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Indre 1914-1918 - Les 68, 90, 268 et 290e RI

22 décembre 2024

Un article de presse quasi anodin mais un parcours peu ordinaire pour le soldat Audoux de Lignac.

Avant de passer en mode "fêtes de fin d'année", voici un dernier article 2024
A l'approche de Noel, loin de vouloir vous casser le moral, voici un cas qui se termina mal. Les mauvaises langues rajouteront qu'il avait aussi mal commencé.
Je m'inspire ici de la spécialité et de la méthode narrative de mon collègue Arnaud: partir des petites choses comme cet entrefilet de presse et décrire un brin d'histoire locale dans la grande Histoire.
Soyons modeste, je lui dois la thématique ici présentée.
https://parcours-combattant14-18.fr/tresor-darchives-n-61-soldat-voleur-au-4e-ri-dauxerre/

 

24 décembre 2024 - 24 décembre 2014. Que se passait-il y a 110 ans ? A la lecture du journal « l’Echo des Marchés », je découvre un entrefilet d’à peine 10 lignes qui nécessairement a attiré mon regard. Alors que les soldats des régiments indriens sont dans les sanglantes et boueuses premières lignes de Flandres (Ypres, Zonnebeke), au pays, se trouvent des soldats qui sont restés affectés au dépôt.
Mobilisé le 1er aout 1914 et arrivé au Blanc le 4 aout, Emile AUDOUX fait partie des soldats de l’arrière et qui est resté au pays, bien que mobilisé.

Que s’est-il donc passé pour attirer mon attention ? Le titre est précis et sans équivoque. « Conseil de guerre du 9ème corps – Vols militaires »
Pour avoir participé au travail du Prisme1418 (Groupe indépendant sur les fusillés 14/18 fondé par feu général André Bach) et continué à le faire encore occasionnellement, mon premier réflexe est de regarder la peine encourue. Ici, rien de « grave », mais deux ans quand même. On est en temps de guerre, mais pas que ...

Echo des marchés - 24/12/1914 - BNF Gallica

 

Tout de suite, des questions apparaissent : Qu’avait fait Emile AUDOUX pour être signalé comme repris de justice ? Et bien sûr, qu’est devenu Emile AUDOUX ?
La collecte des premiers éléments est rapide via le module de recherche nominatif des fiches matricules des archives départementales de l’Indre.
 

Extrait fiche matricule Le Blanc Classe 1904
Recrutement Le Blanc - Classe 1904 - Archives départementales de l'Indre (R2400)

Emile Audoux est fils de Félicité AUDOUX et de père inconnu. Ils résident à Lignac (36) où Emile est né le 24 mai 1884.
Lors de sa conscription, il est noté « Bon absent ». En effet, la réglementation prévoit un classement systématique comme « Bon » en cas d’absence du conscrit. Il lui avait été attribué le numéro 37 pour le canton de Bélâbre. Au moment de la rédaction de la fiche, il déclare la profession de maçon, qu’il gardera tout au long de son parcours.
Les fiches matricules comportent une partie principale légendée « Détails des Services et mutations Diverses (Campagnes, blessures, actions d’éclat, décorations, etc.). L’administration n’a pas prévu une telle quantité d’actions d’éclat, pour le soldat AUDOUX, il fallut rajouter des fiches papiers.
Les « actions d’éclat » n’étaient pas non plus celles dans le sens prévu par le règlement, mais en l’absence de case « punitions », il fallut reporter les informations que je vais résumer ci-dessous.
Non encore incorporé, le 26 novembre 1904, Emile AUDOUX est condamné à 3 mois de prison pour vol par le tribunal de la Seine. Sa peine est mise en sursis. Il est affecté, pour son service militaire, au 42ème Régiment d’Infanterie (Belfort) où il arrive en octobre 1905.
Le 4 octobre 1906, il est porté manquant à l’appel et déclaré déserteur à compter du 10. Le 15 décembre 1906, il se présente volontairement et rayé des listes de désertion. Le mois suivant, il est donc condamné à 2 mois de prison pour « Désertion à l’intérieur en temps de paix, circonstances atténuantes admises ». Malheureusement, la fiche ne permet pas d’en savoir plus. Il passe à la SHR en attendant sa nouvelle affectation au 21ème Régiment d’Infanterie (Langres) où il arrive le 15 février 1907. Or, il est de nouveau déclaré déserteur le 31 mai de la même année et arrêté par la gendarmerie de Corbeil le 27 juillet. Il s’évade et est de nouveau arrêté le 20 février 1908, cette fois à Dijon et ensuite ramené au corps. Passant en jugement civil, il est condamné à 4 mois de Prison en février 1908 pour vols, escroquerie et abus de confiance. En parallèle, le Conseil de Guerre de la 7ème Région Militaire le condamne à 3 ans de prison pour double désertion. Il effectue sa peine civile et est libéré le 25 février 1910, il passe alors au 2ème Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique et est aussitôt intégré. En novembre 1910, il est libéré.

En 1912, il effectue une période d’exercices d’une vingtaine de jours au sein du 68ème régiment d’Infanterie (Le Blanc-Issoudun).
Ce que ne dit pas la fiche matricule: Entre temps, revenu au pays, il épouse Zéline VIGNAUD le 29 avril 1911 à Lignac (36). Il aura une fille Marguerite née en 1911 à Lignac et décédée en 1948 (L'arbre généalogique est consultable sur Généanet, via le compte de Jean François Guinot / Sartron).

 

Vient le temps de la mobilisation de 14.

Emile est appelé à se rendre au Blanc au quatrième jour tel que cela est inscrit sur son fascicule de mobilisation.
La fiche matricule ne nous apporte aucun élément significatif sur le parcours de mobilisé de Emile. Il faut attendre le 24 décembre 1914, pour que la presse locale nous apprenne sa condamnation pour vols d’effets militaires article 248). Le parcours judiciaire de notre soldat n’est pas à son avantage et sa mention justifie aux yeux du journaliste la peine infligée soit deux ans de prison. La fiche matricule nous permet de voir que les circonstances atténuantes ont été retenues (Heureusement, vue la peine).

 

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Article 248 - Code de Justice Militaire - 1917 -BNF Gallica


Le 20 février 1915, il est envoyé aux armées direction le front où il rejoint l’unité. L'envoi aux armées plutôt que d'exécuter la peine est courant. La peine était alors reportée et l'envoi au front immédiat. Habituellement, cela s'accompagnait généralement d'un changement d'unité, ce qui ne fut pas le cas ici. Il ne fallait pas que la prison soit un échappatoire pour se retrouver en ligne.
Concernant la fiche matricule, il est à noter un point qui arrive peu souvent. Habituellement, un soldat voit le numéro de sa classe changer, mais alors pour reculer. On trouve en général dans ce cas, les parents. L'arrivée d'un nouvel enfant recule la classe d'âge. Le soldat sera nécessairement libéré plus tôt. Pour le soldat AUDOUX, c'est le contraire, ses condamnations le décale mais dans l'autre sens. Originellement classe 1904, ses peines le voit transférer en classe 1907.


Là divergent certaines données. Était-il au 68ème ou au 268ème RI?
Avant son départ, Emile AUDOUX est affecté au 68ème RI comme l’indique l’article de presse. Quelle fut sa destination, la fiche matricule indique un laconique « Régiment d’Infanterie Le Blanc », cela inclut nécessairement les 2 unités, le 68ème et le 268ème qui avaient même dépôt et garnison.
La fiche mémoires des Hommes, indique le 268ème RI, à l’inverse de l’acte décès qui lui donne le 68ème RI et confirme en citant la 10e Cie qui est nécessairement une compagnie d’active (3ème Bataillon)

 

Mémoires des Hommes
Acte de décès (Transcription) - Archives départementales de l'Indre

 

Emile AUDOUX n’apparait dans le Journal de Marche et Opérations du 268ème RI tant comme tué que comme blessé, alors que ce J.M.O. est connu pour citer toutes les pertes et ce nominativement, au contraire de celui du 68ème ne donnant des noms que concernant principalement les officiers.
Un point important cependant en faveur du 68ème RI, conformément à l'acte de décès, est justement la date de décès. 30 mai 1915, le 268ème RI est en secteur en Flandres et ce depuis octobre 1914 et ce jusqu'en aout 1915, moment où il rejoindra le 9ème Corps en prévision des attaques de septembre. Le 30 mai 1915, il est au repos à West-Capelle, Rexpoede.
Il apparait donc très improbable de voir un soldat du 268ème RI du côté de Bruay, au contraire d'un soldat du 68ème RI, ce régiment étant justement à cette période à moins de 20 kilomètres alors que le 268e est environ à plus de 50 kilomètres de là.

 

Le 68e en arrière du front artésien 29/30 mai 1915 - SHD 26N657


Faute de mieux, de document administratif supplémentaire, Emile AUDOUX restera avec le 268ème RI comme indiqué sur sa sépulture à Bruay (62).

 

Carré militaire Bruay (62)

La mémoire de Emile AUDOUX est triplement présente dans la commune de Lignac (36) : Sur le monument aux Morts, sur les plaques de la mairie et sur celle de l’église Saint-Christophe.

 

Monument Lignac - Photo Alain Bréjaud
Plaque de la mairie Lignac - Photo Alain Bréjaud
Plaque église St Christophe de Lignac - Photo Alain Bréjaud

 

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5 décembre 2024

Un Vierzart en 14-18: Michel Sornicle (VZ14-18)

Le lycée Henri BRISSON de Vierzon, ancienne Ecole Nationale Professionnelle, plus communément appelée l’ENP de Vierzon vit la pose de sa première pierre en 1883. L'établissement accueillit ses premiers élèves en 1887.  L'école fut donc nécessairement concernée par le conflit 14/18.
Ce ne sont pas moins de 112 noms (109 élèves et 3 personnels) qui figurent sur les plaques du lycée qui se trouvent dans le porche d'Honneur et qui font face aux plaques 39/45.

Je vais ici décrire un parcours peu habituel, celui d’un jeune Vierzart qui, au vu de sa classe, aurait pu ne pas être un ancien combattant 14-18 et qui ne combattit pas en 39-45, mais en paya cependant le prix fort. Pour cela, je m'appuierai sur des documents le concernant et récemment collectés.

Il est relativement aisé de trouver des informations concernant les soldats décédés, une fois ceux-ci réellement identifiés. Par contre, concernant ceux qui survécurent, il est plus difficile de trouver leur parcours dans le conflit. La notification du passage au sein de l’école ne fait pas partie des pièces administratives aisément consultables.
Il est cependant des documents qui peuvent permettre de faciliter ou de compléter ces recherches. Tout d’abord, il est possible de trouver des albums photographiques de promotions. On en trouve de temps en temps sur les sites de vente ou sur les brocantes.
Actuellement, concernant la période nous intéressant, il a été retrouvé 2 albums photographiques. Ceux-ci concernent les années 1910-1911, 1913-1914. Malheureusement, hormis s’ils ont été annotés par leur propriétaire originel, nous avons les visages, mais difficile de mettre des noms sur ces visages.
 

Albums photographiques 10/11 et 13/14 - Collection de l'auteur

C’est le cas inverse concernant les listes de promotions. Régulièrement, l’association des élèves diffusait les listes de promotions. Celles-ci étaient éditées, bien souvent au moment de la fête de fin d’année permettant de couronner les diplômés et donnaient les listes nominatives millésimées. Ces promotions regroupaient les élèves d’une même année. La promo 111 correspondant à 1911, 112 à 1912 et ainsi de suite.
Une de mes listes de promotion a été annotée. On y trouve la classe d'entrée (A,B ou C) et celle de sortie (N pour normale et S pour Spéciale), mais aussi, parfois, des adresses. Cela mériterait une étude plus approfondie et spécifique.

Collection de l'auteur
Collection de l'auteur

Les bulletins de l’amicale des anciens élèves de l’ENP sont aussi une source à ne pas négliger. On trouve ainsi des listes de noms, des numéros de promotion et parfois des adresses de domiciliation de l’adhérent. On retrouve par exemple les frères BRANDT (Edgar et Jules) aux alentours de 1898, tous deux dessinateurs pour l’entreprise de fonderie GUILLOT-PELLETIER à Orléans. L'entreprise existe encore de nos jours à  Saint Jean de la Ruelle. L’année suivante, Edgar et son frère résidaient à Paris. Malheureusement mes derniers bulletins datent de 1908.

Collection de l'auteur

Une autre source possible concerne les documents personnels des anciens élèves. On retrouve ainsi des clichés avec des correspondances, des noms, des dates. Ces documents sont à l’origine de l’étude que je vous propose ci-dessous, celle d’un Vierzart qui connut 2 conflits et figure sur les plaques mémorielles du lycée.
Michel SORNICLE.

Pourquoi s’intéresser à Michel SORNICLE, qui était-il ?
Lors d’un achat récent, j’ai acquis plusieurs cartes photos qui étaient en lien avec l’ENP et constituait un lot. Ces clichés étaient d’autant plus intéressants qu’il s’agissait de photos de groupe d’élèves et de sport scolaire (Rugby et Basket). A Vierzon, un des principaux vecteurs de propagation du sport, à l’aube du XXème siècle fut la présence des jeunes étudiants de l’ENP. Venant de plusieurs horizons géographiques, ceux-ci apportèrent par exemple le Rugby, le Football et le Basket dans les contrées vierzonnaises.
 

Collection de l'auteur

A l’ENP, une association sportive dénommée VIERZ’ART-CLUB fut créé vers 1905. A l’image du «Gadz’arts Club» des élèves des Arts et Métiers, les élèves vierzonnais participaient ainsi aux activités sportives.

Collection de l'auteur


Revenons à nos clichés. Sur les 4 clichés, 1 cliché est daté de 1917 et deux de 1918.
De gauche à droite, nous avons :
Tout d’abord, une classe de Vierzarts, certains portent l’uniforme, d’autres sont en tenues civiles. Sur les uniformes ou sur les couvre-chefs, des numéros indiquent l’année de présence et donc le niveau d’étude dans l’établissement. Nous avons là des 3e et 4e années. Le cliché est non daté.

Extrait - Collection de l'auteur


Le cliché suivant représente une équipe de rugby du Vierzart Club. Sur certaines coiffures, le symbole EX, des numéros 3 ou 4 sont présents et reprennent la tradition des niveaux de classes. Sur le ballon de rugby, l’inscription VC 1917 est présente.

Extrait - Collection de l'auteur

Le troisième cliché est aussi celui d’une équipe de Vierzart. A gauche du cliché, un personnage en civil porte le fanion « ENP VC ». Le cliché est daté au dos avec une correspondance du 25 février 1918, ce cliché est écrit et signé d'un "M. SORNICLE". Au verso, avec la correspondance, il porte le cachet du Vierz’art Club de l’Ecole Nationale Professionnelle de Vierzon (Cher). Cachet présenté un peu plus haut dans ce texte.

Extrait - Collection de l'auteur

.

Le quatrième cliché représente un groupe de 4 basketteurs et le ballon aisément reconnaissable porte la date de 1918. Le verso est en lien avec le patronyme SORNICLE puisque on peut y lire « 1918, Mademoiselle Sornicle Sully ». L’hypothèse la plus probable est que le cliché fut envoyé à une sœur de Michel SORNICLE par lui-même et que certainement il est un des 4 basketteurs.

Extrait - Collection de l'auteur
Extrait - Collection de l'auteur

Il est à noter un point qui est commun aux trois premiers clichés et qui concerne l’arrière-plan. Les 3 clichés ont été pris devant le même bâtiment en brique. Peut-être un bâtiment que l’on trouvait le long du terrain de sport. Aucun bâtiment actuel du lycée ne comporte de tels murs de briques encadrés de bois.

Viens maintenant le temps de recouper les documentations accessibles.

A partir des cartes-photos et de leurs données, il est maintenant possible de chercher le parcours de Michel SORNICLE. En indiquant dès maintenant son prénom Michel, vous vous doutez que j’ai retrouvé trace de notre sportif et que j’ai réponse à la question principale : « Quel lien avec 1914-1918 pour cet élève présent au lycée en 1918 ? »
Le premier réflexe est d’associer le patronyme et le lieu indiqué. Il existe un peu moins de 10 communes portant le nom de Sully en France dont une dans le département d’à côté, le Loiret. Nous avons de la chance, SORNICLE est un patronyme relativement rare que l’on retrouve effectivement à Sully-sur-Loire. Pour cela, Généanet (même sans compte premium) est un bon outil de recherche. On trouve très rapidement plusieurs arbres généalogiques concernant Michel Albert SORNICLE:
Michel Albert Sornicle saisi par « Soldat du LOIRET (Soldats45) »
et les données de l'arbre de Evelyne Delamour, on y apprend qu’il a 2 sœurs (Mariette et Jeanne) ce qui donne consistance à l’hypothèse de la carte envoyée à une de ses sœurs.

