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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI
1 août 2022

A Châteauroux, Le Blanc, Ardentes, Argenton et Eguzon: Les témoins de la mobilisation d'août 1914.

En novembre 2014, un cycle de conférence se tint à Châteauroux sous l’égide du Centre de recherches, d'études et de documentation de l'Indre (CREDI). Jean Pierre Surrault, président du CREDI, me confia la lourde tâche de faire l’ouverture de la journée, en ayant pour mission de présenter la mobilisation militaire d’août 1914. Après en avoir écouté la captation audio qu'un ami et collègue en avait fait, je me suis replongé dans les témoignages d'alors. Ce fut très rapide car, ceux-ci sont peu nombreux et de plus, sont assez brefs. Ils méritent cependant une mise en valeur.
La conférence avait fait l’objet d’une publication en 2016, au travers d’un ouvrage reprenant les versions écrites de chaque intervention. Je ne vais pas reprendre ici mon texte d'alors, mais juste en extraire la partie liée aux témoignages, juste histoire de hûmer et d'apprécier le parfum de cette période.

Le 1er août 16h00, un télégramme annonçant la mobilisation pour le lendemain est envoyé par le Ministère de la Guerre. Les unités militaires sont destinatrices de ce télégramme qui est aussitôt transmis au chef de corps.

Capture21_JMO90eRI
L'arrivée du télégramme à la caserne Bertrand de Châteauroux- SHD Journal de Marche du 90eRI 

 

En parallèle, ce télégramme est envoyé dans toutes les brigades de gendarmerie de France, chaque brigade de gendarmerie correspondant à un canton. Aussitôt, les gendarmes sortent de leur coffre-fort les enveloppes contenant les consignes à tenir en cas de mobilisation générale.
Dans cette enveloppe, les gendarmes trouvent un certain nombre d’affiches qui sont à placarder dans les communes desservies par la brigade. L’affiche de la mobilisation est accompagnée de celle ayant trait aux réquisitions. Avant d’être placardée par les gendarmes, l’affiche, d’un type imprimé en 1904, est complétée de la date effective de la mobilisation.
Une fois avertie soit par télégramme ou par les gendarmes, les municipalités font sonner le tocsin pour avertir les habitants du drame se jouant.

A propos de l'arrivée dudit télégramme dans les communes et de l'apposition des affiches de mobilisation, il est intéressant de se reporter aux documents mis en ligne par le site "Le Blanc 1418 à travers les archives"

CaptureTelegrammeLB CaptureAfficheLB
Extraits sources:  "Le Blanc 1418 à travers les archives"
Cliquez sur les images et profitez-en pour regarder en amont et en aval du message du 2 août

En même temps, du côté d'Ardentes et de Châteauroux, voici comment Eugène Hubert, l’archiviste départemental, décrit la situation :

P1060970
Notes Eugène Hubert AD36 R971

"Samedi 5 heures du soir - Ardentes. Proclamation de la mobilisation : vicaire d'Ardentes sonnant du clairon ; un des chantres, Aucouturier, en bras de chemise, battant du tambour, suivi d'une troupe de gamins ; le tocsin... Tristesse générale ; groupe de femmes les yeux mouillés de larmes, grande résignation, grand élan parmi les groupes d'hommes... Idem à Châteauroux. Temps superbe, sur la route d'Ardentes à Châteauroux, les moissons à peine commencées, trois faucheuses mécaniques seulement aperçues sur la route. Vers Clavières, à 5 heures, un conducteur de machine me dit « on prend mes chevaux après demain » (donc il était déjà avisé de la réquisition).
Châteauroux, samedi soir, voir Journal du Centre. Grand enthousiasme sur la place, retour de la retraite au flambeau, cris nourris de « Vive l'armée, etc ». Entrain admirable.
Samedi - Il est arrivé à Châteauroux, depuis midi jusqu'au soir, une quantité considérable de trains de voyageurs, venant de Paris, les vigies, les water-closed, les fourgons, pleins de voyageurs comme dans le métro. Dimanche, idem. Capitaine Beulay parti le dimanche pour Le Blanc à 5 heures ; pas de billet de quai.
De samedi, bruits stupides - Attaque par les Prussiens du fort de Longwy, 30 000 Allemands massacrés, 3 000 Français. Zeppelin allemand crevé par un avion qui se laisse choir dessus à Belfort (tirage au sort des aviateurs qui devront sacrifier leur vie pour détruire les dix zeppelins allemands (voir « la guerre fatale »). De tous côtés, on arrête : Châteauroux, des espions allemands qui déboulonnent les rails et placent des cartouches de dynamite pour faire sauter le pont de Notz et le pont de La Châtre. L'espion prussien, officier (pont de La Châtre), sera fusillé ce soir au verger le 4 août 1914. Alabonneau, mort depuis un an, a été tué le 2 août à Lothiers au moment où il déboulonnait les rails de chemin de fer et coupait les fils télégraphiques.

