitaine Baudiment à droite

 

Sources:
Collection de l'auteur
Collection particulière Louis Cazaubon
Collection Frédéric Radet
« De l'Alsace à la Somme » - Pierre Bréant – Hachette

6 janvier 2019

Un chef cuistot médiatique au 90e, Jules Maincave dans la "Revue de l'académie du Centre"

En Histoire, on est toujours soumis à la prochaine découverte, au document récemment trouvé qui invalidera l'argumentaire précédent.

Le 90e RI est souvent cité dans les milieux de la cuisine ou de la littérature culinaire par le fait qu'un célèbre chef exerça au sein de ce régiment, je veux parler de Jules Maincave.

4 - Maincave Les Annales 2 novembre 1913 rid 4

 

Un excellent article à paraitre de l'Académie du Centre qui revient sur Jules Maincavé (chef cuistot du 90e). Quelques ouvrages d'historiens estampillés Centenaire1418 vont être à revoir. Idem Thierry Marx, le médiatique chef cuisinier va pouvoir réviser ses fiches.
Nota JCh: Je garderai quand même la recette du gateau ANZAC donné dans le lien ci-dessous, tout gourmet appréciera la préparation culinaire et aura une pensée pour "Lolo" Joachim-Raphael Boronali.

https://www.europe1.fr/emissions/Cuisine-mode-d-emploi/Le-biscuit-de-Jules-Maincave-mode-d-emploi-par-Thierry-Marx-144874

Jules Maincave est aussi cité dans de doctes parutions historiennes, notamment par des spécialistes de la nourriture pendant le conflit voir par exemple http://happy-apicius.dijon.fr/manger-et-boire-entre-1914-et-1918-cr14-la-cuisine-de-tranchee-par-marie-llosa/

Je vous invite donc à découvrir la folle (non) histoire de Jules Maincave dans la revue 2018 de l'Académie du Centre, par Jean-Paul Morel. Vous y retrouverez aussi des articles de qualité traitant dautres thématiques et d'autres périodes. Je retiens cependant un article de Lucien Lacour sur les liens entre Ernest Nivet et Bernard Naudin, deux artistes directement concernés par la première guerre mondiale.

Je note aussi un article sur l'équipage du "Soufleur II" dont le chef de char fut Jean Moncorgé-Gabin qui séjourna avec la 2e DB dans l'Indre en 1945.

P1070513

Archives Départementales de l'Indre, 1 rue Jeanne d'Arc 36000 CHATEAUROUX
Tél : 02 54 27 30 42 - Fax : 02 54 27 85 60 - Email : academieducentre@gmail.com
Président : Jean-Pierre SURRAULT

2 juillet 2018

Un mémorial familial sur les pentes de 304 - Alphonse CHAGNOLLEAU

Il est parfois des découvertes qui me touchent et le temps du Centenaire est un moment propice à ces découvertes. Mon intérêt se porte principalement sur la forme de la prise en charge de la mémoire par les familles elles-même, l'implication des familles très souvent bien loin des canaux officiels.
Toujours ému devant l'émotion sincère des familles lors des évennements qui parsèment ce Centenaire, j'en viens, par exemple à penser à la rencontre avec les descendants lors de la journée anniversaire du 9 mai 2015 à Loos en Gohelle, où il m'avait été donné l'occasion de rencontrer la famille de Léon AUGRAS, un agriculteur de Maillet.

Toujours concernant les soldats du 90e RI, sur les réseaux sociaux, très récemment, par le biais du compte  de Camille Varges Harlé @C_VargasHarle j'ai découvert un mémorial officieux rendant hommage à un soldat de l'Indre et ce sur les pentes d'un des haut-lieux des combats 14/18 des régiments de l'Indre, à savoir la Cote 304 du secteur de Verdun.

Capture304

Ainsi, sous une modeste mise en ligne de quelques clichés, j'eus l'agréable surprise de découvrir l'hommage rendu à Alphonse CHAGNOLEAU du Poinçonnet.
J'aime la modestie de l'hommage, simplement composé d'un cliché datant du service militaire (avant 1910 du fait de la présence d"épaulettes), d'un rappel de la situation du 90e RI en ce 4 mai 1916 (JMO), d'une fiche Mémoires des Hommes et d'un rappel anonyme de la filiation pour rendre hommage au grand-oncle disparus ainsi qu'à ses camarades

Natif d'Arthon en date du 1er septembre 1881, fils de Jean et de Jeanne SIMON, il réside à Lys-Saint-Georges au moment de sa conscription. Déclaré "Bon pour le service" suite au conseil de révision, il part au 10ème RI à compter du 15 novembre 1902 pour finalement être libéré le 23 septembre 1905.
Rappelé à la mobilisation, il arrive au régiment d'infanterie de Châteauroux le 12 aout 1914. Il se rend alors à la caserne Bertrand de Châteauroux.
Il est porté disparu le 4 mai 1916 à la Cote 304 à Esnes en Argonne (55).
En l'absence de témoins direct de cette disparition, le tribunal civil de Châteauroux acte de la disparition et par jugement déclaratif considère Alphonse Chagnoleau comme décédé le 4 mai 1916.
La transcription de ce jugement est effectuée à la mairie du Poinçonnet, où il est déclaré comme résident depuis son retour du service militaire en 1905.

CaptureChagnoleau1
Sa fiche matricule sur le site des AD36 (page 149 du lien)

 

La fiche d'Alphonse sur le blog Mémorial Départemental
Je comprends maintenant le commentaire qui avait été laissé en mai 2016 sur la fiche de Alphonse CHAGNOLEAU, pour le centenaire de la disparition

 

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Chagnoleau Alphonse Verdun 1916

 

Sur les combats de 304, on pourra relire le témoigne de Albert Le Flohic "Il y a 100 ans, sur 304, les pénibles journées de mai 1916"

12-Combats cote 304

 

Merci à M. Riaux pour le souvenir de son aieul et de ses camarades

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