En 1918, la famille SORNICLE habite à Sully sur Loire. Le père Albert était vétérinaire. Il est à noter que ce dernier était titulaire de la Légion d’Honneur (Dossier Léonore en ligne).
Très rapidement, il est possible de trouver la fiche matricule aux Archives Départementales du Loiret.

Bureau de Montargis, classe 1920, matricule 429.

Avant d’étudier le parcours militaire et le lien avec 14/18, reprenons la correspondance qui nous permet de confirmer que Michel est encore à Vierzon pour ses études en ce début d'année 1918:
« ENP Vierzon 25 février 1918
Mon vieux Noirot. Je t’écris de l’infirmerie où je suis depuis 8 jours pour oreillons. Je pars ce soir pour Sully pour terminer mes 21 jours d’isolement. La bonne maladie, quoi !
J’espère et je souhaite que nous nous trouverons ensemble à Pâques. Je termine, voilà l’heure du train. Je te serre la pince. M. Sornicle »

Passons aux surprises de la fiche matricule :
Le lien vers la fiche matricule sur le site des Archives Départementales du Loiret :

Michel SORNICLE est né en 1900, il est donc classe 1920 et à ce titre il n’est pas concerné par le conflit puisque la dernière classe mobilisée fut celle de 1919.

Or, à la lecture de la fiche matricule, nous apprenons que Michel SORNICLE s’engagea volontairement le 27 aout 1918, à la mairie de Montargis au titre du 1er Groupe d’Aviation. Il venait tout juste de terminer son parcours ENP de 4 ans, entre 1914 et 1918. Il arriva au corps le 28 septembre 1918. A ce titre, il est donc considéré en campagne contre l’Allemagne à compter du 27 aout 1918 et ce jusqu’au 23 octobre 1919.

S'agissait-il d'une volonté patriotique de devancer l'appel? S'agissait-il d'un échappatoire afin de devancer l'appel de la classe 1920 et d'ainsi choisir son arme et son unité? En tout cas, il s'engagea avant la fin du conflit et ce pour la durée de la guerre. Sans avoir connu les affres du front, il fut libéré le 3 novembre 1919 pour être rappelé avec la classe 1920.
En campagne simple contre l'Allemagne, il obtint ainsi la médaille commémorative de la Grande Guerre.

Sa fiche matricule, dans le détail des critères physiques, nous informe que celui-ci est d’une taille de 1m80. Pour sa génération, voilà un bel athlète tant pour le rugby que pour le basket-ball.

Sans nul doute, on peut présumer que Michel SORNICLE est présent parmi les 4 basketteurs du Vierzart Club
Les 2 Vierzarts de gauche du cliché ci-dessous sont présents sur les 4 clichés, un des 2 serait vraisemblablement Michel SORNICLE
 

Extrait Photo basketteurs ENP 1918- Collection de l'auteur

Mais l'histoire de Michel SORNICLE et de l'ENP ne s'arrête pas là.

Le lien entre Michel SORNICLE et l’ENP ne se termine pas en 1918. en effet, celui-ci est bien présent au lycée mais cette fois sur les plaques mémorielles 39-45. On y apprend qu’il fut élève de l’ENP de 1914 à 1918. Il donc bien les 4 années de formation et que comme l’indique le fronton desdites plaques, il est:

En effet, s’il n’eut pas le temps de pleinement prendre part au conflit 14/18, celui-ci et sa famille partirent de Sully et s’installèrent à Orléans et bien que réformé, il ne prit pas part au conflit 39/45, il en demeure néanmoins une victime puisque décédé en tant que civil lors du bombardement allié du 19 juillet 1944.

Une association locale, que je tiens ici à remercier pour l’aide apportée, a récemment permit l’inauguration d’une plaque mémorielle en hommage aux décédés du 19 juillet 1944 à Saint-Jean-de-la-Ruelle, au pied du pont de l’Europe. Ceci eut lieu durant l’été 2024, dans le cadre des 80 ans de la Libération de France.
Le 19 juillet 1944, des bombardiers américains larguèrent pas moins de 300 bombes sur le quartier de la Madeleine. Ce furent 19 victimes dont Michel SORNICLE qui disparurent dans cette tragédie.
 

L’acte de décès de Michel SORNICLE, qui est aux archives municipales d’Orléans, nous apprend qu’il demeurait non loin à Ingré (Loiret) et qu’il était mécanicien. Il était époux de MESLIN Andrée qu’il avait épousé en 1928.

Victime civile du conflit, il figure à ce titre sur les plaques de l’Ecole Nationale Professionnelle de Vierzon (VZ14-18)

Grand merci à l’association G.H.I.L.I.I.S (GROUPE HISTOIRE LOCALE INTERCOMMUNALE INGRÉ/ST JEAN DE LA RUELLE) et M. Jean-Marie BOIS en particulier
pour l’aide apportée et la mise en place de cette plaque mémorielle.
 

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D'autres articles en lien avec l'ENP de Vierzon:

L'Ecole Nationale Professionnelle de Vierzon dans la Grande Guerre (2008-réactualisé 2024)

ENP Concours d'entrée 1914 et si vous le tentiez?

ENP Vierzon 1915, les faits de guerre du sujet du concours d'entrée

Un Vierzart en 14-18: Louis BECHEREAU (VZ91-96)

Un Vierzart en 14-18: Camille LEFEVRE (VZ92-94)

Un Vierzart en 14-18: Edgar BRANDT (VZ94-98)

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Les Vierzarts comprendront le graffiti trouvé sur un mur, non loin du lycée.

 

3 décembre 2024

3 décembre: A la recherche de Lucien porté disparu en 1914 (réactualisation 2024).

La journée du 3 décembre est un jour particulier pour moi.
Cette année, il y a très exactement 110 ans que disparaissait mon arrière grand oncle Lucien Bessonneau.
Au travers de ce message, je vais donc reprendre la quasi intégralité des messages que j’ai jusqu’alors rédigé sur ce sujet. Je souhaite les rassembler en un seul et en profiter pour les compléter et présenter ce qui synthétise mes recherches entamées à l'aube des années 2000, ces recherches ayant connues des hauts, des bas, des moments d'intense émotion notamment lors de la découverte de nouvelles informations.

Ce 3 décembre 1914, le 290ème RI et surtout la 17ème Cie eurent à subir de lourdes pertes dans les tranchées de Zonnebecke. Le JMO relève pas moins de 17 tués, 65 blessés et 54 disparus. L'un d'eux était mon arrière grand oncle Lucien Bessonneau. Il est à l'origine de ce blog. En effet, tout commença vers 2001, j’effectuais alors l’arbre généalogique de la famille. Je suis d'ailleurs membre de la Société de Généalogie du Bas-Berry depuis l’année 2000 (SGBB 00-27)

En 1996, j’avais racheté la maison de mes grands parents et, dans les papiers de Fernande, ma grand-mère paternelle, je retrouvais quelques documents qui concernaient mes arrières grands-parents Bessonneau. Ma sœur Isabelle, quelques années auparavant avait eu la bonne idée de faire identifier par notre grand-mère, divers clichés en sa possession dont certains lui venaient directement de ses parents, les époux Louis Bessonneau et Marguerite Privat. Dans ces documents, se trouvaient quelques vieilles lettres. A l'aube des années 2000 donc, lors de la mise en place des données en ma possession, j’analysais celles-ci et commençais la numérisation de ceux-ci..

R066_BessonneauLucen2 R066_BessonneauLucen3
2 clichés annotés "Oncle Lucien Bessonneau"

Un personnage m’apparaissait, il s’agissait de Lucien Bessonneau le frère de Louis, or je n’en avais jamais entendu parler.

Après quelques questions dans le cercle familial, il ressortait que celui-ci était mort à la guerre et qu’on ne savait ce qu’il était devenu ; « Il est peut-être mort à Verdun ». Aucunes autres précisions.
Sachant que les Bessonneau étaient originaires de Cuzion (36), je me rendais donc à la mairie de ce lieu pour au final ne rien découvrir. Il ne figurait ni sur le monument et aucun acte de décès n’était inscrit sur le registre. A l’époque, il était difficile d’effectuer des recherches, mais les prémices de l’internet grand public commençaient à permettre l’ouverture de certaines portes.

En préparant ce message, dans les profondeurs du net et de mon disque dur , tel un archéologue, couche par couche, je finis par retrouver mon premier message internet sur le sujet. Celui date du 29 janvier 2001 :

CaptureFR_REC_GENEA

Ne sachant pas comment rechercher, je cherchais de l’aide. Il apparut bien vite qu’il était nécessaire de se déplacer aux Archives Nationales pour pouvoir consulter le fichier des Morts pour la France.
Sur des micro films, il était possible de visualiser les fiches maintenant en ligne sur le site Mémoires des Hommes. J'étais alors à mille lieux de penser que 20 ans plus tard en 3 clics on pouvait maintenant obtenir le précieux document.


La version 2022:
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239d948ed554/5242bc3e5e35e

Quelle ne fut pas ma surprise et la joie de découvrir de nouveaux éléments. Lucien Bessonneau, rattaché au 290ème RI, avait été porté disparu à Zonnebecke (Be) le 3 décembre 1914. Son acte de décès était à Badecon, dans la commune donc. Il suffisait donc que je fasse 1 km et je trouverai l'acte.

La fiche que je m’empressais de rédiger à mon retour du CARAN, rue des Francs Bourgeois (lieu de consultation):

CaptureFiche_CARAN

Maintenant que j’avais les informations que je recherchais, il me fallait comprendre. Je me mettais à la recherche du 290ème RI, dont je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler. Je dirais même que l'organisation militaire d'alors m'était complétement inconnue.
On me dirigea vers le Service Historique de l’Armée de Terre, mais en avril 2001, la réponse me vint, toujours par l’intermédiaire d’internet, par un mail de Stephan Agosto

 

CaptureMail Stephan

A partir de là, tout se précipita, et commença l’aventure dont vous consulter le résultat.

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Intéressons nous maintenant à Lucien Bessonneau.

Lucien Bessonneau est né le 4 octobre 1887 à Cuzion, Indre. Sa famille est originaire de Saint-Plantaire, Gargilesse et si l’on remonte un peu plus, elle a pour souche la commune de Châteauponsac dans la Haute Vienne.
Il est le fils de Silvain Bessonneau qui est décédé en 1891, il était alors déclaré comme maçon. Lucien avait donc 4 ans lors du décès.  Silvain était marié à Angéle Blanchard originaire de Cuzion. La famille demeurait alors à Bonnu, sur la commune de Cuzion.
De ce couple, 3 enfants dont Lucien naquirent : Félicie Allanie (1881) et Louis Auguste (1884). Ce dernier est mon arrière grand-père.

En 1891, la famille figure sur les recensements de la commune de Cuzion. Silvain, le père est alors décédé, laissant Angèle seule avec les 3 enfants.

CaptureCuzion_Recensement1891
Sources AD36

Je perds ensuite la trace de Lucien dans les recensements.
Je ne retrouve les deux autres enfants, qu’en 1901, au sein de la famille Gaudeberge (oncle et tante), à Chatillon, commune de Badecon le Pin.

CaptureRec1901_Chatillon
Sources AD36

Découvrant au fur et à mesure, les fonds d’archives existant, en 2006, je me rendais aux Archives Départementales pour me procurer la fiche matricule de celui-ci.
En voici la transcription que j’en avais fait, à cette époque :

CaptureFicheMatricule

On note tout d’abord qu’il avait effectivement effectué son service militaire au 66ème RI et les photos de lui correspondent bien à cette période.

R066_BessonneauLucen1
Lucien Bessonneau (1er à gauche debout)
Service militaire Tours 66e RI

On note aussi qu’il réside avant le conflit à Paris, dans le 15ème arrondissement qui vit d’ailleurs aussi son frère Louis s’y implanter. Ma grand-mère y vécue et mon père Jean y naquit d’ailleurs.
Les maçons de Paris qui ne furent bien souvent pas que des limousins, venaient aussi des premiers contreforts du Massif Central qu’est le sud du département de l’Indre. Voici d’ailleurs une photo de mon arrière grand père Louis qui pose avec ses camarades sur un chantier (3ème en partant de la gauche).

CaptureLouisBessonneau

  • Lucien BESSONNEAU dans la Grande Guerre.

Considéré comme réserviste. Lucien est affecté au 290ème Régiment d’Infanterie. On imagine le voyage en train depuis la gare d’Orsay et l’arrivée à Châteauroux :

Le lieutenant SOHIER du 290ème rapporte :
« Châteauroux. - La ville qui m'était toujours apparue morne et quasi déserte, est grouillante à mon arrivée. Plus de place dans les hôtels; les rues sont peuplées d'une foule un peu tourbillonnante jusque tard dans la nuit. Du mouvement, voire même de l'agitation, mais pas de bouillonnement véritable; c'est là ce que je constate. Est-ce l'anxiété du drame attendu qui coiffe les esprits? Certes, on prépare un douloureux départ. Mais à Paris aussi, et pourtant les vibrations des cœurs étaient souvent bien sonores là-bas. Non. Ici nous sommes dans le Berry, et le Berry impose son impassibilité fataliste dès que l'on y pénètre
Dès le premier soir le régiment de l'active s'embarque. Il quitte la caserne à la nuit tombée, musique
en tête, drapeau déployé. A la lueur des phares d'acétylène il s'est préparé. Il défile superbement dans la ville éclairée. Les Berrichons sont remués presque jusqu’a l'enthousiasme, juste ce qu'il faut pour acclamer. Rien de trop, et le spectacle revêt une grandeur calme, émouvante. »

« Un commandant nous fait une conférence. « N'oubliez jamais que la meilleure défensive c'est l'offensive. En avant, toujours en avant, à la baïonnette.
On nous emmène au terrain de manœuvre de Châteauroux. Une zone pierreuse sans rien pour se défiler. On simule une attaque. Le régiment est déployé. Vite, j'établis la liaison avec des réserves imaginaires. Je rends compte au colonel. Quelles réserves ? Où sont-elles ? Là-bas, je suppose, et je vais établir la liaison avec les troupes en ligne. Le colonel sourit, ironique. Je suis un peu vexé. On verra bien.
Le régiment s'élance à l'assaut. « Ils ne courent guère, dit le colonel. » Mais un berrichon a-t-il jamais couru ?
Sous la mitraille on verra bien.
Il ne courra pas mais il arrivera. »

« L'aspect de Châteauroux ne change pas en ces jours de fièvre.
Un instant pourtant, il y a du brouhaha. Une bousculade, des cris, des injures, des coups. Une bagarre éclate soudain. C'est simplement un député pacifiste que l'on veut jeter... au front. Eh, eh, nos berrichons! Mais vite la ville reprend son allure. Du mouvement, voire même de l'agitation, mais pas de bouillonnement véritable.
Tout cela a duré longtemps. Oh! oui! quatre jours, je crois.
Et un soir la cour c'est encore embrasée aux feux de l'acétylène. Le régiment s'est rangé. Il n'y a pas de manquants. Le berrichon aime le pinard, mais dans les grandes occases il sait se tenir. Une allocution du colonel, brève, simple, vibrante. La musique sonne :Aux Champs, le drapeau se déploie aux mains de l'ami de Tarlé. Silence. Un pincement violent au cœur, quelques larmes aux bords des cils. Un ordre bref, et le régiment s'ébranle. On se redresse, on se recueille.
Et dans la ville, le régiment défile. Je suis en tête de mon petit peloton, tout en queue de la grande troupe. La foule suit et accompagne. Puis, par une route sans lumière, on gagne la gare d'embarquement, et les civils ne laissent guère de place pour que mes hommes restent en rang. Je grogne. On ne grogne pas. »

Le régiment part donc les 9 et 10 aout, par deux convois ferrés, direction le Grand Couronné de Nancy.