[Dimanche 2 août 1914]
À l'usine Balsan, les territoriaux et réservistes de la territoriale restent pour fabriquer du drap de troupe.
Prix des denrées - Tous se précipitent dans les épiceries pour acheter des provisions, le sucre est rare. Tandis que les Docs du Centre le vendent 16 sous au lieu de 14, Belloy le vend 24 sous. Les commandes d'épicerie sont tellement nombreuses que les épiciers ferment leurs boutiques pour avoir le temps de livrer. Je connais tel bourgeois qui le dimanche m'a montré une facture d'épicerie de 260 francs.
Idem pour le charbon sans augmentation de prix"

Notre archiviste départemental, soucieux et conscient du moment historique de l'instant, pousse son action de collectage jusqu'à récupérer des affiches et documents dans certains établissements réquisitionnés pour loger la troupe mobilisée qui ne cesse d'affluer à Châteauroux.

AD36_EugeneHubertAffiches_R971 Documents trouvés à Léon XIII - AD36 - R971 - Fonds Eugène Hubert

Au sud du département, une scène digne des grands moments des livres d'histoire se produit à Eguzon. On y joue l'union sacrée, elle y est de rigueur. Voici ce qu'écrit Alfred Garreau, le propriétaire de l'hôtel de France dans son journal, ce dernier est aussi officier de réserve et sera ensuite mobilisé au 65e Territorial de Châteauroux.

EguzonGarreau

« Eguzon 1 août 1914 La mairie est avertie par un télégramme, les affiches sont posées, le tocsin sonne, tous les habitants de notre petit bourg sont sur le pas de leur porte ; dans les rues, les femmes pleurent, et, pourquoi le taire, les hommes ont aussi les larmes aux yeux.
J
e cours aussitôt préparer mes effets militaires et faire ma valise, puis je redescends car je ne rejoins mon corps que le 2e jour, c’est-à-dire demain.
Dans la rue, je trouve Monsieur Dauthy, maire d’Eguzon, un vieil adversaire politique auquel je n’ai adressé la parole depuis bien longtemps. Il est très ému, me serre la main, et nous causons un moment sur la réconciliation nécessaire de tous les Français dans un moment aussi critique.
Triste soirée, que celle de ce 1er août 1914, car, quoique les affiches mentionnent : « La mobilisation n’est pas la guerre ! », nous savons bien que nous ne pouvons pas l’éviter. »

Capture23_IndependantBerry19140809
Indépendant du Berry 7août 1914 - BNF Gallica



Au même moment, cette fois, à Argenton, Raymond Rollinat, comme tous les jours complète ses carnets:

« Argenton, Dimanche 2 août 1914 premier jour de la mobilisation. Un détachement de 12 hommes réservistes du 90e vient à Argenton pour le service d’ordre de la gare.
Des commerçants d’ici ayant augmenté leurs denrées dès le début de la mobilisation, M. le maire, Léon Pacton, les a, de suite, rappelé à l’ordre … ».

Fait remarquable, en tant que photographe amateur, il réalise alors une série de clichés dont un, représentant le voisin de Raymond Rollinat, Eugène Brisse posant avec sa fille, devant l’affiche de mobilisation et celle des réquisitions et qui ont été collées sur la bascule du champ de foire, dès l’annonce de la mobilisation. Il photographia aussi le départ des réservistes à la gare d'Argenton.

text819

 Si Raymond Rollinat prend en photo le départ des mobilisés, il est intéressant de connaitre le témoignage de l'un d'entre eux, comme l’écrit Alfred Garreau, ensuite vint le temps du départ :

« Eguzon L’aurore du 2 août me trouva debout ; la nuit a été mauvaise, et il me fallait songer au départ. Je repris mon uniforme que j’avais quitté si peu de temps avant, mais cette fois pour combien de jours ? trois mois ? quatre mois ? la fin de l’année peut-être ? Dieu que ce serait long une telle absence loin des siens !
La voiture est prête, c’est fini, adieu à tous, et, avant que les larmes ne coulent, la route.
J’arrive à la gare. Déjà un certain nombre de réservistes sont là, et je décide de monter avec eux pour abréger la route. La plupart sont tristes d’avoir quitté femmes et enfants, mais le moral semble bon, et puis, ils espèrent que tout sera finit rapidement … »

