Le 24 mai 1915, le 290e RI subit une attaque aux gaz, alors qu'il se trouve dans le secteur nord-est d'Ypres, dans le secteur Lizerne, Boesinghe.
Voici ce qu'en rapporta le colonel Eggenspieler, chef de corps du 290e RI
A 2 h. 45, on voit deux fusées rouges partir d'un ballon captif allemand dans la direction de Saint-Julien. Peu après un nuage opaque de couleur jaune-verdâtre s'élève en avant des tranchées allemandes. Le vent qui souffle dans notre direction chasse les nuages vers nous. Le Lieutenant Poirier qui commande le 6e bataillon donne aussitôt l'alarme. Il prescrit de mettre les masques. Ce sont à ce moment de simples tampons glycérinés qu'on doit tremper dans l'eau et les appliquer sur la bouche et le nez. A défaut d'eau on devait se servir d'urine. Ceux qui n'avaient pas de masques devaient prendre leur mouchoir et l'imbiber comme les masques.
Le nuage passe sur la première ligne sans occasionner un grand malaise aux occupants. Les gaz glissent ensuite vers le canal par le terrain incliné où se trouvent les deuxième et troisième lignes. Leur effet est plus sensible dans cette région. Des officiers et des soldats sont fortement incommodés sans avoir toutefois de lésions graves sur le moment. Le sous-lieutenant Devilliers qui accompagnait le Commandant de Lacombe toussait et crachait le sang. Au-dessus de l'eau du canal les gaz se dissipent assez rapidement.
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Vers 3 heures un bombardement violent se déclenche sur tout le secteur. Les projectiles tombent partout et ils sont de gros calibre. Le Commandant de Lacombe a ramassé tout près de lui un culot de 280.
La 20e compagnie se porte en avant en renfort de la première ligne.
Une violente fusillade se fait entendre sur la droite devant les Anglais. La Brigade fait connaître que ceux-ci viennent d'être attaqués et qu'ils ont perdu du terrain. Etant donné l'orientation générale des lignes, la situation chez les Anglais intéressait vivement le régiment. En effet, nos tranchées faisant face au Nord et celles des Anglais étant face à l'Est-Nord-Est, si celles-ci tombaient, le régiment était pris à revers. Le Commandant de Lacombe voyant des Officiers anglais revenir des tranchées leur fait signe d'approcher pour leur demander des renseignements, mais il est impossible de s'entendre. Les Anglais, dont un est blessé, comprennent cependant qu'on leur offre de la gnôle. Ils en prennent un coup et continuent leur chemin. Peu après, d'autres Anglais, une centaine, quittent aussi leurs tranchées et se sauvent sans armes vers Saint-Jean. Heureusement qu'à ce moment des renforts anglais arrivent. Ils s'avancent en colonnes par quatre sous les obus qui font de larges brèches dans leurs rangs. Ils se rangent en chantant au bord de la tranchée, puis ils y descendent et la situation est rétablie.
A 10 heures les Anglais nous signalent des rassemblements allemands derrière la côte 29. Comme ils n'ont plus de liaison avec leur artillerie ils nous demandent de faire tirer pour. eux. Malheureusement à ce moment notre Officier observateur (Lieutenant Bergeron du 49e R.A.C.) est tué par un obus en même temps que le sous-lieutenant Devilliers. Ils se trouvaient tous deux dans l'abri du Commandant de Lacombe; ce dernier n'a échappé à l'obus que grâce au hasard qui l'a fait appeler au téléphone.
Quand les communications avec l'artillerie furent rétablies, celle-ci tira sur les rassemblements allemands, mais modérément, le ravitaillement en munitions n'ayant pas eu lieu la veille.
A 13h.30 une trentaine d'Allemands sortent de leur tranchée. Ils sont formés en lignes de tirailleurs fortement espacés et s'avancent résolument vers nos lignes. Ils croient sans doute nos hommes asphyxiés et n'avoir plus qu'à nettoyer la tranchée. Ils vont être fixés tout de suite. La 23e devant laquelle ils se présentent ouvre le feu et les arrête net. L'un des Allemands s'enflamme et brûle comme une torche. Il devait faire partie d'une équipe de lance-flammes. En même temps que s'effectuait cette sortie des obus toxiques tombèrent un peu partout sur le secteur. Aux points où les obus éclataient la terre devenait jaune, les capotes des soldats devenaient vertes, l'urine devenait rouge.
Entre 15 et 16 heures de la cavalerie allemande est signalée en avant des Anglais à l'Ouest de Saint-Julien. D'autre part les Anglais nous signalent de nouveau des rassemblements ennemis vers les côtes 27 et 29 et nous demandent de tirer. De son côté, le Lieutenant Poirier a aperçu des cavaliers portant des uniformes bleu horizon et semblant se diriger vers nos lignes et celles des Anglais. Poirier en a conclu que ce devait être des cavaliers allemands déguisés.
Dans cette journée du 24 l'attaque principale des Allemands a porté sur les Anglais à notre droite. Les tirs et les tentatives dont nous avons été l'objet semblaient n'avoir été que des mesures de neutralisation sur les ailes du front attaqué. C'était conforme aux procédés d'attaque des Allemands.
Dans la soirée nous apprenions que le Général de Brigade Cherrier était nommé au commandement de la 152e D.I. Le Général Joppé reçut le commandement d'une D.I. territoriale.
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Un peu plus de détails, sur les attaques aux gaz: La Guerre des Gaz
Sources: Eggenspieler "Un régiment de réserve en Berry - Le 290eRI" Bourdier 1932