Retrouvez des traces du parcours d’un combattant au sein d’un régiment est peu aisé. Il apparait parfois au fil des lignes du Journal de marche, mais c’est alors soit par souci de reporter un exploit et bien plus souvent, il apparait dans les notes reportant les pertes du régiment.

Lors de la bataille de la Marne, le patronyme Bessonneau apparait dans la liste des blessés du 9 septembre 1914:

CaptureJMO_19140909
Sources SHD JMO 290ème RI

La mention suivante est en date du fatidique 3 décembre 1914 :

CaptureJMO_19141203
Sources SHD JMO 290ème RI

Cette fois, c’est fini. Lucien Bessonneau est reporté dans la colonne « Disparu ».

  • Que se passa-t-il ce jour là ?

Comme je l’indiquais, un peu plus haut, pour connaitre ce qui se passa ce jour là, il est tout d’abord nécessaire de relire le Journal de Marche et Opérations du régiment :

« 3 décembre 1914:
La situation devient de plus en plus critique pour la 17e Cie. Dans la soirée, 17h, le petit poste d’écoute placé dans une maison qui était à l’Est de la tranchée de la 17e Cie était surpris par les Allemands qui par des boyaux étaient arrivés jusqu’à quelques mètres de la maison. Ce petit poste eut un homme fait prisonnier, le caporal et les autres soldats purent se réfugier dans les tranchées.
De cette maison les Allemands qui y étaient arrivés en nombre lancèrent des grenades et par des meurtrières rapidement fermées tiraient sur les occupants.
Cette situation dura toute la nuit malgré les efforts des hommes à la compagnie pour empêcher les Allemands de jeter des bombes et de tirer sur eux. Des bombes leur furent également lancées.
Malgré deux retours offensifs exécutés simultanément par une fraction du 68e, la 17e Cie et une section de la compagnie de réserve, il fut impossible de déloger l’ennemi.
Au jour, le Commandant de la Cie pour éviter les pertes qui se faisaient déjà sentir cruelles fit renforcer les pare-balles au moyen de sacs à distribution et même de havresacs et de toiles de tentes remplies de terre. Malgré ces efforts, les tirs d’enfilade très meurtriers empêchaient les hommes de relever la tête pour tirer.
Vers huit du matin, les Allemands réussissaient à sauter dans la tranchée entre le 68e et le 290e et profitaient d’une contre sape faite par le génie et aboutissant au point de liaison des deux compagnies, armés de boucliers et de bombes ils se ruent sur les hommes occupant la tranchée et, après une lutte qui dura plusieurs heures, se maintiennent entre le 68e et le 290e, prenant plutôt le terrain du 290e.
Le Commandant de la Cie fit faire un barrage, mais ce barrage n’empêchait pas l’ennemi d’enfiler les tranchées et de rendre la situation intenable.
Par une autre maison sise près de la voie ferrée, les Allemands opéraient le même mouvement.
Le Commandant de la Cie voyant qu’il allait être complètement cerné par sa droite et sa gauche fit évacuer la tranchée par le boyau de communication la reliant avec la 20e Cie d’une part, et le poste de commandement du chef de bataillon du 68e. Il était 10h30 environ.
Le Cdt la Cie et ses hommes se maintinrent dans ce boyau jusqu’à la nuit.
A minuit le 114e relève le 268e et la Cie du 290e qui sont au nord de la voie ferrée. »

Ne pouvant déterminer qu’elle était la compagnie d’affectation de Lucien, évitons les approximations et contentons nous des faits relatés, ce qui permet déjà  de définir le contexte.
Une autre source provient des témoignages existants :
Tout d’abord commençons par celui du Colonel EGGENSPIELR, le chef de corps du 290ème RI:

« 3 et 4 décembre
La situation de la 17e devint de plus en plus critique.
La Compagnie avait un petit poste dans une maison située en avant de la droite de son front. Les Allemands, qui s'étaient approchés en sape tout près de la maison, avaient profité de l'obscurité, le 3 au soir, pour sauter dans la maison. Ils ont réussi à enlever un homme, les autres avec le caporal ayant pu regagner la tranchée principale. Les Allemands envahirent la maison en nombre. Ils se mirent aussitôt à y percer des créneaux, d'où ils lançaient sans cesse des grenades sur les portions de tranchée à leur portée. Malgré deux contre-attaques exécutées par la 17e, une section de la Compagnie de réserve, une fraction du 68e, il fut impossible de déloger les Allemands de la maison.
Cette situation dura jusqu'au 4 au matin. … »

On prendra soin de préciser que le Col EGGENSPIELER n’était pas en poste à cette date et qu’il se contente à s’inspirer du JMO et du témoignage Lieutenant Sohier ci-dessous:
Le lieutenant Sohier (déjà cité) écrit aussi sur cette journée, on notera au passage qu’il n’est pas tendre avec la hiérarchie du régiment et le 68ème RI :

« La nuit du 3 au 4 décembre est abominable. Le journal de marche relate assez exactement les faits. Mais un point est à préciser. Les Allemands ont sauté dans la tranchée du 68 qui prolonge les nôtres. De pauvres gosses de la jeune classe ont été coincés. Jamais le 68 n'a voulu en convenir. Et lorsque la 17e, attaquée par cette tranchée, après une lutte épique, est obligée de refluer, c'est nous que l'on accuse de fléchissement. Comment tenir pourtant, prise d'enfilade, refoulée vers la voie ferrée, tandis que d'une maison sise contre la voie, les Allemands, par infiltration, essayent de couper la gauche. Bien plus, un poste d'écoute, qui aurait pu être de quelque secours a été enlevé, les Allemands s'étant glissés par des boyaux bien dissimulés jusque dans la maison qu'il occupait.
Au P. C. c'est angoissant. Je suis toutes les péripéties en communication constante avec de Lavarène. Je préconise une contre-attaque pour prendre les boches au delà des lignes, en franchissant la voie ferrée. Mais celle-ci est repérée, flanquée, et pas un homme ne peut passer. Quand la 17e reflue il faut même couper la communication établie un peu en arrière, par un passage sous la voie, et bourrer de sacs à terre le couloir. C'est par la droite que se font les contre-attaques, vaines d'ailleurs. Pendant tout le temps qu'a duré l'ultime bagarre le commandant Renard a ronflé, ronflé et chaque fois que je le réveillais, il m'envoyait... péter. Le colonel Michel, dont le P.C. est joint au nôtre (le 268 est à notre gauche), me soutient et m'encourage. Mais que faire? »

Il existe aussi des témoignages indirects qui relatent les circonstances :
Le général Dubois (chef du 9e CA) signale une attaque du 290e le 3 décembre dans la région de Nieuvemollen.


Le tambour Retailleau dans les "carnets de Léopold Retailleau du 77e RI":
« Vendredi 4 décembre 1914: Journée assez mouvementée par le bombardement des Boches. Ils incendient trois ou quatre maisons dans Ypres. Nous apprenons que le 290e s'est fait esquinter dans une attaque à la baïonnette au clair de lune ...»

En 2022, même si le recensement des soldats indriens n'est pas terminé, il est déjà possible d'établir une liste de 45 noms de soldats indriens du 290e RI tombés le 03/12/1914, on pourrait éventuellement y rajouter certains décès de blessés qui succombèrent ensuite). Deux soldats ont été retrouvés comme soldats mobilisés au 290e et non originaires du département. Ce qui porte le total à 47 décédés

ALADENISE Auguste - BESSONNEAU Lucien Jean Baptiste - BLONDET Pierre Marcel - CADET Desire Ernest Auguste - CAPLANT Vincent Francois - CHARBONNIER Pierre - CHARPENTIER Adolphe Maurice Sylvain - CHAUVEAU Gilbert Augustin - CHICAUD Alphonse Clement Auguste - CHIPAULT Eugene - COTINEAU Louis - DAUDU Edouard Emile - DEBILLON Louis Henri - DESCHATRES Helie Adrien - DUPLAIX Ernest Andre - GRENOUILLAT Alphonse - JOURNOUX Henri Desire - LAGAUTRIERE Jean - LAGRANGE Marcel Simon - LEAUMENT Alfred Louis - LEMORT Arthur - LIMBERT Jules Emile - LUNEAU Jules Camille - MASSET Ernest Jules - MERY Robert Louis - MOREAU Georges - MOULIN Stanislas - NICOLAS Joseph - PACAUD Louis - PASQUET Jules - PETOIN Gustave - PILORGET Lucien Ambroise - PLISSON Alphonse Emile - POIRIER Jean Arthur - POIRIER Simon Auguste - POURNIN Adolphe - PRIVAT Alphonse - PUIVIN Auguste Jean - RAVAUX Octave - REIX Jean - ROUSSEAU Louis Rene - SAVOUREUX Eugene - SOULAS Francois Georges - TIXIER Alexandre - TOURY Louis.

A noter que les 2 non-originaires de l'Indre sont l'adjudant BACLE et de le Sergent-Major TABOURDEAU. Ttous les autres sont indriens ce qui dénote de la régionalisation du recrutement des soldats des régiments de réserve (série 200 et au delà).

  • Où se trouve le secteur de disparition ?

Dans les sources écrites, je n’ai pas cité le JMO du 68ème RI, car le texte ne nous apporte rien. Cependant, une carte très importante est visible dans ce JMO, elle permet de situer le secteur : voir ICI

Le secteur:

Zonnebeke_Relief
Sources GoogleEarth

Ce travail de positionnement n’aurait pu se faire sans l’aide des amis du Forum Pages1418 et notamment Annie qui fit un repérage des lieux avant que j'entreprenne un voyage en Belgique

  • Que reste-t-il de Lucien ?

Sur place, à Zonnebecke, il ne reste rien. Je m'y suis rendu par trois fois, une première fois en 2006, une deuxième fois en 2008, la dernière fois, ce fut en 2019. Malheureusement tous mes clichés pris lors du deuxième séjour ont été perdus suite à une panne informatique, ce que j'essayais de compenser au mximum lors de mon dernier séjour

2019 Un séjour en Flandres sur les traces de Lucien, Louis et Denis.

Le soldat Lucien BESSONNEAU aurait donc été porté disparu dans le champ de droite visible sur le cliché ci-dessous. Le chemin visible sur la photo est le parcours de l’ancienne voie ferrée.

Broodseinde_Voie ferrée

Une visite virtuelle à 360° est possible grace au site GoogleMaps: voir ICI

La dernière lettre de Lucien :
De Lucien Bessonneau, je n'ai qu’une lettre. Cette lettre, écrite depuis la Belgique, était adressée à sa belle-soeur, mon arrière-grand-mère Marguerite Privat (épouse Bessonneau).
Le maçon de Paris, que Lucien était, essaye, malgré les limites de son orthographe, de rassurer la famille restée en Berry et de donner des nouvelles.
Datée du 19 novembre 1914, Lucien ne se doutait certainement pas qu'il serait "porté disparu", quinze jours plus tard.

LettreLucien

Jeudi 19 novembre 1914
Cher Belle soeur

Je ten voi ses deux
mot se pour que je si
a popringe belgique
en aton le canon de
loin je nesipas encor ses
la ilge ?? il i y a encor
pour une journé de
marche
tou va bien pour le
momont ton bell beau
frère qui non brasse
bien unsi que ta
petit fil

Bessonneau Lucien

L’acte de décès :
En 1921, en l'absence de corps et au vu des documents fournis par l'armée, le tribunal de La Châtre émet un jugement permettant de dresser l'acte de décès en la commune du Pin et la transcription de la mention de Mort pour la France sur les documents administratifs.
« Au nom du Peuple Français, le Tribunal civil de La Châtre (Indre) a rendu le jugement dont la teneur suit:
Vu la requète qui précède Qui M. Souffron, président du tribunal en son rapport et M. le procureur de la République en ses conclusions le tribunal après en avoir délibéré a rendu le jugement suivant:
Attendu qu'il résulte des pièces mentionnées dans la requête présentée par M. le procureur de la République que le soldat BESSONNEAU Lucien Jean baptiste du 290e RI, né à Cuzion le 17 octobre 1887 de Silvain et de BLANCHARD Angèle, célibataire, domicilié à Le Pin a disparu le 3 décembre 1914 à Zonnebecke (Belgique). Vu la loi du 25 juin 1919 art. 9 Par ces motifs, le tribunal dit que le soldat BESSONNEAU Lucien Jean Baptiste est "Mort pour la France" le 3 décembre 1914 ) Zonnebecke (Belgique). Ordonne que le présent jugement sera transcrit sur le registre de décès de l'année courante de la commune de Le Pin et que mention de ce jugement sera faite à la date que l'acte de décès aurait du occuper tant sur le double du registre des décès qui existe à la mairie de Le Pin que sur celui déposé au Greffe du Tribunal conformément à l'article 92 du Code-Civil ... »

Le diplôme de Mort pour la France :
La préfecture de l’Indre tenait donc une comptabilité de la remise de ce diplôme, ce qui permet de connaitre la liste des récipiendaires. Cela permet donc d'avoir une liste de presque 9500 noms d'Indriens. Mais, il est cependant assez difficile de se retrouver dans cette liste, le point d’entrée est la date de jugement ou de transcription.
Mon arrière grand oncle Lucien Bessonneau. tout d'abord, voici sa fiche "Mémoires des Hommes" :

DiplomeMPF
Sources Mémoires des Hommes et AD36 R982

Le jugement eut lieu en décembre 1920, pour une transcription sur les registres du Pin en janvier 1921. Il fallut attendre le 25 octobre 1921 pour une prise en compte par la Préfecture. Lucien Bessonneau se vit attribuer le numéro 8244.
Il semblerait que les diplômes étaient envoyés aux communes, à elles la charge de les remettre aux familles, au vu des nombreux documents joints à cette cote de la série R.
Qu'est devenu le diplôme de Lucien Bessonneau? Je ne le sais pas.

 

Les décorations :
Un ami, Jean Pierre Létang recherchait dans le Journal Officiel des traces de médaillés. Or, en consultant le J.O. du 17 septembre 1924, il a eu la surprise de découvrir un patronyme qui lui disait quelque chose. Bessonneau!!! Non pas le célèbre industriel angevin, mais le grand-oncle d'un de ses correspondants, c'est à dire moi-même. Il m'en avertit alors.
Autant vous dire, que j'ai eu un sacré frisson lorsque j'ai lu et relu le mail.

Decorations
Sources GallicaBNF

Le Livre d'Or communal:Via le site des Archives Nationales, il est possible de retrouver le livre d'or communal, sur lequel figure le nom de Lucien.

 

CaptureJCh

Le lieu de repos de la dépouille:
Soldat disparu au combat, Lucien est vraisemblablement sans sépultures, quelque part du côté de Broodseinde. Cependant, lors de ma visite, je ne pu m'empêcher de penser à lui lors de ma visite de la nécropole Saint Charles de Potyze à Ypres (Sur la route entre Zonnebeke et Ypres).

Il s'agit du lieu de Mémoire incontournable de ce secteur qui connu les combats de 1914 à 1918. Peut-être y est il, peut-être pas.

060419 010 060419 111
Entrée de la nécropole                                                         Le Monument et l'ossuaire

060419 272

 

Le monument aux morts
Sur le monument communal, le nom Bessonneau ne figure pas. Courant 2012, je le signalais au maire de la commune. Or, le  11 novembre 2012, le premier magistrat de la commune, après le dépôt de gerbe et le discours habituel reprit la parole pour annoncer son intention de faire rajouter le nom de Lucien sur le monument ainsi que ceux de 2 autres soldats ne figurant pas sur le monument.

11 novembre

 

Depuis cette promesse faite en public, douze années se sont écoulés et rien n’a été fait … "No comment" ...

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2024, c'était il y a 100 ans.  Une dernière recherche aux archives départementales de l'Indre est programmée.
Les cotes sont déjà relevées, il s'agira d'entreprendre une recherche en 3U3/1-195, ces cotes concernent les jugements du tribunal de La Châtre où je devrai retrouver le jugement actant de la disparition de Lucien. Peu de chances d'y trouver des pièces justificatives, mais ...

 

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Petit rajout de fin de journée:

Aujourd'hui, 3 décembre 2014, sur le site GoneWest.be, Lucien Bessonneau est apparu sur le monument virtuel. il figurait dans la liste des 355 morts recensés de ce jour.