 MontageEguzon_Gare


 

 Les soldats, les sous-officiers et officiers de réserve rejoignent donc leur garnison tant à Châteauroux, Le Blanc ou Issoudun, mais aussi parfois situées dans d'autres régions militaires. En chemin inverse, des berrichons de Paris, notamment, reviennent au "pays" et rejoignent directement les casernes du département. Il en est de même pour certains officiers de réserve appelés à former l'encadrement des 68e, 90e, ainsi que leurs régiments de réserve (268e et 290e RI) et territoriaux (65e et 66e RIT). Le même schéma se produit pour les unités castelroussines comme le 9e Escadron duTrain, le dépôt de la 9e Section d'Infirmiers Militaires ou au dépôt d'artillerie de l'avenue des Marins.
Ainsi, un officier parisien, le lieutenant Sohier, mobilisé au 290e RI et qui a déjà effectué des périodes d'exercices à Châteauroux nous raconte cette arrivée:

 "Châteauroux. - La ville qui m'était toujours apparue morne et quasi déserte, est grouillante à mon arrivée. Plus de place dans les hôtels; les rues sont peuplées d'une foule un peu tourbillonnante jusque tard dans la nuit. Du mouvement, voire même de l'agitation, mais pas de bouillonnement véritable; c'est là ce que je constate. Est-ce l'anxiété du drame attendu qui coiffe les esprits? Certes, on prépare un douloureux départ. Mais à Paris aussi, et pourtant les vibrations des cœurs étaient souvent bien sonores là-bas. Non. Ici nous sommes dans le Berry, et le Berry impose son impassibilité fataliste dès que l'on y pénètre
Dès le premier soir le régiment de l'active s'embarque. Il quitte la caserne à la nuit tombée, musique en tête, drapeau déployé. A la lueur des phares d'acétylène il s'est préparé. Il défile superbement dans la ville éclairée. Les Berrichons sont remués presque jusqu’a l'enthousiasme, juste ce qu'il faut pour acclamer. Rien de trop, et le spectacle revêt une grandeur calme, émouvante.
Puis ce sont les préparatifs du départ du régiment de réserve. Je suis affecté au service téléphonique. Il faut connaître les hommes, le matériel. Les hommes : braves gens sur qui on peut certainement compter. Le matériel : c'est avec cela qu'il faudra faire quelque chose ? Car je veux faire quelque chose, je m'imprègne de mon rôle, je pompe ma théorie. Dans la guerre moderne quel rôle merveilleux devra jouer le téléphone! Oui, c'est bien cela..., je vois, j'imagine les diverses situations possibles. Puis je regarde, morne, le matériel. Quatre vieux appareils et quelques bobines de fil verni, quasi rigide. Je reste rêveur, un peu découragé. On verra bien."

En parallèle, à Châteauroux, le sergent-fourrier Marc MICHON nous raconte sa « mobilisation » alors qu’il est déjà sous les drapeaux et s’en revient à peine d’une manœuvre au camp de la Courtine avec des éléments du 90ème RI.

