"Notre artillerie avait deux rôles : La protection des travailleurs et l'exécution des tirs de préparation.
Protection des travailleurs. - Il était évident que notre ligne de tirailleurs ne pouvait pas garantir les travailleurs contre les tirs des Allemands. Pour cela, il fallait faire appel au 75. Avec la vitesse et la précision de son tir, la puissance de ses projectiles et sa faculté de battre des fronts larges, il était capable de réduire au silence toute mitrailleuse dont on connaissait approximativement la position. Malheureusement, on ne put pas déterminer même approximativement la position de tir de tous les engins allemands. Comme, je l'ai dit, il y avait en face de nous, dans les lignes allemandes, le Bois de Blairville et dans ce Bois il y avait une grande carrière dans laquelle les Allemands pouvaient dissimuler et mettre à l'abri tout ce qu'ils voulaient et notamment leurs Minenverfer.
Tirs de préparation. - Nous disposions d'une artillerie nombreuse de petit et de gros calibre. Le stock de munitions devait être important aussi, car on a tiré presque sans interruption une huitaine de jours. Les tirs de préparation comportaient les tirs de brèche dans les réseaux allemands et les tirs de destruction sur les abris.
Tirs de brèche. - Ces tirs furent confiés au 75. Malgré les excellentes qualités de ce matériel, la tâche était ardue. Les Allemands avaient planté devant leurs tranchées des réseaux successifs de fils de fer, de hauteur variable. Comme les herbes étaient très hautes, les réseaux étaient noyés dedans, de sorte que l'observation des résultats du tir était extrêmement difficile. Au bout de plusieurs jours de tir les artilleurs ont déclaré que les brèches étaient faites. Pour en être bien sûr, on organisa des patrouilles de vérification, fournies à la fois par l'artillerie, le génie et l'infanterie. La patrouille de l'artillerie confirma l'existence des brèches. Celles du génie et de l'infanterie prétendirent qu'il n'y avait pas de brèches de bout en bout à travers les réseaux, mais seulement des places nues distantes les unes des autres, où les obus avaient fait sauter le réseau. On ne désigna personne pour départager les avis contradictoires. Du reste, quand l'artillerie a déclaré que les brèches étaient faites, elle était au bout de ses allocations de munitions.
C'est au cours d'une des patrouilles dont il est question que le Caporal Venin a obtenu la citation à l'ordre de l'Armée, dont on donnera le texte plus loin. Disons que le Général d'Urbal, Commandant la 10e Armée, est venu personnellement remettre la Croix de Guerre avec palme à Venin, quand nous étions à Bully-Grenay.
Tirs de destruction. - C'était l'artillerie lourde qui était chargée d'effectuer ces tirs. J'ignore sur quels objectifs elle a tiré, je n'avais, du reste, pas à les connaître. Je sais seulement qu'on n'a pas tiré sur les organisations allemandes qui se trouvaient dans le Bois de Blairville, sans doute qu'on aurait dépensé des munitions en pure perte. On s'était réservé ces organisations pour le jour de l'attaque. On les aurait alors neutralisées avec des obus toxiques, qu'on qualifiait du nom d'obus spéciaux P. On avait à ce moment encore des scrupules".
Sources: Colonel Eggenspieler - Un régiment de réserve en Berry 1936