CaptureJH1


 

2018, Redonnons un peu de couleur à Lucien
Merci à Alain d'Amato pour son superbe travail
http://www.couleursdupasse.fr/

LucienBesreduit1

 


 

2019, une troisième séjour en Belgique

Juste quelques clichés

P1080261
Le champ, la voie ferrée (piste cyclable), les maisons.

IMG_20190817_104526
Depuis Tyne Cote, le champ de bataille. Zonnebeke, à gauche et Ypres à droite.

IMG_20190815_104833
La grand place d'Ypres, les soldats passaient par ici pour la montée en ligne (la route pour Zonnebeke dans le dos du photographe).

P1080270
Les clochers d'Ypres vus depuis Tyne Cote

19 novembre 2024

ENP Vierzon 1915, les faits de guerre du sujet du concours d'entrée.

En 2013, j'avais publié le sujet d'entrée de l'ENP pour l'année 1914. Il permettait de présenter l'ENP, ses spécificités, ses formations, ses élèves et ses personnels. Au travers de plusieurs messages, nous avions découvert les plaques mémorielles du porche du lycée, mais aussi certains anciens Vierzarts et leur parcours (les frères Edgar et Jules Brandt, Louis Béchereau, Camille Lefèvre...)

 

ENP Concours d'entrée 1914 et si vous le tentiez?

Un Vierzart en 14-18: Louis Béchereau (VZ91-96)

Un Vierzart en 14-18: Camille Lefèvre (VZ92-94)

Un Vierzart en 14-18: Edgar Brandt (VZ94-98)

L'Ecole Nationale Professionnelle de Vierzon dans la Grande Guerre (2008 - réactualisé 2024)

 

Loin de vouloir se limiter aux élèves, un dépouillement récent a permis d'établir la liste de ceux qui décédèrent au sein de l'hôpital 45 de Vierzon.  Même si aucune archive n'a été retrouvée au SAMHA (Archives militaires médicales) de Limoges, il a cependant été possible d'établir la liste de ces décès et de découvrir le nombre faramineux de blessés, de malades qui passèrent par l'avenue Henri Brisson. Ceci fera l'objet d'une future publication.

 

Quand la Croix-Rouge flottait au fronton de l'ENP - Collection de l'auteur
L'arrivée d'un blessé, collection de l'auteur
Les malades, blessés et soignants au devant de la salle des machines- Collection de l'auteur


L'année 2024 est celle des 110 ans du déclenchement du conflit. Plutôt que de revenir sur le sujet du concours d'entrée de 1914, déjà en ligne depuis 11 ans maintenant, il m'a semblé intéressant de découvrir le premier sujet écrit après le déclenchement du conflit, celui de 1915.
Tous les ans, même encore maintenant, au moment des examens, il n'est pas rare de découvrir des sujets traitant de sujets d'actualité. Celui de 1915 ne fait pas d'écart à cette règle.

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La session 1915
Sources : Les écoles professionnelles - J. Roux - Editions Librairie Vuibert -1915

Composition française
Depuis près d'un mois, votre frère qui est au front n'avait pu vous écrire. Une lettre de lui, qui dissipe vos inquiétudes, vous est enfin parvenue ce matin. Vous faites part de cet heureux événement à l'un de vos amis ; vous lui dites ce qu'ont été pour vos parents et pour vous les jours d'attente, vous parlez de la joie que la lettre vous a apportée et vous résumez pour votre ami les nouvelles que votre frère vous envoie.

Ecriture
Composés de jeunes gens et d'anciens, nos régiments rapprochent intimement, dans un même devoir et dans une même espérance, les générations successives et montrent, en d'émouvants exemples, que l'unité de la France est indestructible dans le temps comme dans l'espace.

Orthographe et Grammaire.

LA PRISE DES EPARGES
La magnifique action qui nous a rendus maitres de la totalité de la crète des Eparges est la conclusion d'un effort prolongé et violent.
Pour garder cette position, les Allemands n'ont rien négligé. Leur organisation défensive était exceptionnellement puissante, dès la fin de mars, ils avaient amené une de leurs meilleures divisions. Ils y avaient joint cinq bataillons de pionniers, les mitrailleuses de la place de Metz, un grand nombre de lance-bombes. Leurs abris-cavernes, creusés à loisir, comportaient un chemin de fer à voie étroite, des chambres de repos, un cercle pour les officiers. Leurs renforts échappaient à nos vues. Les nôtres étaient sous le feu de leurs canons, de leurs mitrailleuses, même de leurs fusils et l'on conçoit quelles étaient pour nous les difficultés de ravitaillement tant en vivres qu'en munitions, l'état-major allemand était résolu à tout sacrifier pour garder cette crête maitresse. Les troupes qu'il a engagées, rien n'a été négligé, et pour éviter aux mitrailleurs la tentation de cesser le feu, on est allé jusqu'à les enchainer à leurs pièces.
La nature des choses favorisait singulièrement la résistance allemande. Pentes abruptes, sol détrempé opposaient à nos attaques le plus redoutable des obstacles. Nous avons eu des hommes non-blessés noyés dans la boue. Quant aux blessés, beaucoup n'ont pu être sauvés à temps de la fondrière où ils étaient tombés. Malgré tout, nous avons été vainqueurs.
Quand on a vécu ces combats, on sait que notre triomphe est sur et qu'il a déjà commencé. Cette certitude est le plus bel hommage que la France reconnaissante puisse offrir aux morts héroïques des Eparges.
(Communiqué officiel)

Questions:
I - Expliquez la signification des expressions "des abris creusés à loisir"; "la nature des choses favorisait singulièrement la résistance"; "pentes abruptes, sol détrempé"

II - Donnez des mots de la famille de tremper

III - Analysez le verbe de cette proposition "Quand on a vécu ces combats"

Arithmétique
I - On pèse un vase, une première fois plein d'eau, et une seconde fois plein d'huile. Le premier poids surpasse le deuxième de 483 grammes. Trouvez en litres et en fraction de litre, la capacité du vase, sachant qu'un centimètre cube d'huile pèse 0 gr 916
II- Un boucher achète des bœufs et des moutons pour la somme de 6696 frcs, pour 120 têtes de bétail. A combien lui revient chaque bœuf et chaque mouton, sachant qu'il a acheté 19 fois plus de mouton que de bœufs, et qu'il a payé pour un bœuf autant que pour 12 moutons.
III - Effectuer rapidement les calculs ci-dessous et justifier la méthode suivie :
5344 x 0,25 x 0,125

Histoire et Géographie.
Histoire:
I – Quels sont les souvenirs qu’éveillent en vous les noms de Valmy, Austerlitz, Iéna ?
II – Dans quelles circonstances et comment avons-nous aidé l’Italie à faire son unité ?

Géographie:
I – Les parties de la France voisines de la frontière, de Dunkerque à Belfort : départements, villes importantes, principales formes d’activités.
II – Marseille : principaux éléments de son importance.

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 Les élèves de 1ère année en 1911-12

Collection de l'auteur
Collection de l'auteur
Collection de l'auteur

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Les Vierzarts comprendront la gravure trouvée sur un mur, non loin du lycée Henri Brisson de Vierzon.

Collection de l'auteur

 

11 novembre 2024

11 novembre, l'Armistice mais aussi le Souvenir de 12.320 soldats indriens (Réactualisé 2024).

Pour les soldats pris dans la mitraille d'aout 1914 en Lorraine, dans les bombardements de 1916 à Verdun ou en Somme, dans le froid et la boue d'avril 1917 dans l'Aisne et la Marne, que ce mot Armistice fut attendu. Une pensée pour eux et un bilan mémoriel:

Je pense tout d'abord aux 3 soldats indriens décédés en ce 11 novembre 1918:
- Pensées pour Albert BLANCHARD de Châteauroux, décédé en captivité au lazaret de Stade Hambourg (Allemagne)
- Pensées pour Louis CORNET de Urciers décédé de ses blessures à Renaucourt (Aisne)
- Pensées pour Jules GIRAULT de Lingé décédé de maladie à Billy-le-Grand (Marne)
Nous aurons aussi une pensée pour les quelques 680 soldats indriens (chiffre à minima) qui décéderont dans les mois suivant cet armistice.

Nous aurons aussi une pensée pour les 4 frères PETOIN d'Arthon qui détiennent le triste record départemental de la plus grosse fratrie touchée par le conflit. 

Capture Sources Mémoires des Hommes

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Argenton, 11 novembre1918. Comme à son habitude quotidienne et matinale,  Raymond Rollinat tient à jour son journal et écrit:

"Lundi 11 novembre. Cette nuit +1° nuages et soleil A midi, à l'ombre +8° Pluviométrie Eau 0,1
Chacun en s'éveillant pense que la journée qui commence marquera dans l'histoire et verra peut-être la fin de l'effroyable guerre
Quel soulagement, si l'on apprend que l'Armistice est signé ..."

L'armistice fut officiellement signé à 11 heures.
Au pays, à Argenton, l'annonce provoque le regroupement des familles au devant de la mairie, les chemisières ont quitté les usines, la journée sera chômée. Les anciens, les enfants les rejoignent et manifestent en ville.
Sur les clichés disponibles, que la population semble paisible, plus que de la joie, du soulagement. "Enfin, c'est terminé"
 

Place de la République - Clichés Rollinat - Cercle Histoire Argenton
Place de la République - Cliché Rollinat - Cercle Histoire Argenton

Il est à noter que les clichés Rollinat nous montre une foule moins expansive que celle sur les clichés pour les fêtes de la Victoire le 24 juin 1919. On espère, on doute encore ... 
En ce 11 novembre, le photographe argentonnais Quesnel a juste à sortir de son magasin (à gauche) et a posé son appareil au milieu de la rue Gambetta. Les drapeaux ornent les balcons et fenêtres. La population manifeste sa joie à l'annonce de ce moment tant attendu. On notera que seuls, 2 hommes figurent au premier plan.

Collection de l'auteur

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L'armistice du 11 novembre ne constituait pas une réelle surprise mais bien plutôt un soulagement. L'Armistice n'était pas la fin de la guerre, mais bien celle des combats. Il était certes souhaité, mais il était devenu prévisible au vu des aléas de l'armée allemande suite à l'échec des offensives Ludendorf. En relisant la presse d'alors, voici par exemple ce qu'écrivait en première page, la presse indrienne (Le Blanc) une semaine avant la date tant attendue.

BNF Gallica - Indépendant du Berry

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11 novembre 1918, fête de la Saint-Martin
"L'armistice est conclut!"
- "Qui te l'a dit?"
- "Un major de cantonnement"
Le soldat hoche la tête; l'autorité ne lui parait pas suffisante pour une si grande chose; le dénouement d'un lustre de cataclysmes ne peut-être aussi simple. Quoi! à l'heure où nous pouvons écraser pour toujours un ennemi à notre merci, et bâtir la Paix à Berlin, nous irions lui accorder une trêve? La capitaine annonce au contraire que, dès la pointe du jour, les Français attaqueront pour de nouveaux succès.
"Armistice! Le sergent vaguemestre le crie à tous en pédalant!"
"Ah! mais alors, c'est peut-être vrai?"
L'esprit doute, mais le cœur s'émeut. Sans cesse accourent de nouveaux messagers: "C'est signé, je le tiens du cuisinier du général!"
Tel est près du troupier le crédit de cette bouche de la Renommée qu'il n'est plus besoin de confirmation: le bonheur est certain, l'enthousiasme éclate.
Et lorsque la nouvelle est publique, voici que l'officier de renseignement, essoufflé, proclame l'avis officiel: Toute hostilité cesse à 11 heures. les fusils doivent maintenant se taire.
"Allez coureurs, portez la paix"
On songe à  des drapeaux qui vont couvrir de flammes tricolores les ruines, à des sourires qui illumineront des visages douloureux sous leurs crêpes de deuils, à la paix des héros qui expirèrent pour que lui ce jour.
"Soldats!" crie-t-on à des compagnies qui reviennent des premières lignes et qui ne savent pas encore leur félicité "la guerre est finie!" - Non! Vrai?" - "La victoire!"
Les visages s'illuminent de rires épanouis. Vainement le fantassin cherche le mot et le geste qui exprimerait son allégresse. Elle est trop inattendue pour qu'il en mesure si vite la portée. Il tend la main à celui - chef ou camarade - qui annonce la fin de la misère et il lâche un soupir de soulagement.
Aucune des bruyantes manifestations qui saluèrent la déclaration de guerre ne retentit à son dernier matin. Ceux de l'arrière seront sans doute plus démonstratifs. Ici, plus de vin dans les caves.

Maurice Laurentin - La victoire des morts, récits de guerre d'un officier de troupe - Bloud et Gay, Editeurs 1920 
Maurice Laurentin fut officier au 268ème RI, passé au 219ème RI au moment de la dissolution du régiment du Blanc en juin 1918.
 

SHD JMO 17e DI 26N668

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11 novembre, vient la question « Combien de soldats de l’Indre sont morts pendant le conflit 1914/1918 »? 
Pour répondre à une telle question, on pourrait se contenter des chiffres avancés par la presse de l’époque.

Journal du Département de l’Indre – 7 novembre 1932 – collection AD36 R909_3

Cependant, lors des différentes recherches entreprises, il n’a pas été possible de retrouver une source officielle indiquant le nombre de décès, mais surtout indiquant la procédure de calcul et les sources d’un tel chiffre.
Tout d’abord, avant de commencer un éventuel comptage, il est nécessaire de définir qu’est ce qu’un « Indrien » ?
 S’agit-il d’un natif ?
•    Mais s’il est resté juste un mois après sa naissance, est il encore du département?
 S’agit-il d’un résidant ?
•    Mais alors combien de temps faut-il résider pour être comptabilisé?
 A-t-il eu son acte de décès transcrit dans le département ?
•    Certains soldats morts dans des hôpitaux du département eurent leur acte de décès transcrit sur le lieu même, ainsi le tirailleur LAMA Bamba dont la transcription eut lieu à Argenton.
 Doit-on considérer le moment du recrutement militaire comme position de référence ?
•    Mais dans le cas de ces lieux de recrutement Châteauroux / Le Blanc, ce dernier lieu englobe aussi bien des cantons de l’Indre que des cantons d’Indre et Loire et de la Vienne.
A vrai dire, je ne sais clairement le définir, et la solution de facilité consiste à se limiter aux sources rapidement accessibles et ainsi de se contenter des natifs du département issus de la base de Mémoires des Hommes.
 J’ai cependant voulu aller un peu plus loin en m’appuyant sur les listes existantes, certes imparfaites, mais donnant déjà un bon angle de vue. Ceci permet de trouver d’autres cas de soldats.
 Reprenons maintenant, les différents fonds répertoriés et connus :
 

  • Les monuments aux morts (MAM) :

 Il s’agit là de la source la plus visible, puisque présente tous les jours dans toutes les communes de France.
Je me suis appuyé sur les données issues du site Mémorial Gen Web. Le département de l’Indre est entièrement relevé. Cela permet d’obtenir une liste de 11.775 noms sur les 248 communes du département. Ce comptage a des limites en l’absence d’écrits concernant l’élaboration des listes. Ce chiffre est aussi à prendre avec précaution, car c’est notamment celui-ci qui permettait de calibrer la subvention versée par l’Etat aux communes conformément à l’article 81 de la loi du 31 juillet 1920. Certaines communes semblèrent « abusées » de ce fait, car de nombreux noms gravés sont finalement restés sans réponse au regard du recoupement avec les autres sources
On ne peut que constater des incohérences (noms sur plusieurs monuments, noms inconnus, certaines familles refusèrent l’inscription de leur enfant sur le monument communal). Le chiffre issu des monuments a vraisemblablement inspiré le journaliste de 1932.