"Au retour de la Courtine, que nous fîmes par voie ferrée, j’eus enfin la joie d’avoir une chambre pour moi tout seul. Par l’intermédiaire d’un camarade, j’empruntai cent francs à une banque de la rue Grande, afin de pouvoir m’installer confortablement. Je fis repeindre les murs, cirer le parquet et suspendis au mur une reproduction d’un tableau d’Eugène Delacroix que j’aimais beaucoup : « Entrée des croisés à Constantinople.
A peine avais-je fini mon emménagement qu’une avalanche nous tomba sur la tête. Le premier août 1914, vers cinq heures de l’après-midi, une affiche blanche était apposée à la mairie et à l’hôtel des Postes : La mobilisation générale était déclarée.
Le premier août au soir, je gagnais Buxières à bicyclette pour aller embrasser les miens. Mon père, lui aussi avait collé la grande affiche blanche sur la porte. A l’église, le tocsin sonnait sans arrêt ; ma mère, mes sœurs pleuraient. Dans la nuit, le cœur en écharpe, je regagnai la caserne Bertrand.
Longtemps à l’avance, le plan de mobilisation avait déterminé le poste que chacun devait occuper et fixé jour par jour, heure par heure, ce qu’il convenait de faire. Etant sergent-fourrier, j’étais appelé à prendre ce poste à la 19e compagnie du 290e régiment d’infanterie, le régiment de réserve du 90e. Ainsi le destin avait voulu qu’au lieu de partir à la guerre avec mes camarades de l’active, je fusse désigné pour combattre avec des réservistes.
Malgré les événements, déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, mobilisation russe et allemande, puis mobilisation française, certains voulaient encore garder l’espoir. « La mobilisation n’est pas la guerre. » Mais je ne partageais pas leur optimisme.
Tout se passait dans l’ordre. La mobilisation avait été préparée jusque dans ses moindres détails et la machine, bien huilée, tournait rond. Les corvées partaient aux heures prescrites chez l’armurier, à la manutention, pour toucher armes, munitions et vivres. Je garde le souvenir de montagnes de boites de conserve et de sucre cristallisé et je n’ai pas oublié l’odeur poivrée des potages condensés, ni celle, entêtante de la naphtaline dans le magasin d’habillement.
Au jour et à l’heure dite, chacun remplissait la tâche pour laquelle, dès le temps de paix, il avait été désigné et, bientôt, tous nos réservistes furent habillés, équipés et armés. La 19e compagnie put alors se rassembler dans la cour du quartier, sous les ordres lieutenant De la Varenne, afin de présenter les armes au régiment d’active qui partait s’embarquer. Mes meilleurs camarades me quittaient, Vidal, Theuret, Couvrat et Lavaud qui venait d’être admis à Saint-Maixent et avait été nommé aspirant la veille.
Un jeudi, mon père vint au quartier pour me voir une dernière fois. Je l’accompagnai dans la rue George Sand jusqu’à l’angle de la rue de la Manutention. Le moment était venu de se quitter. Il ma prit dans ses bras et, d’une voix qui tremblait d’émotion, me dit : « Va mon petit, fais ton devoir ». Puis, après m’avoir glissé deux Louis dans la main, mon père s’éloigna d’un pas lourd, sans se retourner pour ne pas me montrer ses larmes et je revois ses épaules un peu voutées qui marquaient tout le poids de sa peine.
Quelques jours plus tard, le treizième de la mobilisation, le tour arriva pour le 290e de s’embarquer. Entre deux haies serrées de femmes, d’enfants, de vieillards, sous les acclamations, nous gagnâmes la gare au pas cadencé".

marc-michon
Marc Michon (1893-1982)




 

RI068_Mobilisation_3eSectionMitrailleuses_Recto2
La 3ème section de mitrailleuses, au Blanc, la veille du départ pour le front

Monsieur Alexandre Triptolème
à Brissais Canton de Béruges
par Poitiers Vienne

J’ais reçu votre argent. Je vous en remercie beaucoup nous partons ce soir sur les 2 heures pour la frontière mais ne vous faites pas trop de chagrin pour moi car j’ai tout espoir de revenir
Votre fils qui vous aimera toujours Emile Triptolème
N’écrivez pas on ne peut déjà pas recevoir les lettres
Je vous conseille de garder cette carte avec précaution car ce sera un souvenir pour plus tard.


 

SIM009_9eSection_Phemoland_19140811_RectoNB
Une ambulance de la 9ème section d'Infirmiers en partance de Châteauroux


 

RIT066_1914_DepartSoldats_recto


Des "pèpères" du 66e RIT du Blanc prêts à en découdre et à aller chercher la "tête à Guillaume"

C(h)er camarade je
par demain chercher la
tête à Guillaume pour
t en apporter un petit morceau
pour en faire manger les chiens


 

Pour des raisons de praticité, d'organisation, il n'était pas possible de faire venir tous les mobilisables dès le 2 août dans les casernements, l'appel se fit donc sur plusieurs jours jusqu'au 16 aout 1914 suivant le profil tant du soldat que de son unité à laquelle il était rattaché. La date étant indiquée sur le livret de mobilisation propre à chaque soldat "Mobilisable le 3ème jour ...".

 Capture31_TableauConcordance

Sources biblio:
Alfred GARREAU - Mes mémoires de guerre - Auto-édition familiale 2011
E. SOHIER - 1914-1915 - Auto-édition non datée
Marc MICHON - "Mes guerres et mes prisons" Imprimerie Lecante - Guéret 1980


 

109530664
Credi-Editions, 90 boulevard François Mitterand, 36000 Châteauroux Tel. 02 54 08 52 92.

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Commentaires
I
Nichts, es steht nicht zum Verkauf
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S
Merci Jérôme de rappeler ce moment nfort du Bicentenaire avec un colloque marquant.<br /> <br /> J'ai retrouvé récemment quelques exemplaires de l'ouvrage que j'annonçais épuisé,<br /> <br /> Amicalement,<br /> <br /> Jean- Pierre Surrault. <br /> <br /> Credi-Editions
Répondre
H
******<br /> <br /> super bravo encore
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