  •  Le Livre d’or départemental (LO) :

 Le texte de loi régissant ce Livre d’Or, étant plus strict dans son application (uniquement natif ou résident) que celui régissant la gravure des noms sur les monuments aux morts. Il est donc potentiellement une meilleure source que celui régissant le monument où le Maire était plus libre pour l’inscription (Certains non-Morts pour la France furent inscrits, mais dans la commune d’à côté).
La mise en ligne des Livres d'Or par le site des Archives Nationales permet de cibler 9.643 noms.
 Les fiches Mémoires des Hommes (MDH) :
 Sur le site ministériel, les critères de recherche sont multiples, mais le seul champ actuellement et valablement renseigné est celui du département de naissance.
Les fiches accessibles sont celles des soldats « Morts pour la France » (MPF), mais aussi celles provenant du  deuxième fichier dit des « Non mort pour la France » (NMPF).
Il faut cependant se méfier du laïus « NMPF » des dites fiches qui a été rajouté car ce 2ème fichier contient aussi des MPLF (Pour rappel, l’acte de décès est la pièce administrative ayant valeur juridique concernant la mention « Mort pour la France »), ce qui n'est pas sans poser problème. De nombreux actes, avant le 2 juillet 1915 et la création de la mention, ne furent jamais mis à jour.
Nous obtenons donc 10.944 cas différents (A la date du jour, de nombreuses fiches du site sont en doubles et une opération de nettoyage est d’ailleurs prévue par l’administration du site, le décompte présenté tient compte de ces doublons).

  •  Les fiches matricules (FM) :

 Le Centenaire 1914-1918 est passé et l'accès aux fiches matricules peut maintenant s'effectuer via le net. La base du classement étant le recrutement militaire (Châteauroux et Le Blanc), les fiches sont réparties sur plusieurs départements en ce qui concerne le recrutement du Blanc, il est actuellement impossible d’établir une étude fiable, car cela nécessiterait de compulser un très grand nombre de fiches matricules, une à une.
L'idée d'un sondage au 1/10e ou moins a été envisagé, mais faute de temps, l'étude n'a pas été entrepris. Seule une étude non diffusée sur la Classe 1911 de recrutement Châteauroux a été commencée et non publiée. 
Si on considère le département de l'Indre, ce sont 60.024 (Châteauroux) et 42.563 (Le Blanc 36), soit 102.587 fiches matricules qu'il faut analyser.


La répartition géographique des bureaux de recrutement Chateauroux et le Blanc:
 

 

  • Le diplôme de Mort pour la France :

 Aux Archives départementales de l’Indre, en série R892, deux cahiers comptabilisent les remises de diplômes qui furent transmis aux communes pour être remis aux familles de soldats « Mort pour la France ». Cette liste s’arrête en 1924. Le compte est alors de 9.449 diplômes remis. Une fois compilées en tenant compte des doublons et des envois dans les autres départements suite à mauvaise orientation, nous obtenons 9.341 noms.
Il s’agit donc là du chiffre bas de notre estimation, certaines fiches n'ont qu'un lien ténu avec le département. On visualise, par exemple, des cas concernant des familles de réfugiés des territoires occupés qui reçurent les diplômes sur le lieu de leur hébergement, donc dans le département.

 

  •  Les listes de retour des corps :

 Dans les années 1920, il fut donné la possibilité aux familles de rapatrier au « Pays » le corps des défunts. Du fait que les frais engendrés étaient remboursés par l’Etat, la Préfecture de l’Indre tenait à jour une comptabilité de ces retours, cela permet de compléter les listes existantes. ces listes sont conservées aux Archives départementales de l'Indre sous la forme de 2 cahiers.
Au final, seuls 1.707 retours eurent lieu (du moins furent enregistrés). A la suite de quelques visites dans les cimetières départementaux, il apparait que d’autres eurent bien lieu (avant/après ?), mais ne furent pas enregistrés dans le cadre de cette opération administrative.

De telles incertitudes ne permettent pas actuellement d’annoncer un chiffre précis. L’étude que j’avais entrepris depuis plusieurs années et que je vous présente ci-dessous est le fruit d’un recoupement entre ces 5 sources (Mémoires des Hommes, Mémorial-Gen-Web, Livre d’Or, Remise de diplômes de MPF et Retour des corps).
Cela consiste donc en un subtil recoupement entre toutes ces données, tout en définissant un cadre strict (Par exemple, une homonymie ne suffit pas pour rassembler 2 cas). Le travail étant terminé depuis quelques jours seulement, nous arrivons à quelques 13.908 cas différents, induisant, à coup sur que le nombre est inférieur.
 Petit à petit, recoupement par recoupement, la liste actuellement diffusée s'établit à 12.320 fiches. Parmi ces fiches, 6585 lieux de sépultures ou de Mémoire (Rappel du défunt et absence de corps) ont été recensés.
 La nouvelle phase d’évolution de ce fichier est donc de compléter avec le lien vers les fiches matricules mises en ligne par les Archives Départementales, de la généalogie ascendante ainsi que la recherche des actes de décès, car il est bon de rappeler que du point de vue de la loi française, la mention Mort Pour la France sur l’acte de décès est preuve de l’obtention de cette mention et que cela dans certains cas de compléter les manques du fichier "Mémoires des Hommes"
 Comme il ne m'appartient pas de définir qui est un Indrien (natif? résidant? ...), tous les cas repris dans le chapitre présenté ci-dessous concernent le département de l'Indre plus ou moins directement.
Par exemple vous trouverez les noms de soldats du Nord de la France, dont les familles hébergées dans l'Indre pendant le conflit reçurent le diplôme de MPF sur leur lieu d'hébergement (donc dans l'Indre). Je ne pouvais décemment les ignorer et ainsi les retirer de la base que j’essaye de constituer, ce d’autant que pour certains, ils figurent alors sur un MAM de l’Indre mais aussi dans leur département d’origine. Lorsqu'ils sont identifiés, ils basculent dans une base de données spécifique.
La saisie s'effectue au fil de l'eau et de temps disponibles. Au 11 novembre 2024, ce sont donc 12.619 fiches de cas de soldats ayant un lien plus ou moins direct avec le département.

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Essayons maintenant d’effectuer une rapide analyse dans la mesure de ce qui est possible grâce à ces données collectées soit les « Natifs de l’Indre » (Volontairement, je prends comme référence la liste des natifs que l’on obtient à partir des différentes sources et ce malgré tout, en faisant fi des avertissements précédemment signalés).
 10.944 cas différents de natifs de l’Indre sont en base dont 10.591 figurent dans le fichier principal de Mémoires des Hommes et 339 figurent dans le fichier secondaire dit des « NMPF ». On notera cependant que 14 soldats ne figurent dans aucun fichier sur Mémoires des Hommes (0,13%).
 Si nous connaissons la date de naissance, nous ne connaissons la date de transcription de l’acte de décès que pour 9800 et seuls 7869 ont vu leur acte de décès transcrit dans le département de l’Indre.
 Toujours concernant les 10.944 « natifs de l’Indre », 90% soit 9.871 sont inscrits sur 1 monument aux morts (MAM) dont 8.851 sur un MAM implantés dans le département. On notera d’ailleurs que 676 sont inscrits sur au moins 2 monuments et parmi eux 11 sont présents sur 3 monuments différents.
 A partir de la liste des Natifs de l’Indre, observons le lieu de leur décès.


Sans grande surprise, il est à noter que les secteurs de combats les plus représentés sont : La Meuse, la Marne et la Belgique qui constituent le trio de tête.
A noter cependant que derrière la présence de la Meuse cache une réalité bien souvent oubliée. En effet, 35% des pertes en Meuse sont liées aux combats des années 1914 et 1915 et donc ne sont pas liées à la bataille de Verdun qui ne se déclencha qu’en février 1916. Ce sont les victimes des secteurs de Marbotte, Lachalade.
 De cette liste de pertes, il est possible d’observer leur chronologie.

Les principales pertes concernent la période 1914, en effet, la retraite, la bataille de la Marne tout d’abord puis le début de l’hiver 1914 furent des périodes où les pertes furent nombreuses, tant pour les hommes mobilisés au sein du 9e corps qui combattirent dans la Marne puis dans le secteur d’Ypres que pour ceux du 8e corps qui combattirent en Woëvre et en Meurthe et Moselle.
 Les pics suivants correspondent principalement aux engagements liés aux grandes batailles (Champagne 1915, Verdun 1916, Somme 1916, Aisne 1917, …).
 Si dans le cadre de cette étude, nous étudions les soldats natifs de l’Indre et morts lors du conflit, par l’intermédiaire de la fiche MDH, il est possible de connaitre le bureau de recrutement. Cette donnée permet de connaitre la position géographique d’un soldat à l’âge de 20 ans.
Ceci est pertinent pour connaitre l’attache d’un soldat au moment du conflit, mais est à relativiser en fonction de l’âge du soldat. Plus le soldat est ancien, plus l’époque du recrutement s’éloigne et plus il a de chances d’avoir changé de résidence entre la conscription et la mobilisation de 1914.
 

88% des natifs de l’Indre étaient encore dans le département lors de leur conscription (63% Châteauroux et 25% Le Blanc). Les migrations s’effectuent naturellement vers les départements limitrophes (Cher, Creuse, Loir et Cher, Indre et Loire, Loir et Cher), mais surtout sur la grosse métropole que représente la région parisienne (Bureaux de la Seine, de Versailles).
 Sur les 10.944 natifs de l’Indre, 8.626 ont une transcription de l’acte de décès qui eue lieu dans le département et 2.107 eurent leur acte de décès transcris dans d’autres départements. Seuls pour 281 cas, le lieu de transcription est non renseigné.
 Sans grande surprise, Paris notamment et la région parisienne figurent en bonne place dans les destinations de résidence suite à des choix de migrations, une volonté de quitter le pays pour tenter sa chance. Les départements limitrophes (18, 23, 37, 41, 86) sont légitimement des départements que l’on trouve dans le haut de ce classement.

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2024 le dépouillement continue, la comparaison se fait maintenant notamment avec les actes d'état -civil mis en ligne par les Archives Départementales de l'Indre. Cette comparaison permet bien sûr de rajouter les liens familiaux du défunt, mais aussi une bonne part de sa parentèle, notamment si celui-ci était marié ou non, elle permet aussi de vérifier, de compléter éventuellement les données du ministère (ONAC-Mémoires des Hommes) concernant la présence de mentions "Mort pour la France" (MPF) jusqu'à présent absente du recensement que sont les fiches Mémoires des Hommes. Ainsi, certaines fiches classées "Non MPF" s'avèrent être des fiches non statuées et il est possible de voir apparaitre la mention sur les actes d'Etat Civil. A la date du 9 novembre 2023, 29 fiches indriennes ont été rajoutées dans la base Mémoires des Hommes car "Morts pour la France".
Concernant la situation conjugale des soldats indriens, 40% étaient des hommes mariés, cependant 27% des actes de décès consultés ne comportent pas de mention du mariage. Cela s'explique notamment que sur les actes des AD36, il s'agit bien souvent de transcription de décès rédigées par l'unité et que le maire s'est bien souvent contenté de reproduire le texte originel sans y apporter les mentions pourtant obligatoires (Mariage notamment).
Sans surprise, les célibataires concernent principalement les jeunes classes. Celles-ci étaient affectées dans des unités d'active et sont donc concentrées sur le début du conflit. Pour rappel les 5 mois de 1914 représentent à eux seuls, 27% des pertes totales.
 

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11 novembre 2024

Châteauroux, le 11 novembre 1929, 11 onze ans après le 90e n'était plus là (MAJ)

En avril 1928, au vu des restructurations de l'organisation militaire et des économies budgétaires à faire, des regroupements d'unités sont décidées. Après le 68e RI alors en garnison à Le Blanc et Issoudun et sa dissolution dès 1920, voici le temps de la dissolution de l'unité emblématique de la capitale du Bas-Berry, Châteauroux.

voir article "Les lendemains désenchantés du conflit"

Le 90ème RI, à la caserne Bertrand, a déjà perdu 2 bataillons transférés à Tours, voici maintenant qu'il est absorbé par le 32e RI tourangeau qui reprend les traditions de l'unité.
Le 14 décembre 1928, le drapeau quitte la ville de Châteauroux. Un défilé du dernier bataillon restant est organisé et traverse la ville. Il prend la rue de la République, qui fut "rue de la Caserne" puis "rue des Poilus". Passant par le centre-ville et la rue Victor Hugo, il rejoignait la gare par la rue de même nom.

Collection de l'auteur
Collection de l'auteur

 

Le 11 novembre 1929, les commémorations de l'Armistice ont bien lieu à Châteauroux. Il s'agit donc là du premier défilé "civil" en l'absence des militaires d'active. Le parcours, en l'absence de monument aux morts communal, permet de rejoindre la place Gambetta et son monument aux anciens de 1870-1871 jusqu'au carré militaire du cimetière Saint Denis où se trouve le monument du Souvenir Français, inauguré en 1922.
A  l'époque tant le monument départemental de la place de la Victoire et des Alliés (Inauguré en 1932) que celui de la place Lafayette (Inauguré en 1937) n'existent pas. Seules existent les plaques de l'ancienne mairie (1925).
Il est possible de penser que le parcours du défilé partait potentiellement de la mairie, effectuait une pause place Gambetta puis se dirigeait vers le cimetière du quartier Saint-Denis. Aucun cliché de la première partie du parcours potentiel n'a été retrouvé.

Collection de l'auteur - Archives Chateauroux Métropole

La population civile est présente et très nombreuse, elle est accompagnée des autorités, de la fanfare. On peine, de nos jours, à se rendre compte de l'affluence des commémorations d'alors. C'est toute la ville qui est quasiment présente.

Collection de l'auteur
Collection de l'auteur
Collection de l'auteur
Collection de l'auteur

 

 

 

 

 

4 octobre 2024

Nous irons au Ruchard, un dépôt de la 9ème RM pour les fantassins indriens.

Toujours concernant une carte postale et sa correspondance mais dans cet article, pour une fois, je change de face. Effectivement, cette fois si je m’intéresse à une carte, c’est pour son verso. Le recto n’a pas d’intérêt direct pour Indre1418. Par contre, le verso, celui de la correspondance, aborde un sujet important pour les unités indriennes.

Le dépôt d’Infanterie du Ruchard, les centres d’instruction d’infanterie de la 9ème Région Militaire

Collection de l'auteur

Lors du conflit, les régiments d’infanterie de l’Indre gardent certes « un pied » dans le département en lien avec leur garnison, mais rapidement après l’appel des nouveaux mobilisés, ceux-ci quittent le département pour être formés dans des dépôts dépendant principalement de la Région Militaire.

Une exception existe concernant le 68e RI et son pendant, le 268ème RI. Ordinairement, le régiment est en garnison à Issoudun (Portion principale 1er et 2e Bataillon) et à Le Blanc (Portion centrale et 3e Bataillon). A partir du moment de la mobilisation, Le Blanc reste seule garnison d’Infanterie. Les casernes issoldunoises sont affectées à d’autres usages, dont le Centre d’Instruction des Elèves Aspirants, qui vit passé par ailleurs le futur Maréchal KOENIG, alors aspirant.

Bien souvent, l’incorporation du fantassin s’effectue donc au sein de la garnison, mais le soldat (combattant) ne reste que le temps d’un premier « décrassage ». L’essentiel de la formation militaire pour la 9ème Région Militaire s’effectue dans des cantonnements situés au pourtour du camp du Ruchard, non loin de Tours. Ce camp, créé en 1884, sera le terrain de manœuvres et de formation des unités d’Infanterie du 9ème Corps d’Armée jusqu’à la veille de la Seconde Guerre Mondiale.

Il est alors qualifié de « Dépôt des Régiments d’Infanterie ». Nous verrons ensuite pourquoi le 65ème Régiment Territorial est cité.

Après avoir admiré le reflet du château d’Azay le Rideau dans le cours de l’Indre passant à ses pieds, retournons la carte et découvrons le texte :

L. M. Auroy Caporal 65 territorial 30 Compagnie à Azay le Rideau
Le 27 mai 1915
Chère Sœur et Beau-frère
Je me porte très bien et désiré de tout cœur que vous soyez de même nous sommes parti de Châteauroux depuis ce matin pour Azay le Rideau tout près de Tours mais ne vous tourmentez pas pour moi je vous écrirait une lettre un de ces jours. Je vous embrasse Lucien.
M. M. Ernest Rousseau
12 rue de la Gare
Orléans Loiret

Le texte est très court, mais il nous permet d’appréhender quelques données concernant ce transfert. Lucien est caporal et appartient à la 30e Compagnie du Régiment. Il s’agit là d’une compagnie de dépôt. Celle-ci est soit une compagnie d’instruction pour la formation des soldats soit une compagnie de service pour assurer l’entretien du Camp. Cette deuxième hypothèse semble la plus probable. Effectivement, afin d’assurer le fonctionnement du camp, il est nécessaire d’avoir des effectifs permanents, ceci explique en partie la présence, à part, de l’unité territoriale dans le cachet de franchise postale. Un Régiment d’Infanterie Territoriale n’a pas la fonction d’un Régiment d’Infanterie, même si les aléas du conflit prouveront le contraire, notamment quand les RIT indriens se retrouvèrent en première ligne du côté de Confrécourt ou au Bois des Buttes, toujours dans l’Aisne.

Ensuite, il est possible de dater les événements. Le 27 mai 1915 au matin, Lucien et ses camarades ont quitté Châteauroux. Il écrit vraisemblablement sa correspondance pendant le trajet profitant de son inactivité liée au trajet et le courrier est oblitéré le 28 mai à Azay le Rideau. Les soldats ont donc mis moins d’une journée pour effectuer le transfert. Celui-ci a dû être effectué par chemin de fer, en empruntant notamment la ligne Montluçon-Tours passant par Châteauroux, Buzançais, Chatillon-sur-Indre, Loches.

On notera au passage que la seconde oblitération, celle de la poste d’arrivée, celle d’Orléans donc, est en date du 29 mai. Les nouvelles vont vite.

 

Qui est Lucien AUROY ?
Il est né le 28 septembre 1871 à Cluis, fils de Gabriel et de MAZURE Solange. Conscrit du canton de Neuvy-Saint-Sépulcre, classe 1891, il effectue son service militaire au sein du 125ème RI de Poitiers.
Lors de son service, il passe Caporal en 1893 et sera libéré en novembre 1894.
Dès 1895, il déclare différentes adresses en région parisienne (Suresnes et Paris). En l’espace de 15 ans, ce sont 8 adresses différentes qui sont répertoriées. Il exerce vraisemblablement un métier du bâtiment, lors de sa conscription, il était signalé comme plâtrier.
Le 13 février 1897, à Suresnes (92) il épouse LABRUNE Aïdé, née le 17 aout 1878 à Chateauroux (36), fille mineure de LABRUNE Jean et de ROBIN Claire, les parents demeurant Place Voltaire à Châteauroux (36).
Il décède le 21/10/1926 à Boulogne-Billancourt (92) et retranscrit le 15/11/1926 à Paris 1.
Après deux périodes d’exercice au sein du 90ème RI, l’âge aidant, il passe dans la Territoriale et y effectue une 3ème période en 1908. Son parcours militaire, lors du conflit le voit affecté au 65ème RIT. En octobre 1915, il passe au 69ème RIT, ordinairement en garnison à Châtellerault. Puis, il est affecté au 8ème Régiment du Génie, spécialisé dans les Transmissions, à compter du 28 juillet 1916. Il passera alors sergent en 1917. Son parcours se terminera en décembre 1918, où il sera démobilisé et libéré de ses obligations militaires. Le courrier étudié se passe donc pendant sa période au 65ème RIT, quelques mois avant son premier changement d’unité.

 

Grand Merci à Huguette MAUDUIT et Guy PROT qui ont su retrouver les éléments généalogiques qui me manquaient.

Le Camp du Ruchard, terrain de manœuvres de l’Infanterie du 9ème Corps d’Armée :
Lors de leur service militaire, les soldats des unités d’infanterie de la région militaire de Tours passaient par le terrain de manœuvres du Ruchard, d’autant que s’y trouvait l’Ecole d’Application du Tir pour les gradés du Corps d’Armée. Pendant le conflit, le camp à proprement parlé (les baraquements) servirent aussi pour l’internement de prisonniers allemands puis comme lieu de convalescence pour les soldats belges. Les dépôts des unités d’Infanterie de la Région Militaire furent installées dans les localités au pourtour du Ruchard.

Environs du Ruchard 1914 - BNF Gallica
Camp du Ruchard 1900 - BNF Gallica

D’une superficie de plus de 1400 hectares, au travers des correspondances collectées, il est possible de découvrir les lieux autour du camp qui virent les régiments indriens s’implanter.

Les deux principaux camps d’instruction des 68 et 90ème RI :

Collection de l'auteur

Quelques clichés nous témoignent du passage du 66ème RIT à l'Isle-Bouchard

Collection de l'auteur

Deux clichés témoignent de l'instruction des mitrailleurs du 90ème RI et celle de ceux du 290ème. Le premier cliché est daté et localisé, le second du 290ème RI est de la même série photographique, il reprend le même type de pose et utilise le même procédé de tirage photographique.

Collection de l'auteur

Un de ces deux clichés me fut offert par Arnaud Carobbi, qu’il en soit vivement remercié.

Un autre cliché fait partie de cette série prise lors de cette séance d'instruction des mitrailleurs. Pas réellement de point permettant l'identification. Les visages de certains soldats sont jeunes, en tout cas plus jeunes que sur les clichés précédents.

Collection de l'auteur

Des soldats du 90ème RI, à Azay-le-Rideau en juillet 1915. Il s’agit très certainement de jeunes soldats de la classe 1914. Ceux-ci sont équipés, prêts à partir au front. Un dernier cliché-souvenir avant le départ pour l’inconnu ?

Collection de l'auteur

 Sourires de mise, quasi imberbes, pipe à la main pour se donner une prestance, une mâle attitude, mais certainement aussi pour se rassurer, voici la 38e escouade du 90ème RI. Il s'agit d'un groupe qui pose dans un jardin de Châteauroux, mais surtout il s'agit de la classe 1916. Ils ont à peine 19 ans ou alors tout juste révolus, car en ce 17 mai 1915, l'insouciance de la jeunesse est encore présente. D’ici novembre, ils auront rejoint le régiment et au final environ 20% d'entre eux n'en reviendront pas.

Collection de l'auteur

Au camp du Ruchard, en octobre 1917, de jeunes classes du 90ème RI posent pour le photographe. Au centre, les encadrants.

Collection de l'auteur

Un cliché un peu à part. La 24e Cie du 290ème RI au camp du Ruchard. Le cliché est non daté. Les tenues des soldats sont celles du 90ème RI. S’agit-il de réservistes auxquelles ont fournira une tenue 290e RI au moment de partir, s’agit-il d’un cliché pris avant-guerre pendant une période d’exercice, le régiment est alors « constitué » le temps de la période d’exercice (Cas déjà constaté sur un autre cliché du 290e au camp d’Avord en 1913).

Arnaud, auteur de l'indispensable site Parcours1418 me rappelle que les compagnies de dépôt ne commencent qu'à partir de la 25e Cie. Nous avons bien là une compagnie (24e) du 290e RI, formée le temps d'une période d'exercice. Le temps étant relativement court, le régiment fournissait d'anciennes tenues du régiment d'active, on ne prenait pas le temps de coudre les nouvelles pattes de col.


Pour rappel, en 1914:
Régiment d'active: 3 bataillons numérotés de 1 à 3 avec 4 compagnies par bataillon, numérotées de 1 à 12
Régiment de réserve (Numéro du RI d'active +200): 2 bataillons numérotés 5 et 6 avec 4 compagnies par bataillon, numérotées de 17 à 24
Compagnies d'instruction numérotée au delà de 25


 

Collection de l'auteur

Dernier cliché de la série, voici un autre courrier qui nous emmène vers la prochaine étape vers le front, le dépôt Divisionnaire, qui lui se trouve dans la "Zone des Armées".

Collection de l'auteur

La Chapelle de Cheillé 28 aout 1916
Mon cher Copain
Je tanvoi sest deux mots pour te donner de mai nouvelle que sont toujours bonne pour le moment. Je desir que ma carte te de même pour le monent.
Je bient reçu Ta carte je bien contan de carte de ta belle part ..., je me faichier à Azai.
Le Colon et le Comandant il son vache il jamais de repau 3 ou 4 fois au camp du ruchar, Le premier dépar pour le fron je de mande à partir je suis tambour je gagne 10 sous par semaine.
Bien le Bonjour
Louis Gautherot au 90ème d Infanterie 27 comp. 7 section 2ème groupe La Chapelle Indre et Loire.

 

Le soldat Gautherot goûte peu aux plaisirs du dépôt d'instruction du 90ème RI. Il fait donc part à un ami de son désir de partir au front. Natif de Dijon et résidant à Cinq Mars (37) dans le canton de Langeais, le soldat Gautherot est au 90ème RI depuis le 9 janvier 1916, il le quittera en février 1918 lorsqu’il passera au 335e RI. Il écrit cette lettre alors qu’il vient d’effectuer un séjour à l’hôpital du 29 janvier au 21 mai. En novembre 1916, il sera affecté au 9ème bataillon du 90ème RI. Ce bataillon regroupe les renforts envoyés par les dépôts de l’arrière. Ce 9ème bataillon est affecté au dépôt divisionnaire lui-même situé dans le périmètre de la Zone des Armées au contraire des dépôts d’instruction qui se trouvent autour du Camp du Ruchard, comme nous venons de le voir.

 

Afin de terminer avec un joli cliché, voici une énigme qui longtemps m’a accaparé (Qu’est-ce qu’un CRPM ?), mais qui a maintenant sa solution, voici un cliché des cuisinières et cuisiniers du CRPM d’Azay du 68eme en 1918
Le camp du Ruchard, vit en 1917 la création d’un Centre (Régional) de Rééducation Physique et Militaire. 
Concernant la fonction, le rôle et l’organisation d’un CRPM, on pourra se reporter au chapitre IV d’une circulaire de décembre 1917, éditée par la Direction de l’Infanterie (Lien ci-dessous).

Collection de l'auteur
BNF Gallica

 

29 août 2024

Le sergent Luneau, du zinc castelroussin aux tranchées verdunoises.

Fernand Luneau est né le 3 septembre 1881 à la Champenoise (Indre). Il est le benjamin d’une famille nombreuse. Ses parents sont Isidore et POPINEAU Julie Eglantine. Rapidement, orphelin de père, il est élevé par sa mère et ses frères et sœurs.


A sa conscription, à l'âge de 20 ans, il déclare la profession de charcutier et réside alors à Orléans. Seule sa mère réside à Luçay-le-Mâle, son père étant décédé précédemment.

Sa fiche matricule est consultable aux archives départementales de l'Indre

Il effectua son service au sein du 10e RI d’Auxonne entre 1902 et 1904.
Comme bien souvent, le service militaire avait lieu dans une garnison de la région militaire située plus à l'Est (8ème RM de Bourges-Dijon), les périodes d'exercices suivant la période de service eurent lieu dans la région d'origine. Il effectua ainsi 2 périodes d'exercices au 90ème RI en 1910 et 1911

Souvenirs du service militaire - Cliché Marie Claire PEUCHAUD


En 1906, il réside à Tours. Le 18 juin 1907, il épouse Augustine BERTHAUD native de Levroux et déclare résidence à Villaines (86) deux mois plus tard. Le 6 décembre 1908, issu du couple LUNEAU-BERTHAUD, une fille Suzanne naquit à Châteauroux. Les parents sont alors déclarés cafetier et l'enfant est né au 2 place Gambetta.
Effectivement le couple s'était établi comme cafetiers à la « buvette parisienne » de Châteauroux, à l'intersection de la place Gambetta et de la Place Lafayette. L'adresse du 2 place Gambetta est aussi présente sur sa fiche matricule en 1908 (le café, encore présent en 2024, s'appelle maintenant "Le Parisien"). Avec la mobilisation, il laisse sa femme tenir le café.

Ses différentes adresses déclarées sur sa fiche matricule

Ceci est confirmé par le recensement 1911 qui est disponible sur le site des archives municipales de Châteauroux

Cote : 1F20 - Dates : 1911 Recensement - Archives Châteauroux Métropole

Le Tabac-Buvette Parisienne en 1911 avec prise de vue suivant l'axe de la rue Thabaud Boislareine:

1911 - collection de l'auteur
2024 - "Le Parisien" de Châteauroux donnant principalement sur la place Gambetta - Sources GoogleStreetView


Mobilisé au sein du 290e RI, il se rend donc à la caserne Bertrand, il est alors affecté à la 23ème Compagnie (6e bataillon). Comme bon nombre de soldats réservistes, il fut appelé le 12 aout 1914 afin de compléter les rangs du 290e RI. La priorité étant d'abord donnée aux soldats dits d'active du 90ème RI.
Son parcours est alors celui du 290e RI jusqu'à sa blessure en 1916. Le 21 octobre 1914, il passe Caporal et Sergent le 11 janvier 1915.

Le caporal LUNEAU (entre octobre 1914 et janvier 1915) - Cliché Marie Claire PEUCHAUD

Il est grièvement blessé le 5 mai 1916 à la cote 304. Il est alors évacué vers Lyon, où il arrive le 12 mai.

Carte issue de "On se bat sur terre" de Terrier-Santans, Editions de France 1930

Suite à son action, une proposition de citation est émise par ses chefs. Elle fut formulée ainsi :
« Le sergent Luneau Fernand qui appartenait à la 23e Cie du 290e fut blessé le 5 mai 1916 à la Cote 304 en repoussant avec sa demi section une contre attaque ennemie qui tentait d'aborder nos lignes. Il fit l'admiration de ses hommes en conservant quoique blessé le commandement de ses hommes de son unité jusqu'à ce que la contre attaque ennemie fut complètement repoussée
D'une manière de servir exemplaire, il fut en toutes circonstances un auxiliaire précieux pour ses chefs ».

« Des hommes de ma section » (Sergent Luneau, marqué d’une croix) - Cliché Marie Claire PEUCHAUD

Revenu à la vie civile, réformé, il vendit son café à Châteauroux et montât à Paris. Il reprit son métier de cafetier et s’installa au Montholon (square Montholon), au Bouquet de Grenelle situé rue de l'Arbre sec puis au Trianon du côté de la rue de Rivoli.
Il se retira ensuite à Châteauroux pour vivre de ses rentes où il décéda en 1958.

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Comme toute cette génération, les frères et beaux-frères de Fernand, coté LUNAUD, eurent aussi leur parcours militaire:

- LUNEAU Georges, frère de Fernand: Sa fiche matricule aux AD36
Mobilisé au 9ème Escadron du Train, puis détaché comme propriétaire exploitant (agricole)

- LUNEAU Amédée, frère de Fernand: Sa fiche matricule aux AD36
Mobilisé au 9ème Escadron du Train

- CHERRIER François, beau-frère: Sa fiche matricule aux AD36
Mobilisé comme boulanger à la SCOA (Section Commis Ouvriers Administration), puis réformé

- ROUET Jules, beau-frère: Sa fiche matricule aux AD36
Mobilisé dans l'artillerie.

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Sources: Marie Claude Peuchaud (archives privées)
Merci Marie Claude pour votre confiance

13 juillet 2024

14 juillet 1917: Aisne, Oulches, Hurtebise, une visite ministérielle pour le 290e RI.

Réactualisation 2024: Dès après-demain 15 juillet, direction l'Aisne. Voici l'occasion de me rendre sur les lieux de passage, de misère que vécurent les soldats du département de l'Indre. Après une très rapide visite avec Stephan Agosto en 2006, voici donc l'occasion de retourner là-bas avec, cette fois, plus de données qu'alors et ce afin de comprendre le passage des troupes indriennes en plusieurs endroits du secteur du Chemin des Dames et qui plus est avec plusieurs amis (Valérie, Arnaud, Denis et Stephan). Je m'intéresserai donc lors de ce périple de 4 jours aux territoriaux du 66e au Bois des Buttes en 1916, au séjour du 9e Corps courant 1917 puis au sanglant passage de la 17ème Division en 1918 dans le secteur Ouest, vers Juvigny-Montécouvé.
J'aurai l'occasion de revenir sur le sujet plus amplement dans de prochaines publications.

 

Souvenirs pluvieux du Chemin des Dames, plateau de Californie - 2006
66e RIT - Secteur de Soissons -1916 - AD36 53Fi Fonds Charraud

Reprenons 
Sur le front de l'Aisne, suite à l'offensive d'avril 1917, les troupes françaises buttent sur la crète du Chemin des Dames. L'armée française, suite à l'échec de l'offensive Nivelle et aux difficultés rencontrées, fut alors traversée par des mutineries. Le pouvoir militaire et les politiques s'en inquiétèrent et n'hésitèrent pas à venir prendre la température directement auprès des unités présentes sur le front et aussi d'assurer une présence "politique" et officielle auprès des soldats en ligne.

En Avril 1917, d'abord en soutien, les troupes du 9ème Corps en viennent à prendre les premières lignes de la route 44 pour ensuite être affectées du côté de Hurtebise, la caverne du Dragon, dans la continuité du plateau de Californie, au dessus de Craonne.
Les 90e et 290e subiront d'ailleurs une attaque sérieuse le 26 juillet 1917. 

Sources Un régiment de réserve du Berry - Colonel Eggenspieler

Pendant ce séjour, pour le 14 juillet 1917, le 290e RI eut une visite originale sur son front du Chemin des Dames, en voici le report par le Lieutenant-colonel Eggenspieler, chef de corps du régiment:

Dans l'après-midi du 14 juillet je fus appelé au téléphone par le Commandant de Corps d'Armée. Il me tint des propos énigmatiques auxquels je ne comprenais rien. Il me questionna sur mon P.C., sur mon approvisionnement en couvertures, etc... Puis il en resta là. Je ne pensais plus à rien quand le soir vers 21 heures, en me tenant sur le chemin devant mon P.C., je vis arriver le Général Niessel accompagné d'un Monsieur en civil et d'un Chef de Bataillon en tenue kaki. Je compris alors la conversation au téléphone de l'après-midi. Dans le Monsieur en tenue civile je reconnus facilement le Ministre de la Guerre, quoiqu'il eût un casque de soldat sur la tête.

M. Painlevé - Ministre de la Guerre et le Général Niessel - Commandant le 9e Corps d'Armée

Le Général me présenta à ces Messieurs et me dit que le Ministre passerait la nuit avec moi, qu'il désirait assister à une relève (il y en avait une dans la soirée) et qu'il visiterait les tranchées le lendemain matin. Là-dessus le Général se retira, non sans m'avoir fait remarquer que, jusqu'à son retour le lendemain matin, j'étais responsable du sort du Ministre. Bigre, jamais pareille responsabilité ne me fut échue pendant toute la campagne. J'étais très flatté que le régiment ait été choisi pour recevoir cette visite de marque. Si le Ministre est venu chez nous c'est qu'on était sûr que tout ce qu'il verrait au régiment serait bien. Peut-être aussi est-il venu dans notre secteur par une délicate attention du Commandant de Corps d'Armée qui me connaissait et qui voulut m'être agréable.
Je n'ai prévenu personne de l'arrivée du Ministre, d'abord par précaution, ensuite pour que M. Painlevé vit la troupe et la vie en secteur telle qu'elle était, sans aucun apparat, ou comme nous disions entre nous, sans fumisterie.
En attendant la relève, nous sommes allés voir les cuisines établies dans le talus Nord du chemin d'Oulches. Le Ministre a été frappé de leur ingénieuse installation. Elles étaient à la fois abritées contre les vues des avions et contre les obus. Le Ministre a questionné les cuisiniers sur les repas qu'ils confectionnaient, il a été très satisfait des réponses qu'il a obtenues. La visite des cuisines, terminée, nous sommes remontés sur le plateau. A ce moment la relève arrivait. C'était un bataillon du 68e (Bourgoin je crois) qui venait relever le 5e bataillon (Gagnier) du 290e. Le bataillon du 268e s'est très bien présenté. Le Ministre a remarqué l'allure martiale du Commandant du bataillon, qui, si je me rappelle bien, venait des Chasseurs à pied. Les hommes ont eu une allure très correcte. La plupart d'entre eux cependant n'ont pas dû voir le Ministre parce qu'il commençait déjà à faire sombre. A la queue de la colonne quelques hommes se disputaient. Ils avaient sans doute un peu trop arrosé leur retour en ligne. Quand on leur a fait remarquer que le Ministre se trouvait au bord du chemin pour voir passer, l'un d'eux a dit : « Eh ! ben quoi, il n'est pas malheureux le Ministre ! » Un autre a accentué la note. Il a demandé qu'on le regarde bien, parce que c'était lui le plus c... du Corps d'Armée. Personne ne lui ayant dit le contraire, il continué paisiblement son chemin. Le Ministre s'est bien aperçu du léger mouvement qui s'était produit à la queue de la colonne. Il m'a demandé ce que les soldats disaient. Je lui répondu que c'était des hommes qui en raison du 14  juillet discutaient un peu fort. C'était la note gaie du défilé.

Le bataillon montant étant passé, nous sommes entrés dans mon P.C. où j'ai fait la présentation de mes officiers. En attendant le passage du bataillon descendant (5e du 290e) on a causé. Le Ministre ne semblait pas être très causeur, tout en se montrant doux et affable. On n'a dit que des banalités. A un moment donné cependant, le Ministre s'est moqué des Russes qui, disait-il, faisaient soviet.

 Quand le 5e bataillon du régiment fut annoncé, nous reprîmes notre poste au bord de la route. Le bataillon s'est présenté dans une belle attitude, le Commandant Gagnier en tête. Le Ministre a fait venir près de lui un certain nombre de sous-officiers au fur et à mesure qu'ils passaient. Il paraissait un peu embarrassé pour leur causer. On voyait qu'il n'avait pas l'habitude de converser avec les habitants de la tranchée. A chaque sous-officier qu'il a vu, le Ministre a donné en souvenir une montre en argent. Le défilé du bataillon s'est achevé dans le plus grand ordre et dans le plus profond silence. Le Ministre a pu voir que l'état physique et l'état moral de tous ceux qu'il a interrogés étaient bons, malgré les fatigues de la vie agitée des tranchées.
Après le passage du bataillon, nous nous sommes rendus à ce que j'appelais mon observatoire de nuit, d'où en temps ordinaire j'observais les obus et les combats à la grenade. C'était simplement le dessus de mon P.C. Nous y avons eu un spectacle splendide. Si j'avais eû la possibilité de le faire sur commande, il n'aurait pas pu être mieux réussi.

 

Juillet 1917 - Le ministre Painlevé en première ligne au chemin des Dames (Sources: Illustration 27 juillet 1917)

La nuit, quoique noire, était très belle. Sur tout le pourtour de l'horizon on voyait des fusées aux plus belles couleurs s'élancer vers le ciel. Dans la plaine à l'Est de Craonne on vit à un moment donné se produire dans un rayon restreint des éclatements de couleur orange. Les éclatements s'intensifièrent rapidement, puis on vit monter des fusées au même endroit. Après les fusées d'autres éclatements plus importants vinrent se superposer aux premiers. C'était un combat à la grenade. Les combattants avaient demandé le barrage, les éclatements des obus étaient venus se mêler à ceux des grenades. Des signaux lumineux en forme de chenille apparurent ensuite dans le ciel. Pendant que nous contemplions ce spectacle féérique, de gros obus passaient avec un bruit sourd haut au-dessus de nous. Ils allaient si loin à l'arrière qu'on n'en entendait pas les éclatements. Le Ministre était visiblement intéressé par la vie intense de nuit de notre secteur de combat. Tard dans la nuit, il fallut que l'Officier d'ordonnance du Ministre (commandant Helbronner je crois)* insistât pour l'arracher à sa contemplation.
On rentra au P.C. où j'engageai le Ministre à aller prendre peu de repos parce qu'il n'y avait plus que deux ou trois heures avant le lever du jour, par conséquent avant le départ pour les tranchées. Je conduisis le Ministre dans son abri. Il était très profond et fatalement un peu humide. En tout cas, on y était à l'abri des obus.

Le lendemain nous nous réunissions autour de la table à déjeuner pour déguster un jus bien noir, sans gnole, et y tremper une bonne tranche de pain de troupe sans beurre. Le ministre voulut bien trouver ce petit déjeuner de soldat à son goût.
Le jus absorbé, je partis avec le Ministre et son officier d'ordonnance visiter les premières lignes. Je les conduisais à la tranchée des Charentes. Elle était au centre du front, facile à atteindre et à parcourir. Chemin faisant, je montrais au ministre les points intéressants du terrain. La tranchée de première ligne française au 17 avril, la première tranchée allemande à la même date, le Chemin des Dames que M. Painlevé désirait voir. Je le reconnaissais au tronc d'un cerisier couché à terre au point où le boyau que nous suivions coupait le chemin. A ce moment je montrais également au Ministre la cathédrale de Laon dont on distinguait légèrement la silhouette dans le lointain.

Au croisement de notre boyau et d'une tranchée inoccupée, nous nous sommes heurtés inopinément au Chef d'Etat-Major et au Capitaine titulaire de l'Etat-Major de la Division. Je me rappelle que le Chef d'Etat-Major portait son brassard rouge. Le Ministre leur a dit quelques mots. Quand les officiers de la Division se furent éloignés, l'officier d'ordonnance dit à M. Painlevé : « Vous voyez, Monsieur le Ministre, on dit toujours que les officiers d'Etat-Major ne viennent pas dans les tranchées, vous venez d'en rencontrer deux ». Je n'ai pas voulu relever les paroles de l'officier d'ordonnance parce que les deux officiers de la Division étaient de braves garçons, et qu'en aucune façon j'aurais voulu leur nuire. Mais si le Ministre était venu la veille sans qu'on l'eût su, ou s'il était revenu de même, le lendemain, il n'aurait vu que des officiers de troupe. La besogne de bureau qu'avaient à accomplir les officiers des Etats-Majors ne leur permettait guère de visiter les secteurs. Il eût fallu dans chaque Etat-Major une section des tranchées. Elle aurait pu confectionner une bonne partie du papier qu'on demandait aux Colonels. La liaison entre la troupe et les Etats-Major ne se faisait qu'avec du papier, elle aurait dû être assurée par des représentants du Commandement.

Le ministre Painlevé dans les tranchées de première ligne (Sources: Le Miroir 26 août 1917)

 

Arrivé à la tranchée de première ligne, le Ministre a pu se rendre compte de son organisation. Je ne sais pas ce qu'il en, a pensé, il ne m'a fait aucune réflexion. Pour mon compte, étant donné les larges intervalles entre les hommes, la tranchée avait bien plus l'air d'une ligne de surveillance que d'une ligne de défense. Le Ministre a adressé la parole aux soldats, aux sous-officiers et aux officiers près desquels il est passé. Tout en longeant tranquillement la tranchée, nous voyions tout d'un coup le Ministre enjamber le parapet pour passer de l'autre côté. Nous n'avons eu que le temps de le retenir par les basques de son habit. Il n'y avait pas à plaisanter, se montrer au-dessus du parapet d'une tranchée de première ligne était un geste très dangereux: Il y en a plus d'un qui a reçu une balle dans la tête pour moins que cela. Vraiment, ce jour-là, le ministre n'a pas fait honneur à son prénom (Prudent).
Quand l'heure du retour fut arrivée, je ramenai le Ministre et son officier d'ordonnance à mon P.C. A quelques pas plus loin j'aperçus le Général de Division dans une auto dissimulée dans les arbres. Le Ministre et son officier d'ordonnance prirent aimablement congé de moi et de mes officiers. Ils montèrent dans l'auto du Général de Division et disparurent dans le bois. Telle fut la visite du Ministre de la Guerre, M. Painlevé, dans le secteur du 290e R.I. au Chemin des Dames les 14 et 15 juillet 1917. Le principal était maintenant de rendre compte.
Je fis donc un compte-rendu relatant tous les faits et gestes du Ministre, dans un style simple et modeste. En haut lieu on ne le trouva pas assez ronflant. Mon rôle n'était cependant pas de faire un éloge dithyrambique de l'audace du ministre. Tout le monde m'aurait pris pour un fumiste, le ministre le premier.
L'épilogue de la visite ministérielle consista en une caisse de six bouteilles d'excellent Champagne (du Périer si je me rappelle bien) qui nous fut transmise par le Corps d'Armée. L'envoi était accompagné d'un mot aimable du Ministre en souvenir de la soirée qu'il avait passée avec nous. Pendant six jours consécutifs nous avons bu à la santé du Ministre.
Nous avons voulu que M. Painlevé ait lui aussi un souvenir de son passage au plateau triangulaire. Un de nos artistes a gravé sur une plaque de cuivre découpée dans une douille de 75 l'attestation que le 14 juillet 1917 M. Painlevé, Ministre de la Guerre, avait passé la nuit dans le secteur du 290e au Chemin des Dames. Un officier allant en permission a remis la plaque à un officier du cabinet du Ministre. Nous n'avons jamais su si la plaque était bien arrivée aux mains de M. Painlevé. Celui-ci a peut-être craint qu'en répondant nous ne devenions importuns et que par exemple une deuxième caisse de Périer eût été la bienvenue.

* Le commandant Helbronner Jacques était ordonnance du ministre Painlevé depuis juin 1917. Né en 1873 à Paris, il sera arrêté et déporté en 1943 vers Auschwitz. Il n'en reviendra pas.

 

Le compte-rendu plus "officiel" de tout ceci se retrouve sur le Journal de Marche et Opérations du 290e RI (SHD 26N740/10):

15 juillet 1917 :
Les mouvements de relève prescrits par ordre du 12 juillet de la 33e Brigade pour la journée du 14 juillet sont exécutés le 15.
Le 5e bataillon relevé dans le quartier C par un bataillon du 268e va cantonner à Beaurieux. Son mouvement s’effectue sans incident et se termine vers minuit.
La décoration de « l’Aigle blanc » ont été » de 3e classe de Serbie a été conféré au Lieutenant-colonel EGGENSPIELER par ordre n°13 « D.E. » du 27 juin 1917 du G.Q.G..
Visite du Ministre de la Guerre.
La visite a eu lieu dans la nuit du 15 au 16 juillet. Dans cette nuit, les mouvements de relève suivants ont été exécutés :
Le 6/268 a relevé le 5/268 dans la position de réserve. Le 5/268 a relevé le 5/290 en 1ère ligne. Le 5/290 est descendu au cantonnement de ½ repos. Le Ministre est arrivé vers 21h. Il a adressé la parole au groupe de guides rassemblés près du P.C. Il s’est ensuite rendu à l’emplacement des cuisines où il a questionné les cuisiniers sur la qualité des aliments. Tous ont donné des réponses satisfaisantes. Le bataillon a ensuite vu passer une partie du bataillon montant. Il s’est entretenu un instant avec le Capitaine BOURGOUIN, commandant le bataillon. La troupe s’est présentée en bon ordre.
Le ministre a ensuite exprimé le désir de remettre 3 montres aux 3 sous-officiers les plus méritants. Comme il y avait 3 bataillons dans le secteur, une montre a été donnée à chaque bataillon. Les sous-officiers sont venus les prendre au P.C.
Vers 23h30, le 5/290 est descendu des lignes. Le ministre s’est placé sur le passage du bataillon qu’il a vu passer tout entier ainsi que le chef de bataillon (Commandant GAGNIER). Il a adressé la parole à tous les chefs des différentes fractions qui passaient. Il s’est surtout enquis de l’alimentation et de la régularité du ravitaillement. Il a également posé des questions sur les pratiques et la durée du séjour en secteur. Tous ont donné des réponses très satisfaisantes, quelques uns même avec une certaine bonne humeur. Un sergent cependant désirait avoir plus de 400 gr. de viande pour ses jeunes soldats.
Le Ministre a paru satisfait de la tenue du bataillon et a adressé des compliments au chef de bataillon.
Après s’être reposé un instant au P.C. le Ministre s’est rendu accompagné du Lieutenant-colonel EGGENSPIELER, aux tranchées de 1ère ligne à 3h. du matin par le boyau Saint-Quentin. Il a parcouru la portion de tranchée à l’Est du boyau. Il s’est fait expliquer toutes les particularités du terrain et du régime en avant des tranchées.
Le retour a eu lieu par le boyau Saint-Quentin. Arrivée au P.C. du sous-secteur à 5h20.

On remarquera que cette visite sembla convenir à notre ministre, les retombées arrivèrent dès le lendemain:

16 juillet 1917 :
En exécution de l’ordre susvisé, le 6e bataillon est relevé dans le quartier X par le 6/268e et vient occuper la position de réserve au Nord de la route d’Hurtebise.
Son mouvement s’effectue sans incident.
Par décret en date du 13 juillet 1917, le Lieutenant-colonel EGGENSPIELER est nommé Officier de la Légion d’Honneur.

 

 Dès le 17 juillet, l'information était diffusée dans la presse nationale. 

BNF Gallica - Figaro 17 juillet 1917
Sources BNF Gallica

On retrouve la même information, la même formulation dans les journaux nationaux. Le journal "Le Gaulois" nous apprend qu'il s'agit là d'une note diffusée vraisemblablement par le ministère de la Guerre et les journaux se sont contentés de mettre en forme l'information.

17 juin 2024

Indre et Indiens, un boulanger pitolat* et le passage des Hindous en Bas-Berry

Toujours le même ressort qui m’amène à publier une étude : Attiré par le sujet d’une photographie, d'une carte postale et découvrir que celle-ci a non seulement lien avec la commune de mes aïeux, mais aussi avec ma marotte 14/18 départementale.
Sur le net, les vendeurs bien souvent mettent en vente des cartes postales anciennes où seul le recto est présenté. Il n’y a aucune correspondance au verso, voir seule l’indication « écrite » est reportée. Heureusement, parfois, le vendeur rajoute un scan du verso. Et là, il m’arrive d’y trouver un intérêt particulier.
Lors de l’été 2021 (Eh oui, il faut du temps pour que l’idée d’un article mûrisse), je suis tombé sur une carte où nombreuses sont les thématiques à aborder (Cliché pris à moins de 1 kilomètre de mon domicile indrien, échange épistolaire d’un couple de l’agglomération argentonnaise, parcours de guerre d’un soldat, épisode international au travers d’une vision très locale).

* Pitolat: gentilé des habitants de Saint-Marcel (Indre)

L’objet de cet article ne traitera que les derniers points.

Collection de l'auteur

Dans le cadre de l’étude ci-dessous, l’intérêt de cette carte réside principalement dans la correspondance que l’on trouve des 2 côtés de cette carte, car effectivement, je vais ici m'intéresser principalement  au contenu de ce texte et redonner vie à un parcours militaire d’antan et un évènement lié au conflit.
Commençons donc par la correspondance car c’est elle qui permet la datation et de définir le contexte de ce qui suit.

Franchise militaire
Monsieur PUSSAUD
Sergent 9e section des Commis et Ouvriers Caserne Meunier à Tours

3 8bre 1914
Mon cher Paul
La journée d’hier et celle d’aujourd’hui ont encore passé sans que je t’adresse la lettre promise. Toi aussi tu deviens un peu négligent. J’ai des nouvelles à ……. De toutes espèces je t’écrirai demain. Hier j’ai été un peu fatiguée je voulais voir les indous passer. Je n’ai pu y aller qu’aujourd’hui en portant le pain au Moulinet ils sont assez curieux à voir beaucoup passent tous ces jours et aussi des Anglais qui ont l’air tous très heureux d’aller combattre. Nous t’embrassons tous. Bien à toi.

Sur le recto:
Les enfants se portent mieux. A bientôt de tes nouvelles tu nous fais attendre après je t’embrasse
Berthe

 

Commençons par l'analyse de l’oblitération de départ du courrier. Elle nous indique un départ de Saint-Marcel (Indre) et est en date du 4 octobre 1914.  Le texte de la correspondance est court. Il a été écrit la veille de son dépôt à la Poste et permet d’explorer deux directions.

  • Qui est Paul PUSSAUD et quel est son parcours pendant le conflit ?
  • Que passa-t-il à Saint-Marcel en ce début octobre 1914 pour que Berthe le rapporte à son mari ?

Concernant Paul PUSSAUD, son parcours civil et sa généalogie, il est aisé de s’appuyer sur les données librement consultables sur Généanet. Un arbre généalogique très complet a été réalisé par Sophie MOUTON (pennylove)
Paul PUSSAUD est fils et petit-fils de boulangers. Son grand-père Silvain et son père Paul étaient aussi boulangers à Saint-Marcel. Il prit leur suite.
Paul PUSSAUD est né le 1er novembre 1880 à Saint Marcel (Indre), fils de Paul et de LENOIR Marie.
Déclaré boulanger au moment de sa conscription, il est affecté à la 19e Section de Commis et Ouvriers militaires d’Administration. Ces sections sont rattachées au service de l’Intendance et portent chacune le numéro lié à sa Région Militaire (R.M.). Trois grandes spécialités y sont présentes : Les Commis aux écritures chargés de l’Intendance, les ouvriers soit des subsistances, soit de l’habillement.
Notre boulanger reçoit donc une affectation en lien avec sa profession et est envoyé au sein de la 19ème R.M. Cette région militaire regroupe alors les départements d'Alger, d'Oran et de Constantine. La fiche matricule nous permet de voir qu’il lui faut alors 4 jours pour rejoindre son corps. Il effectue ses 3 années de service jusqu’en octobre 1904 et part avec le grade de Sergent. Fait intéressant dans son parcours, il est à noter qu’il a fait un période de 1 an et demi au sein des régions sahariennes, du sud algérien donc.
En 1906, le 22 décembre, il se marie avec Berthe CHARLES à Saint Marcel et s’installe rue de Lorette comme l’indique les recensements de 1911 et 1921 consultables sur le site des Archives Départementales de l’Indre.
Ils auront trois enfants, Charles (1907), Suzanne (1912) et Clémence (1914)

Archives Départementales de l'Indre - M4924 & M4947

Concernant l’administration militaire, après son service, il est rattaché à la 24e SCOA du Gouvernement de Paris, puis reversé au sein de la SCOA de la 9ème région. Il y est mobilisé et arrive à Tours le 11 aout 1914. Il passe ensuite à la 1ère SCOA en février 1915 puis à la 22e SCOA en mai 1917. Un mois plus tard, il est affecté au 1er Régiment de Zouaves, puis au 2e.
Il est considéré comme étant aux Armées de février 1915 à sa mise en congé illimité en février 1919. Point de Croix de Guerre, de Médaille Militaire, il est cependant récipiendaire de la médaille Orient en mars 1932 après avoir reçu la médaille serbe en janvier 1932.
Aucun autre détail ne permet de trancher à savoir s’il fut zouave en tant que combattant ou en tant que boulanger.

La fiche matricule de Paul PUSSAUD

La carte de correspondance est donc envoyée par Berthe à son époux. Celle-ci envoie le courrier à la caserne Meusnier à Tours. Cette caserne abrite à la fois le 32e Régiment d’Infanterie mais aussi la 9ème SCOA.

Cette section est organiquement rattachée à la garnison de Tours. On trouve d’ailleurs aussi une 9e Section Territoriale pour les plus anciennes classes d’âge. Les troupes sont cependant réparties sur différents casernements au sein de la région militaire. En effet, dans toutes les garnisons se trouvent des commis et des ouvriers pour assurer la gestion des subsistances, fabriquer le pain, entretenir les habillements et équipements. On en trouvait dans l’Indre (36), l’Indre et Loire (37), le Maine et Loire (49), les Deux-Sèvres (79) et la Vienne (86).

A Châteauroux, par exemple, les COA et les soldats du Train (9e ETE de la caserne Ruby) occupaient ainsi les locaux de la « Manutention » jouxtant la caserne Bertrand de Châteauroux qui, elle était une caserne d’infanterie. Une autre manutention était aussi existante au sein du Camp du Ruchard, qui était le camp de manœuvre principal de la Région Militaire, non loin de Tours.

Collection de l'auteur & Gallica-BNF
Collection de l’auteur et Archives municipales Châteauroux Métropole
La caserne Meusnier de Tours (32e RI et 9e SCOA) – le positionnement de la Manutention de Châteauroux
Manutention Châteauroux - Collection de l'auteur

Affecté donc à la 9e SCOA de Tours, Paul PUSSAUD exerce son métier au sein de l’intendance assurant ainsi l’approvisionnement en pain de la garnison de Tours. Ses affectations suivantes, dès février 1915, se font au sein des 1ère et 22e SCOA. Cela laisse supposer le même type d’activité.
En juin 1917, il  est affecté au sein du 1er puis 2e Zouaves.
Concernant l’organisation au sein de l’armée de 1914, il se trouvait alors 2 situations. Soit notre boulanger était affecté à une garnison, soit il était affecté en Zone des Armées avec comme affectation, une boulangerie roulante de campagne. Celles-ci étaient réparties à l’échelle d’une Armée et formaient les BOA (BOulangeries d’Armée). On retrouvait aussi des boulangeries à l’échelon de la région militaire.

Cliché Raymond Rollinat

Peut-être se trouve-t-il sur ce cliché de la 3e Boulangerie de campagne pris en octobre 1914 à Tours:

Collection de l'auteur

Concernant l’organisation des « Boulangeries roulantes de campagne » https://fr.geneawiki.com/index.php/Guerre_1914-1918_~_Les_boulangeries_roulantes_de_campagne

L'intendance en campagne, cours professé au stage de l'intendance militaire par G. Nony (1914)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6512108z.texteImage

Fonds documentaire du Centre de recherche et d’Etude de la boulangerie et de ses compagnonnages
articles par Laurent Bourcier (Picard la Fidélité) :

https://levainbio.com/cb/crebesc/category/guerre-militaire/

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Intéressons-nous maintenant à la deuxième question « Que passa-t-il à Saint-Marcel en ce début octobre 1914 ».
Commençons par une présentation succincte du village de Saint-Marcel. Il s’agit d’une commune qui se trouve au Nord-Ouest d’Argenton-sur-Creuse. Elle est le lieu où se situait l’antique cité d’Argentomagus, qui d’ailleurs, donna son nom à la commune voisine d’Argenton. Les territoires de Saint-Marcel et d’Argenton sont traversés par la ligne de chemin de fer Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Ce fait est important pour la suite de l’analyse.
Depuis 1912, la commune est scindée en deux pour former deux communes, celle de Saint-Marcel et celle de Le Pont-Chrétien-Chabenet. Le recensement de 1911 disponible sur le site des Archives Départementales de l’Indre regroupe donc les 2 communes mais les adresses reportées laissent apparaitre le village concerné.
Cependant, les adresses sont celles données par la résidence au moment du recensement, mais n’indique pas nécessairement le lieu d’exercice. Cependant tous sont indiqués comme indépendants, seul 1 apprenti et un « fils de » sont signalés.
Pour une population de 2.518 personnes, le dépouillement nous permet de trouver 8 boulangeries exerçant en 1911. 4 se trouvaient à St Marcel: PUSSAUD – Rue de Lorette, FLEYSSAC - Rue de Saint-Gaultier, PICHELIN - Rue du Parlement, CAMUS – Rue de l’Eglise. Au Pont Chrétien se trouvaient alors 2 boulangeries (POITRENAUD et BRIDOUX) et 2 autres à Chabenet (TOURNE et PERRIN).
Seuls PUSSAUD et PICHELIN, à priori, exercèrent le métier de boulanger après leur versement au sein d’une SCOA. Cependant, le conflit perdurant, ils furent affectés au sein d’unités combattantes avant la fin du conflit.

Fond de plan Géoportail

Reprenons le texte de Berthe PUSSAUD :
« …Hier j’ai été un peu fatiguée je voulais voir les indous passer. Je n’ai pu y aller qu’aujourd’hui en portant le pain au Moulinet ils sont assez curieux à voir beaucoup passent tous ces jours et aussi des Anglais qui ont l’air tous très heureux d’aller combattre … »

Cela nous permet tout d’abord d’apprendre que bien qu’ayant fournil rue de Lorette, celle-ci porte ses livraisons jusqu’au Moulinet. Le Moulinet est le quartier industriel de la commune de Saint Marcel, à la limite de la commune d’Argenton. En ce quartier, au vu du recensement de 1911, y résident de nombreux ouvriers dont ceux de la fonderie Genty et de nombreux salariés de la Compagnie Paris-Orléans, la compagnie de chemin de fer de la ligne Paris-Toulouse. Berthe, donc, se rend au Moulinet pour sa tournée, mais aussi pour voir les « indous » et les Anglais qui passent en gare d’Argenton.

En effet, en ce début octobre, la ligne Paris Toulouse permet aux troupes de l’Armée des Indes de rejoindre le front. En provenance de Marseille où les premières troupes débarquèrent le 26 septembre, par train via Toulouse, Limoges, celles-ci rejoignent Orléans d’où elles partiront ensuite pour rejoindre le Nord de la France vers Saint Omer et la « British Expeditionary Force » (B.E.F.). Parmi ces troupes, on retrouve la division de Lahore et la division Meerut.

 

 

Seuls deux ouvrages semblent avoir été publiés sur la thématique de l’Armée des Indes en 1914, on trouve aussi quelques articles sur le sujet sur le net (voir liens en fin d’article). Au final, ils nous sont finalement de peu d’aide concernant notre affaire, le transfert vers le front étant un épiphénomène. Heureusement, avec Berthe PUSSAUD à Saint Marcel, il est un autre témoin qui se trouve à environ un kilomètre de là, sur la commune d’Argenton et il s’agit de Raymond ROLLINAT. Ce dernier était un naturaliste, spécialiste des reptiles et demeurait à Argenton-sur-Creuse. Dès la mobilisation, il prit la direction de l’ambulance volontaire aménagée à la gare d’Argenton. Suffisamment riche pour posséder un appareil photographique, il nota aussi quotidiennement dans ses carnets les conséquences de la guerre.
Raymond ROLLINAT, du 1er octobre au 12 octobre 1914, indique le passage de troupes indiennes. Le 2 octobre, ce sont 10 trains et le 3 octobre 8 trains qui passent en gare d’Argenton. Il note aussi la présence de la foule qui vient en masse voir passer les trains et acclamer les troupes indiennes. En bon naturaliste, il note tous les détails de ce fait nouveau dont voici quelques extraits :

« Jeudi 1er octobre
« C’est ce matin, à 6h03, qu’a commencé le passage des troupes des Indes que fait venir l’Angleterre pour renforcer son armée combattant en France à nos côtés.

« Vendredi 2 octobre
« A 6h03 du matin passe un train de troupes hindoues. Malgré le brouillard froid et opaque, j’aperçois nombre de ces soldats aux ouvertures des wagons. Dans les wagons à chevaux et mulets, ainsi que dans les voitures à marchandises où sont entassés les hommes. Les portes sont ouvertes presque partout ainsi que les volets des fenêtres rabattus. Ces troupes, du reste très chaudement vêtues, ne semblent pas très frileuses.
J’ai constaté hier combien des Anglais avaient été prévoyants en protégeant leurs Hindous contre le froid au moyen de très épais maillots de laine.

A 6h43, passe un autre train d’Hindous. Le brouillard est encore intense et il fait plutôt froid

A 10h23, train de troupes hindoues. Il s’arrête avant d’entrer en gare ; aussitôt les gens envahissent le talus près du pont de la Grenouille et vont serrer la main aux Hindous qui saluent. Au départ hourras retentissants et acclamations du public particulièrement au pont de Saint-Paul. Dans le dernier wagon se tient la garde de police, équipée et armée, coiffure pointue et turban, le tout couleur d’un cendré brun comme les vêtements.
… »

 En tant que photographe amateur, il en profite aussi pour figer ce moment sur la pellicule.​​​​​

 

Fait important, le passage des troupes anglaises était programmé, annoncé et attendu par les civils. Dès le 30 septembre, la veille des premiers passages, Rollinat note et fixe sur la pellicule les préparatifs du personnel soignant de la gare.

Les convois ont donc traversé le département de l’Indre, de halte en halte. Deux autres clichés existent. L’un est identifié en gare d’Issoudun, au-devant des wagons de transport de troupe. L’autre est incertain concernant sa localisation mais il est à noter la présence d’un soldat du 65ème Régiment d’Infanterie Territoriale de garnison Châteauroux. Les troupes de cette unité territoriale ont été déployées du Nord au Sud du département, le long de la voie de chemin de fer, assurant la garde de celle-ci. La présence des portes en arrière-plan laisse supposer une halte dans une « grosse » gare du département.

Difficile d’aller plus loin dans l’analyse, d’autant que je ne connais pas les uniformes anglais. Heureusement, le verso du cliché nous donne l’explication du cliché issoldunois.

A propos de l’artillerie de l’armée des Indes (Royal Horse Artillery) :
https://en.wikipedia.org/wiki/Regiment_of_Artillery_(India)

A propos des troupes et de l’Armée des Indes, 2 ouvrages principaux ont été consultés :

  • Les troupes indiennes en France 1914-1918 – Douglas GRESSIEUX – Alain SUTON Editions 2007
  • L’Inde dans la Grande Guerre – Santanu DAS – Gallimard Ministère de la Défense 2014

Sur le net :

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